LaSemo J1: bienvenue au pays des bisounours

Emir Kusturica et la No Smoking Orchestra © Joëlle Van Laethem

Entre les prestations des Têtes Raides,Thomas Fersen ou Emir Kusturica, le soleil caresse la peau à LaSemo, les bambins se déhanchent au rythme des cuivres, les gens ramassent spontanément les déchets au sol, on marche pieds nus, et on peut même sourire aux inconnus sans passer pour un déséquilibré ! Un peu de fraîcheur dans ce monde cynique…

Franchir le petit pont qui mène à l’île de l’Oneux, c’est pénétrer dans un autre monde. Un monde où le vilain capitalisme a été abandonné au profit de l’échange de services, où le sarouel est roi, où on mange bio, boit équitable et fume des cigarettes roulées. Plutôt dormir dans des toilettes sèches que donner un centime aux odieux fabricants de cigarettes… Bienvenue au village LaSemo!

Pour les plus blasés d’entre nous, ce microcosme (placé sous le signe du durable) prête à sourire tant tous les clichés du parfait « youkou » sont réunis. Stands de vieilles friperies, atelier tresses, tatouages à l’henné, jongleurs, cracheurs de feu, cuisine indienne, quiches végétariennes, thé à la menthe et smoothies bio. Et chose étrange, tout le monde sourit. Mais pourquoi diable? Le ciel est gris. C’est la crise. La conférence Rio + 20, censée nous préparer un avenir meilleur, est un sacré échec. Il ne reste plus que 166 jours avant la fin du monde. Et comme si tout ça n’était pas suffisant, David Guetta continue de hanter les ondes FM avec sa techno-daube. Non, il n’y a aucune raison de sourire.

Il est 17h45, le monde va mal, et le concert de Barcella va démarrer d’un instant à l’autre. Comme LaSemo c’est pas très grand, on va quand-même marcher les 30 mètres qui nous séparent de la grande scène. C’est ça ou l’atelier tresses. Effort de marche ou torture du cuir chevelu? Le choix est vite fait. D’autant plus qu’il paraît que le mec est talentueux… C’est la chanteuse Camille qui l’a dit. On aimerait la croire sur parole, mais notre nature sceptique nous pousse à aller vérifier par nous même.

Barcella démarre son set avec un morceau intitulé L’insouciance. « C’est une corde à ton arc, une boîte à miracle que la vie t’a donné« . C’est vrai qu’un peu d’insouciance ça ne peut pas faire de mal. C’est que ça fatigue d’avoir le cerveau toujours réglé sur le décompte qui nous sépare de la fin du monde. Laissons à Bruce Willis ce qui appartient à Bruce Willis, et laissons nous donc aller à un peu d’insouciance. Après la troisième chanson, le ciel se dégage, comme par miracle. « On vient de chasser la pluie » lance le chanteur à un public tout sourire. Sous un ciel bleu et soleil de plomb, le français aux origines latines lance alors un « Wa Wa Wa Wa« , et à la foule de répéter après lui. Dès le deuxième « Woo Woo Woo Woo Woo« , on se surprend à chanter avec. La musique et le soleil auront eu raison de nous. Voilà qu’on commence à sourire, danser, chanter et taper dans les mains avec le reste du public. Il paraît que la bonne humeur c’est communicatif. Pendant une heure, le jeune chanteur nous emmène dans son univers fait d’humour et de poésie. Avec la chanson Mixtape, où les mots sont déclamés à un rythme de folie, on finit d’être conquis.

Un peu plus tard, c’est les Têtes Raides qui prennent possession de la grande scène. Leur musique aux parfums de cirque et de poésie parvient sans peine à prolonger l’esprit de fête qui s’est emparé de nous. Le chanteur au chapeau melon de bonimenteur de foire, accompagné d’une section de cuivres survoltée, met le feu à la plaine.

Quand le soleil tombe et que les premières étoiles apparaissent, Thomas Fersen nous emporte très loin de tous les troubles de ce monde avec sa voix douce et rocailleuse. « Thomas, je t’aime… et je suis pas gay » hurle un gars dans le public. Tout le monde est sous le charme du beau français. Ses chansons évoquent les anciens cabarets jazz feutrés, les lumières tamisées et la nostalgie. Après la douce ballade Dracula, c’est avec des chansons plus énergiques que le crooner nous quitte, histoire de préparer le public à ce qui l’attend après.

Après, c’est au tour du cinéaste serbe Emir Kusturica. On s’attendait à un truc bien barré de la part du réalisateur de Black Cat White Cat, et on a été servis. Vêtus de tenues de moines, les Serbes nous livrent un show totalement « what the fuck ». Les premières notes de Wish you were here, un air des balkans, on entrecoupe du thème de la Panthère Noire. On virevolte d’une scène à l’autre au son du No Smoking Orchestra. Hop, on laisse monter sur scène une partie du public qui danse jusque à l’épuisement. Ca finit dans un joyeux bordel. On en veut plus.

La sincérité et la cordialité ambiantes l’auront emporté sur notre pessimisme. L’avenir n’est peut-être pas d’office condamné. Si ça se trouve, dans 166 jours on sera encore là, bien vivants, à toujours subir la daube du DJ d’Ibiza à la radio. Et on se mordra alors les doigts de n’avoir pas réagi plus tôt pour sauver la planète de ces fléaux qui la menacent. A LaSemo, en tout cas, ils en sont convaincus. Et ils proposent même des solutions. Réunies autour du thème « Rio +20, et après? », une vingtaine d’associations viennent apporter des propositions concrètes pour un meilleur avenir. Demain, on ira jeter un oeil, on ne sait jamais que ça nous redonne de l’espoir. Au pire, ça restera toujours moins douloureux qu’une séance de tresses.

Valentine François(stg)

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