Serge Coosemans

La fin du Macumba, « un grand vide dans un rayon de 200 kilomètres »

Serge Coosemans Chroniqueur

A Neydens, en Haute-Savoie, ce 31 mars 2015, le Macumba, soit le « plus grand ensemble de discothèques d’Europe », fermait définitivement ses portes. Serge Coosemans n’y était pas mais il a lu un bon papier sur le sujet. Sortie de Route, S04E29.

Le 31 mars 2015 fermait à Neydens, en Haute-Savoie, le Macumba. Dans le numéro 2 de la nouvelle revue Society, un long article est consacré à cette disparition du « plus grand ensemble de discothèques d’Europe », dont les murs ont été revendus à Migros, une entreprise suisse active dans la grande distribution, qui va probablement transformer le complexe en supermarché. Dans le langage courant, le Macumba est l’incarnation même de la boîte la plus ringarde de l’univers, là où l’homme n’entre qu’en chemise bien repassée, où le deejay ne joue que le hit-parade, des slows et des bambas, et où se tiennent régulièrement des concours de miss t-shirts mouillés; autrement dit l’antithèse exacte du cool. L’article de Society confirme un peu cela mais raconte aussi une toute autre histoire, aussi amusante qu’étonnante.

C’est en 1977 que Roger Crochet, un ancien coiffeur aujourd’hui âgé de 87 ans, ouvre le Macumba de Neydens, un patelin de 800 habitants qui va soudainement attirer tout un tas de fêtards de Marseille, de Lyon, d’Annecy, de Suisse et même d’Italie. C’est un ensemble de 6 discothèques, avec chacune sa propre ambiance, et quelques restaurants, dont un grill de nuit, à l’époque quelque-chose d’inédit dans la région. Fanfaron, Crochet prétend que c’est Frank Sinatra en personne, avec qui il aurait été associé, qui lui a donné l’idée d’importer ce concept très américain, très Las Vegas, en Europe. Un premier Macumba ouvre à Alicante, un deuxième à Bordeaux (ou à Montpellier, en 1962, selon les sources). Puis, il s’en propage un peu partout en France. « La rentabilité d’un Macumba, qui coûtait au montage entre 15 et 17 millions de francs était telle qu’on pouvait en ouvrir un nouveau presque chaque année », raconte Crochet.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

C’est durant les années 80 que le nom de Macumba (ou Macumba Night) commence à servir de ressort comique pour se moquer des discothèques ringardes. Les Inconnus l’utilisent dans plusieurs de leurs sketchs, notamment Les Pétasses en 1989, qui met en scène un trio d’idiotes du Sud hésitant entre le New Pimps et le Macumba au moment de sortir draguer. Plus proche de nous, entre 2000 et 2002, dans son Morning Live, le pitoyable Michael Youn interprète quant à lui de façon récurrente le personnage du DJ Michel Michel, responsable d’ambiance au Macumba Night. En réalité, le Macumba, du moins celui de Neydens, n’était pas si ringard que ça. Certes, on y était très fier de ses lasers, on y organisait des soirées « Prestige », « mousse » et des shows « Playboy », on y graillait du steak avant de retourner draguer mais on y était surtout habitué à prendre le train des tendances au moment où elles basculaient de l’underground au mainstream. C’est du moins ce que dit l’article. Sur Yelp, on parle plutôt de boucan excessif, de consommations chères, de DJ qui parle sur les morceaux, de salsa ennuyeuse et de déco toute pourrie.

Quoi qu’il en soit, l’apogée du Macumba remonte aux années 90 et y sont alors notamment bookés Laurent Garnier, Daft Punk et Jeff Mills. DJ Nico, « qui envoyait du lourd avec ses vinyles » explique dans l’article avoir fait « des trucs de fous, comme de faire danser les gens alors que le DJ, Carl Cox, était en duplex depuis les Etats-Unis ou l’Angleterre ». Il raconte aussi que malgré une tenace réputation de discothèque « un peu beauf », quand « le hit des clubs nous demandait nos références pour les compiles, ils ne connaissaient rien. C’étaient des vinyles sortis à 500 exemplaires. »

Il n’y pas que les stars de la techno qui ont été bookées au Mac, comme l’appelaient les habitués. Pour Roger Crochet, le secret du succès, c’est de varier les plaisirs, donner à chacun ce qu’il attend. On a donc aussi vu des stars de la télé-réalité animer des jeux dont le vainqueur remportait une journée à Saint-Tropez avec Loana, des soirées Miss Gros Lolos, des Coyote Girls qui offraient un Pepsi gratuit aux filles qui retiraient leurs soutiens-gorge dans la file. Ça payait, ces foutaises. Les soirs de semaine, on pouvait espérer croiser 5000 fêtards, 9000 les week-ends, dont une bonne moitié de Suisses. Parfois moins, parce qu’il semble admis que le Macumba avait perdu de sa superbe depuis un gros incendie, il y a dix ans. L’ambiance avait changé, au fond, c’était effectivement peut-être bien assez ringard. Le Macumba était surtout une affaire de famille, dixit l’article de Society. Crochet a raccroché, ses héritiers aussi, c’est fini pour de bon. « C’est la fin d’une institution de la nuit, puis du jour et de la nuit, qui va laisser un grand vide dans un rayon de 200 kilomètres », écrit Society, concluant le papier par la réflexion de deux clientes dépitées: « Qu’est-ce qu’on va faire? On va se trouver des chaussures pour courir. Ou s’acheter un vélo. »

Crochet lui, va ouvrir un bar à tapas du côté de Nice. Le fooding est l’avenir du nightclubbing, haha.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content