La musique ne suffit plus: 5 tendances qui dessinent le futur des festivals

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avant d’attaquer les premiers gros festivals de l’été, décryptage des principales tendances de la collection printemps-été 2017…

C’est parti! Depuis le week-end dernier (avec le Paradise City), et plus encore le suivant (avec Couleur Café et Rock Werchter), la saison 2017 des festivals est officiellement lancée. Sur la ligne de départ, tout le monde se tient prêt. Un oeil rivé sur la météo, un autre sur les affiches, désormais complètes. Au programme, durant deux bons mois, des dizaines d’événements, des milliers de concerts, dispersés un peu partout dans le pays… Qui a dit que la bulle festivalière était sur le point d’éclater? Certes, l’été dernier a pu montrer quelques signes d’essoufflement chez l’un ou l’autre « ténor » du calendrier. La faute au climat post-attentats, auront analysé certains. Peut-être. Aujourd’hui, les choses semblent toutefois être quasiment rentrées dans l’ordre. Rock Werchter devrait à nouveau faire le plein, et Couleur Café semble avoir trouvé une solution satisfaisante à son déménagement de Tour & Taxis.

Cela ne veut pas dire pour autant que le paysage des festivals n’évolue pas. La collection printemps-été 2017 suggérerait même l’inverse: lentement mais sûrement, de nouvelles formes d’événements musicaux s’affirment, offrant des alternatives au modèle historique -en gros, celui d’une grande kermesse rock, plantée au milieu d’une prairie. En inspectant d’un peu plus près le programme des prochaines semaines, voici donc les cinq tendances qui ont déjà commencé à dessiner le futur des festivals.

1. Small is beautiful

Ex-boss du Fuse, à Bruxelles, créateur de l’emblématique festival I Love Techno, Peter Decuypere jongle aujourd’hui entre le marketing événementiel, la philosophie et les conférences qu’il donne tout au long de l’année. En 2016, il résumait encore sa pensée dans l’ouvrage Holy Trinity Events (éditions Lannoo). Pour lui, c’est clair, les festivals mastodontes ne représentent plus l’avenir. « Le week-end dernier, un festival comme le Best Kept Secret, organisé du côté de Tilburg, aux Pays-Bas, a affiché sold out avec seulement 15.000 personnes. » Même constat du côté de Zeebruges: début août, les pieds dans le sable, le festival WeCanDance y célébrera sa cinquième édition cet été. « L’an dernier, il était facilement sold out. Il aurait pu gonfler la jauge, mais il a préféré garder une capacité limitée. De son côté, Couleur Café a profité de son déménagement pour réduire également la voilure et revenir à quelque chose de plus convivial. Pour moi, c’est là que se trouve le futur des festivals: dans des événements à taille plus humaine, plus agréable. »

Ces dernières années, les exemples en la matière se sont en effet multipliés. Qu’il s’agisse du Micro Festival à Liège (tout est dans le titre), ou du Deep in the Woods, organisé en septembre dans le centre de vacances de Massembre. À Bruxelles, du 21 au 27 août, le Hide & Seek, lancé par l’asbl Muziekpublique, proposera quant à lui une série de concerts de musiques du monde dans des lieux inédits (en haut du WTC, à bord d’un tram, dans la piscine des Marolles…). Autant de rendez-vous faisant le pari d’une certaine intimité. En d’autres mots, ce n’est pas la taille d’un festival qui fait sa valeur.

« Quand 50.000 personnes se retrouvent sur une plaine pour regarder le même concert, généralement en se rabattant sur le grand écran, il n’y a pas vraiment de connexions entre elles, poursuit Peter Decuypere. L’expérience est totalement différente dans un chapiteau, même de 5.000 places. » Aujourd’hui, les artistes eux-mêmes ne semblent plus forcément préférer se produire dans les plus gros endroits possibles. Avant de venir jouer à Werchter, Radiohead était par exemple présent au Best Kept Secret. Comment l’événement arrive-t-il à s’offrir une telle tête d’affiche internationale? « Il faudrait vérifier, mais je peux imaginer par exemple que le groupe n’a pas forcément demandé le même cachet…« , glisse Peter Decuypere.

Précision: cela ne veut pas dire que des grands-messes comme Rock Werchter vont disparaître. « En l’occurrence, Werchter reste une marque forte -en gros, le festival où l’on pourra voir un maximum de poids lourds de la scène rock. Mais il va devoir s’adapter et continuer à se réinventer. »

2. Un profil plus affirmé

Longtemps, les festivals se sont acharnés à proposer l’affiche la plus longue possible. Cela continue parfois de faire le charme d’un événement comme Dour, qui programme en cinq jours, quelque neuf scènes, rassemblant des dizaines d’artistes différents. Dans d’autres cas, cependant, la proposition se révèle autrement plus indigeste, se contentant d’aligner les noms sans grande cohérence. « L’an dernier, explique Peter Decuypere, un festival de musiques électroniques comme le Laundry Day, à Anvers, en a un peu payé le prix. Cette année, il a d’ailleurs changé son fusil d’épaule« , en revenant notamment à une programmation un peu plus serrée.

En matière de dance et de programmation à rallonge, le festival-phénomène Tomorrowland a pu donner le ton. Il reste pourtant un événement unique. Ces dernières années, ceux qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu l’ont plutôt fait avec des propositions singulières et une ligne éditoriale sélective. On a déjà évoqué le WeCanDance. Il faut encore parler du Paradise City ou du Horst festival. Si le premier ouvre la saison en juin et l’autre la referme en septembre, tous deux ont pris le pli d’une programmation à la fois accessible et audacieuse, dépliée dans un lieu inédit (un château dans les deux cas). « Regardez encore un nouveau festival comme Fire Is Gold, qui a eu lieu en mai dernier. Il s’est clairement profilé comme le premier festival 100% hip-hop, avec toute la culture urbaine qui y est attachée. »

Fin juin, le Paradise City ouvre traditionnellement la saison des festivals dans le cadre bucolique du château de Ribaucourt, à Perk.
Fin juin, le Paradise City ouvre traditionnellement la saison des festivals dans le cadre bucolique du château de Ribaucourt, à Perk.© DR

3. Primes à l’export

La première édition a eu lieu l’an dernier: organisé en Corse par des Belges, avec une affiche quasi totalement noir-jaune-rouge, le Fly Away a directement affiché complet! Ce n’était visiblement qu’un début. En janvier dernier, le site de référence (Red Bull) Elektropedia titrait ainsi l’un de ses articles: « 2017, l’année où les festivals belges s’exporteront« . C’est surtout vrai pour les événements dance. En la matière, c’est le Tomorrowland qui a montré la voie. En 2013 déjà, il s’offrait une déclinaison américaine (le TomorrowWorld), avant de s’aventurer deux ans plus tard jusqu’au Brésil, en organisant sa grand-messe EDM du côté de São Paulo. Cette année, d’autres organisateurs tentent l’aventure à l’étranger.

C’est par exemple le WeCanDance de Zeebruges, qui a lancé un premier événement en janvier dernier en collaboration avec le collectif Habitas du côté de Tulum, au Mexique. Le club anversois Labyrinth a lui décidé de mettre sur pied un festival électronique en Croatie. Autre exemple: celui du Waking Life, qui sera inauguré le 17 août prochain, à Crato, au nord du Portugal, « dans l’une des régions les plus désertiques du sud de l’Europe« . Derrière l’événement, on retrouve les initiateurs de soirées Roots of Minimal, Hertz (Anvers) et le collectif Moodfamily (Gand). « Mais si l’initiative est belge, l’organisation est plus mélangée et internationale, précise Jens Van Ruyskensvelde. Il y a des Portugais, des Allemands, etc. » Cela fait quatre mois que Jens Van Ruyskensvelde s’est installé sur place pour préparer l’événement. Contacté par téléphone, il explique: « Pendant six ans, on a organisé une série de soirées et d’événements en Belgique. Mais on a commencé à avoir envie d’autre chose. » Le problème est que le festival qu’ils avaient en tête s’est révélé difficile à concrétiser en Belgique. « On a essayé, mais à chaque fois on a buté contre les réticences des autorités. »

L’idée est celle d’un festival immersif de quatre jours, « où il y aurait constamment des choses à vivre et à expérimenter, où l’expression créative pourrait se développer à tout moment. En Belgique, c’est impossible parce que vous devez toujours donner une heure de clôture. Même à Dour, les concerts s’achèvent à cinq heures du matin. » Ce n’est pas le seul facteur déterminant: « Il faut avouer qu’il y a ici plus de chances de vivre un festival sous le soleil… » Quelque 2.500 personnes sont ainsi attendues, dont certaines débarqueront d’Amérique du Sud ou des États-Unis…

Il faut encore noter qu’à l’étranger, d’autres grands festivals ont décliné leur identité sous forme de franchise. Que ce soit le Sonar barcelonais (qui a organisé un festival à Istanbul en début d’année), le Pitchfork américain (qui se pose à Paris), ou encore les Nuits sonores. Organisées à Lyon, elles atterriront en septembre prochain à… Bruxelles.

4. L' »expérience »

Conférences branchées « écolo » au festival parisien We Love Green, workshops électro au Sonar barcelonais, etc. De plus en plus, les événements musicaux ouvrent leur programmation à d’autres disciplines. Cet été, ce sont les Ardentes qui vont élargir leur champ de tir, en accueillant le Wallifornia MusicTech. Soit une sorte de festival parallèle, mêlant « musique, start-up, gaming et nouvelles technologies« . « L’idée, explique Gérôme Vanherf, coordinateur du projet, est de faire vivre une expérience supplémentaire aux festivaliers. Le spectateur est d’abord là pour la musique, pour prendre du bon temps entre potes. Mais en même temps, on lui propose de découvrir de nouvelles choses. » Le MusicTech présentera donc une série d’applis musicales innovantes -par exemple, Playground développée par le collectif verviétois Herrmutt Lobby-, sans pour autant se transformer en simple foire aux start-up. « Il y aura des endroits plus ludiques, comme une zone gaming. On va aussi organiser un « hackathon », en partenariat avec le festival américain South by Southwest: pendant 24 heures, une soixantaine de développeurs et d’experts vont se retrouver dans une même salle pour développer de nouveaux produits qui trouvent une utilité dans le domaine de la musique. » Des conférences sont également prévues, comme celle du musicien électronique français Jacques, qui viendra expliquer ses méthodes de travail…

Mais écrire que le concept du festival monomaniaque, exclusivement dédié à la musique, est dépassé serait évidemment exagéré. N’empêche: les indices s’accumulent. Plus qu’un alignement de concerts, le festival se doit d’être avant tout un « événement total », une « expérience ». C’est le cas par exemple des croisières musicales qui se multiplient (le Tomorrowland organisera sa première en Méditerranée, courant septembre). Pour Peter Decuypere, la tendance est incontestable. « Il existe même aujourd’hui des événements pour lesquels la musique n’est plus qu’un prétexte, une excuse. Ça n’existe pas encore tellement en Europe, mais en Amérique, des rassemblements comme le Burning Man ont quasi totalement évacué la dimension musicale. Pareil pour le Wanderlust« , festival néo-new age, dont le slogan très « développement personnel » est: « Find your true North »

5. Festival tribu

Avant même d’avoir été inauguré, le Nyansapo Fest, festival « afroféministe militant » a créé la polémique. Organisé à Paris du 28 au 30 juillet, il a prévu de proposer des ateliers « non mixtes », réservés aux femmes noires, aux personnes noires et aux femmes « racisées »… Sans aller jusque-là, on peut noter que, ces dernières années, une série d’initiatives ont pris un pli plus communautaire ou simplement revendicatif. Pour exemple, le festival Afropunk, organisé lui aussi à Paris les 15 et 16 juillet. À l’inverse du Nyansapo, il cherche toutefois l’ouverture, proposant de dépasser les a priori et les clichés au sujet des cultures noires. Dans un autre genre, à Amsterdam, le Milk Shake a imaginé une autre manière de décliner la gay pride. Avec une affiche over the kitsch, il s’adresse aux « boys who love girls who love girls who love boys who love boys ».

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