Le Chocolat show de Roméo Elvis

La scène, c'est son truc. Grande gueule aimant les projecteurs, Roméo Elvis entame une tournée à guichets fermés. © La Straussphère
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Energie dévorante, scénographie pétaradante, invités trois étoiles : samedi soir, le rappeur livrait une prestation énorme, historique même, à Forest National.

A quoi reconnaît-on l’ambiance des « grands soirs » ? Simple : l’électricité. Samedi soir, Forest National ressemblait moins à une salle de concert qu’à un système (très) nerveux en pleine activité, une masse de neurones bouillonnante. Roméo Elvis a réussi son coup : le lendemain de son concert parisien au Zenith, il remplissait les 8500 places de la mythique salle de l’avenue du Globe pour la première belge de sa tournée Chocolat. En vérité, qui en doutait réellement ?

Tout est allé très vite pour le rappeur bruxellois. Alors, il faut suivre. Elever les ambitions, et les moyens. Cela tombe bien, la pression, les défis, Roméo Elvis Johnny Kiki Van Laeken adore ça. Quand le rideau tombe sur la scène de Forest, et que les premières notes de Chocolat résonnent, on cherche le rappeur. Il flotte dans les airs, accroché à filin. Mégalo Roméo ? Plutôt drolatique, silhouette de long pantin dégingandé s’agitant dans le vide. Ce mélange de panache et de second degré, c’est un peu sa marque de fabrique. Celle de la famille Van Laeken-Bibot en général. Pendant le concert, sa soeur Angèle glisse dans une story Instagram : « Mon reuf c Kanye en fait », alors que Roméo est perché sur une plateforme en hauteur, pendant Normal. Lol ? Evidemment. Mais pas tant que ça. Car Roméo a faim. Alors, raccord avec un album copieux, il a décidé de mettre les petits plats dans les grands pour ce Chocolat Tour.

Longtemps, les concerts hip hop se sont contentés du minimum. Roméo Elvis, lui, entend bien proposer un show raccord avec son nouveau statut de rappeur superstar. Ce qui implique une scénographie spectaculaire. Le light show est pétaradant, l’occupation de l’espace ultraefficace et rythmée par plusieurs tours de force : une rampe de leds qui pivote et s’abaisse, jusqu’à quasi écraser le rappeur ; un étage, planqué dans le fond de la scène, qui rétrécit le cadre pour des scènes plus resserrées. C’est par exemple là que Roméo est rejoint par Angèle pour une version de J’ai vu forcément touchante. Frère et soeur se retrouvent ensemble, en ombres chinoises sur une lune rouge-bleue : l’image a déjà fait le tour des Instagram… Ils enchaînent ensuite directement, en redescendant sur scène pour balancer quoi ?, le mégatube Tout oublier évidemment. On est alors déjà à mi-parcours et la température n’a jamais vraiment baissé.

Avec ses musiciens – Victor Defoort à la basse, Sammy Wallens (« c’est lui qui m’a fait jouer pour la première fois à Couleur Café ») à la batterie, le Néerlandais Lennard Vink, DA de l’ombre de Chocolat, aux claviers/guitare (ce solo, hyperpertinent, sur Bébé aime la drogue) et l’ami Benoît -Asian Rocky – Do Quang (machines/guitare/etc), Roméo Elvis alterne quasi systématiquement morceaux de Chocolat et ceux tirés des trois projets Morale, avec Le Motel. Comme par exemple Drôle de question, entamé solo à la guitare, et piqué sur la fin d’un mash-up malin entre Yeux disent de Lomepal et le Macarena de Damso. Bien vu.

Qui allait pouvoir monter sur scène?

L’un des enjeux de la soirée était aussi de voir qui Roméo Elvis allait pouvoir inviter sur scène. Coeur avec les doigts sur Zwangere Guy qui vient rapper sa partie sur le savoureux Kuneditdoen (« We zijn overal »). Aux deux tiers du concert, Roméo est déjà torse nu quand le poto Lomepal le rejoint : et Forest d’exploser, « 1000 degrés dans la soirée ». Au minimum. Dans la fosse, avide de pogo, on n’en attendait pas tant. Ah si : peut-être Caballero (et Jeanjass) sur Bruxelles arrive ? Las, les deux frères pétards du rap belge avaient d’autres obligations (un concert à Angoulême, selon leur calendrier de tournée). Soit. Le passage obligé, est balancé en rappels, à un moment où Roméo a déjà emporté la mise depuis longtemps. En pas loin de deux heures, il l’aura joué smooth (Lenita, Dessert), dur (Pogo, Trois étoiles, Tu vas glisser), intense (Les hommes ne pleurent pas, Normal, Malade en point final). Moral aussi, quand après Ma tête, il prend longuement la parole pour parler de ses acouphènes et mettre en garde (« Protégez-vous, protégez vos petits frères, vos petites soeurs »).

L’envie de bien faire et d’en mettre plein les yeux est là – quitte parfois à se laisser déborder, comme quand, lors de Parano, le rappeur s’agite un peu dans le vide, alors que le climax du morceau n’a pas encore tout à fait été atteint. En plein tourbillon, Roméo fonce. Il a raison. Mais, concentré, affairé, a-t-il l’occasion vraiment d’en profiter, de savourer ? Même quand il assure avoir donné « le meilleur concert de sa vie » (on n’est pas loin de le croire), il n’oublie pas d’ajouter derrière « achetez Chocolat, streamez-le toute la nuit ».

Du côté des spectateurs, en tout cas, on a dégusté et pris plein les yeux. Si on peut avoir parfois des réserves sur certaines maladresses ou parti pris de l’album, la tournée Chocolat devrait mettre tout le monde d’accord. S’il le fallait encore, la prestation, historique, de Roméo Elvis, l’a consacré en showman numero uno du rap game francophone. Impressionnante bête de scène, le king a l’attitude, l’énergie, et le répertoire pour retourner n’importe quelle salle. Comme prochainement le Palais 12, annoncait-il avant de regagner les coulisses ? Toi-même, tu sais…

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