Serge Coosemans

« Le clubbing a changé le monde, à nous de changer le clubbing! »

Serge Coosemans Chroniqueur

Trente ans que le clubbing change le monde, selon un documentaire de la télévision anglaise. Selon notre chroniqueur, il est désormais aussi temps que le monde change le clubbing. Sortie de route, S02E02.

Jeudi soir, Skank Manor, digne cousin bruxellois de Basic Channel et Chain Reaction, entre dub minimal et techno salace, jouait au Café Central devant une assistance plutôt réduite, alors que n’importe quelle niaiserie pop-rock de la génération dEUS archibonde régulièrement l’endroit. Quelques trentenaires à l’allure rock semblaient ne rien entraver à ce qui se tramait sur scène, pourtant l’évidence même: le mariage du chant des machines et de l’âme humaine, du shamanisme technologique, la parité du song et du sound writing. Malgré une prestation perfectible mais convaincante, racée à défaut d’originalité, et, surtout, l’impression d’enfin tenir un projet musical abordable et viable qui se démarque franchement du tout-venant belge, il faut bien reconnaître ce qui fût: au-delà des affaires de goûts, le public n’a tout simplement pas eu l’air de comprendre grand-chose à cette musique (« beeerk, c’est du reggae! ») et c’est peut-être plus interpellant que cela n’en a de prime abord l’air.

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Parce que donc, une culture électronique pourtant très fédératrice et ultraprésente dans le monde occidental depuis au moins 25 ans (30 et même 40, diront certains) continue de passer au-dessus de beaucoup de têtes pourtant pas forcément vides. Nous vivons une période de disponibilité incroyable de l’information, gratuite qui plus est, et pourtant, vues courtes et jugements à l’emporte-pièce n’ont jamais été aussi spontanés et vivaces. Il ne s’agit pas ici de moquer et de déplorer les goûts et les couleurs des uns et des autres, voire la bêtise de certains. Cela tient plus du constat: observer la réunion de certaines conditions qui font que le public est tout simplement orienté dans ses élans, tribalisé, manipulé, d’ailleurs pas forcément à son insu et sans le vouloir. Entendons-nous: ce qu’aiment les rockeurs du Café Central (ou les admiratrices de Quentin Mosimann, haha!), c’est leur affaire, strictement. Que leur grille de lecture soit très lacunaire, que ces publics ne jugent pas forcément les choses en véritable connaissance de cause, tient par contre bien davantage du drame culturel. Fainéantise, médias en quenouille, cynisme des « filtres » et problèmes de transmission… Les fautifs sont bien connus de nos services.

Après ce concert, je me suis enquillé How Clubbing Changed the World, un documentaire produit par la télévision anglaise. Présenté par Idris Elba -Stringer Bell dans The Wire-, le film entend classer à la façon d’un hit-parade les moments les plus déterminants de l’histoire du clubbing mondial, considéré comme « l’exportation culturelle britannique la plus significative de ces 30 dernières années ». Ce n’est pas un chef d’oeuvre journalistique et de grosses libertés d’interprétation sont parfois prises avec la réalité des faits mais on y montre bien que ce qui s’est passé dans les discothèques depuis le disco a indiscutablement influencé notre quotidien, pas seulement noctambule. Tourisme, fringues, ouvertures gay, drogues modernes, environnement de travail, façon de vendre de l’alcool, stratégies pour régner sur les charts et esthéticiennes en total mode Café Del Mar… Tout cela vient du clubbing. Ce que le film montre aussi, avec bienveillance, c’est qu’aujourd’hui, la suite de l’histoire s’écrit principalement dans le monde du fric et du bling. En 2012, quand il s’agit de citer une figure marquante du milieu, ce sont les noms de David Guetta et de Daft Punk qui sortent. Parce que les trois Français réussissent là où tous les autres se sont plantés, peu importe que l’on aime ou non leurs sons: s’imposer commercialement aux Etats-Unis, vendre leurs beats décolorés aux stars du R&B et de l’urban soul. Compter, voire dompter le business.

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Bref, nous sommes arrivés à un moment similaire à celui où s’est retrouvé le rock indé, il y a 20 ans, quand Nirvana et Pearl Jam étaient un peu les David Guetta et Daft Punk de leurs domaines (provocation, okay?) et que des labels créés en réaction aux politiques des majors ont fini par fonctionner plus ou moins de la même façon que leurs contre-modèles d’origine. Nous voilà sans doute à ce point de l’évolution culturelle du clubbing électronique où son underground s’avère incapable d’inventer de nouveaux futurs et se positionne dès lors en gardien du temple et des tables de loi, transformant les utopistes de jadis en puristes empêtrés dans une ritournelle de revivals consciencieux et d’ironie kitsch. A Bruxelles, par le petit bout de la lorgnette, ou juste après la synthèse nettement plus globale du documentaire, s’impose de fait cette idée d’une culture pas du tout morte, mais peut-être bloquée, dont l’avenir le plus probable, évolution ou malédiction, est surtout celui d’une mondialisation économique, donc aussi d’un formatage de fond et de forme. Autant dire que lorsque le visionnage de ce film suit une chaude prestation électro-dub plutôt fraîchement accueillie, on en vient surtout à se dire que si le clubbing a changé le monde, là, maintenant, ça serait peut-être pas mal que nous changions le clubbing. Parce que House Bless You, aussi, quoi, comme dirait l’autre.

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