Serge Coosemans

Le Temps des Chevaliers, avec Glandalf & Degolas

Serge Coosemans Chroniqueur

Boustifaille médiévale, bobards de saltimbanque, vannes de goût douteux, fulgurances pacifistes, hypocrasse et mojitos sont au menu de ce dernier Sortie de route de la saison. Track #40, rainy summer edition.

Au Moyen-Age, la nourriture était de bien meilleure qualité que de nos jours, plus saine, plus variée, nous dit celui que, narquois, nous décidons de surnommer Jean-Jésus Raël, en raison de son look et de son regard particulièrement étudié pour jouer la rayonnance. Ce garçon est animateur de banquet médiéval, censé nous expliquer ce que l’on nous sert et pourquoi c’est servi de telle façon. Il a beau être très habité par son rôle, il nous semble quelque peu partir en freestyle, quand il nous assure que contrairement à la croyance populaire, les Francs n’étaient pas de grands mangeurs de sangliers, éleveurs plutôt que chasseurs. En fait, ils pêchaient beaucoup et avaient même des recettes à base de dauphin. Un jour, ils se sont rendu compte qu’ils aimaient tellement ça, le dauphin, qu’ils étaient en fait en train d’en exterminer l’espèce et les tribus se sont alors entendues pour décréter un moratoire sur la pêche. Bref, les directives européennes ont été inventées environ 900 ans avant la naissance de Robert Schuman et la politique commune de pêche ne date pas de 1983 mais bien du plus profond des âges obscurs! Ainsi que la conscience écologique, les régimes dissociés, le dauphin-mayonnaise et les toilettes sèches. On tique, mes amis et moi, mais cela n’empêche pas Jean-Jésus de continuer à faire son José Bové: nos ancêtres étaient en meilleure santé, le climat beaucoup plus favorable, bla bla bla. Il poussait des amandiers à Liège et les ruisseaux abondaient tellement d’anguilles, un mets très prisé, qu’il suffisait d’y plonger la main pour y dégotter un bon repas riche en oméga 3.

Cela se voit que le bonhomme prend beaucoup de plaisir à gonfler ses sacs, peut-être même qu’il y croit et qu’il lui serait pénible d’apprendre que les mecs ont en fait mangé durant 1000 ans des racines de fougères et du vieux rat des champs sous la pluie, avec une espérance de vie de 45 ans et l’art de se choper la lèpre et la peste comme nous un petit rhume. On a toutefois laissé parler Jean-Jésus parce que le Moyen-Age, mes 4 compagnons de soif et moi, on n’y connaît que dalle. Par contre, j’ai pris des notes et je les ai soumises à une amie docteur en histoire médiévale, justement spécialisée dans la cuisine d’époque, les banquets, tout ça. Verdict: totales diableries que ce discours. Bobards, bouse passéiste. Pal et pilori pour ce gueux! C’est un conteur, un amuseur, un saltimbanque, limite sympathique, mais pas foutrement fichu de correctement expliquer un menu qui n’a déjà rien de très historique. Un banquet médiéval upgradé pour enfants, clients, amis et pontes d’une boîte de communication, organisé à Lavaux-Sainte-Anne, ce samedi 28 juillet 2012, dans le cadre du Temps des Chevaliers, festival annuel lui aussi relativement farfelu. Je ne mange pas beaucoup parce qu’il se fait que je suis allergique à l’ail et que la plupart de ces plats en sont blindés. Par contre, on picole raisonnablement de l’hypocrasse, vin doux d’époque, et on ressort de ce banquet bien perchés, laissant Jean-Jésus Raël à ses histoires de sushis mérovingiens pour découvrir le reste du site.

250 combattants, artistes et artisans. Des concerts, un bal folk. Sur papier, ça promettait mais sur place, c’est certes familial, détendu et sympathique mais pas non plus vraiment top-délire méga groove. La faute principale à notre si aimable climat, météo de chiottes qui est la véritable damnation de cet été, raison de toutes les déceptions, de toutes les bonnes intentions devenues sucettes. Ce samedi n’échappe pas à la règle, le soleil tapageur ne cessant de passer à la pluie drue, ce qui sabote l’ambiance et clairsème surtout la fréquentation des lieux. Touristes en shorts, billes à la Manu Bonmariage, goths de provinces, marmailles de gosses et de vieux, pour moitié, le public est celui qui reste archétypal de ce genre de braderie, mélangeant allègrement gens biens et rednecks. L’autre moitié est nettement plus folklorique, ces participants-là se prenant très au sérieux, costumés, grimés, en armures. Certains jouent le jeu médiéval à fond, dorment et s’exposent dans un camp sans électricité qui entend reproduire les conditions de vie d’époque. Il n’y a pas à tortiller, ça refoule surtout le sexe, les kikis qui se cherchent des frissons barbares. Peaux de bêtes, looks de figurants de Braveheart ou d’Excalibur, c’est du pur fétichisme. C’est relativement respectable quand les mecs et les donzelles portent bien les fesses breugheliennes et les pectoraux de publicités pour faux whisky écossais, tout ça. C’est par contre nettement plus sujet à ricanements quand les gugusses ont des billes de guichetiers de mutuelles, des lunettes de vue Hans Anders et customisent leurs balles de snuls avec des oreilles d’elfes, bref le total-look Glandalf et Degolas.

Notre cynisme très 22e siècle mitraille sec, on trouve de très bonnes occasions de rire. L’alcool aidant, on atteint même carrément les hautes cimes de l’humour pochetron. Devant une démonstration de fauconnerie, par exemple, l’un de mes bons camarades me rappelle la blague d’un humoriste anglais qui disait que si vous aimez le sexe à la fois kinky et romantique et que la métempsycose existe, le meilleur truc à faire est alors de se réincarner en hibou, le seul animal qui regarde dans les yeux peu importe la position sexuelle. Là où je rigole par contre nettement moins, c’est au moment d’assister à un combat de types en armures, avec de vraies armes, qui font certes bien attention à ne pas se tuer mais ne s’en foutent pas moins royalement sur la tronche. Je suis impressionné, vraiment. Cette violence, même feinte, au fond, me débecte. Elle dérange mon bon vieux fond pacifiste. Je me dis que si en 2012, les touristes kiffent des reconstitutions de combats de chevaliers du Moyen-Age, en 2875, les estivants en shorts iront applaudir des drones bombardant de faux villages d’enfants musulmans et cela me désole grandement, non mais quel monde de merde.

Fascination pour la violence qui ne fait pas mal, discours bobo-rétro qui entendrait transformer le Moyen-Age en société vertueuse et sournoisement surligner la décadence contemporaine (Peste Noire contre Libor, c’est votre dernier choix?), boustifaille et picole médiévale quand même très adaptées aux goûts contemporains (dont un stand à mojito)… Un moment se pose la question de la nécessité d’être là. Sous la pluie. Pas spécialement fasciné par un monde mort et des fantaisies qui me broutent plus qu’autre chose. Chevaliers à Lavaux-Saint-Anne, GI’s à Bastogne, hussards à Waterloo… Faut bien se rendre compte que la seule reconstitution historique qui me botterait réellement, c’est Chic au Studio 54 en 1978. J’aime notre époque, je suis bien content de vivre en des temps où lorsque l’on est un peu embourbé dans un festival médiéval loin de chez soi, il suffit de chercher un bon restaurant local sur son téléphone portable et d’y filer à bord d’un destrier au diesel. Irish coffees, steaks au poivre et rouge qui pique, la position préférée du reporter démissionnaire.

Un tout grand merci au docteur Emmanuelle R et à la société Créaset.

Sortie de Route sera de retour à partir du lundi 3 septembre 2012.

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