La fête à la maison

Lundi, c’est Fibonacci. Soucieux d’aborder tous les aspects de la nuit du fêtard, notre chroniqueur Guillermo Guiz partage ses impressions domestiques. « Night in, Night out », épisode 36.

Ca commence par une question, une nouvelle question: peut-on mourir d’une odeur? Une odeur où les poils nasaux se hérissent comme la crinière d’un pauvre zèbre pris en chasse par une lionne aux hormones. Une odeur scandaleuse, assassine, rugueuse et inventive. Le lieu? Mon appartement. Le contexte? Un lendemain de fête, samedi matin. Dans la fulgurante série « ne dites rien à mon propriétaire si vous ne voulez pas que je vous gratte une nuit d’hospitalité façon Michel Blanc » (série injustement méconnue), le parquet tire une tronche magistrale: de brun bois, il est passé à noir Michel Leeb, celui du cirage pour ses sketches de rascard. On s’y sent bien cela dit, sur le parquet. Si bien qu’il faut des quadriceps vigoureux pour s’en extraire, pas après pas, tant la mixture alcool renversé, soft renversé, chewing-gums renversés VS shakers de semelles rend les lattes boisées, pointillés par une saillie de talons aiguilles, attachantes comme un enfant du Télévie. Ca sent la mort. Les mégots se tripotent dans des gobelets en plastiques devenus brunâtres. Bière, chips, vin et spiritueux se répandent sur les tables, le sol, les vêtements, les serviettes mouillées. Faut trier, ranger, laver, retrouver dans des recoins improbables l’expression d’une joie nocturne véritable, à défaut d’être véritablement contrôlée. Organiser une fête, c’est s’exposer au Godzilla de la crasse. Ce qui, dans un appartement de célibataire, ressemble furieusement à un assaut Kalachnikov sur une ambulance.

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Tout a commencé par un prétexte. Un nouveau colocataire? Vendu! One life, one life only, s’agit pas de traîner en chemin, même si les voisins se verraient bien, un filet de sang sur les babines, ficeler du boudin avec mes entrailles. En maudissant ma vitalité légendaire jusqu’à la fin des temps. Mais organiser une fête, avant même d’aller dévaliser le Colruyt (combien de bouteilles de vodka ? Je prends du gin?), c’est s’exposer au choix des convives. Biches, amis, ex, connaissances, DJ’s, naturiste, futures (ex), fantasmes, copains, présentatrices, collègues, renvois d’ascenseur: organiser une fête, quand on est un garçon discret et impopulaire, c’est s’exposer à voir un dixième seulement de ses invités répondre à cet appel de la sociabilité et de la bonne entente. Puis en voir une trentaine d’autres débarquer, sans qu’on sache ni de Pomme ni d’Adam (fallait pas me chercher), quel nom peut bien se coucher sur leur carte d’identité. C’est aussi ça, la soif conjointe d’entrain et de reconnaissance: s’exposer au regard d’inconnus venus, par hasard, parce qu’il y avait de la lumière. Dans ce lot de visages tout neufs, heureusement, se glissent ci et là quelques perles de la symétrie faciale et quelques authentiques champions de la gaudriole. Souvent accompagnés, d’ailleurs, de leur propre ravitaillement en alcool. Dans les fêtes à domicile, ce sont toujours les softs qui finissent par manquer.

Dans les fêtes à domicile, il y a toujours quelqu’un qui arrive le premier. En disant, pour la farce, « tiens, on dirait que je suis le premier ». La réussite d’une fête à domicile dépend souvent du premier débarqué. Idéalement, ce doit être un bon copain. Au moins un bon copain. Comme Nicolas B. Quelqu’un avec qui converser en confiance, de choses et d’autres choses, sans devoir à tout prix répéter, gêné, en stress maîtrisé: « Les gens vont arriver plus tard je pense. C’est toujours comme ça. » Parce que, de fait, les gens arrivent toujours plus tard. C’est toujours comme ça. Les timides pour ne saluer personne. Les winners pour saluer tout le monde. Alors, forcément, la big fiesta démarre en plan thérapie collective. Ca dure deux heures, en général, le temps d’accumuler suffisamment d’invités pour dépasser le quota de chaises. Là, ça décolle un peu. Avoir un bon copain comme premier débarqué, ça permet aussi de pouvoir fignoler sa playlist en toute tranquillité. Une playlist qui, au final, ne servira d’ailleurs pas à grand-chose: dans les fêtes à domicile, les invités ne l’entendent essentiellement pas, parce qu’ils sont à 80% perchés sur les cendriers, près des fenêtres, et parce que les baffles, amassés de l’autre côté de la pièce, ont la jacobine manie d’abhorrer la décentralisation. Ah oui, aussi, dans les fêtes à domicile, tout le monde veut passer son morceau qui tue sur Youtube. I Follow Rivers de Lykke Li (remixé par The Magician), par exemple. Au moins dix-sept fois. Vraiment dix-sept fois. De suite. Merci Daniel C. Tiens, ça fait dix-huit là.

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Dans les fêtes domestiques, Jérôme Naturel, nu comme une confession intime, se fait tatouer les fesses au Stift indélébile. Des coeurs et des prénoms de jeunes filles. Traitement de faveur? Pas vraiment. Le lendemain, entre le mal de crâne et la serpillère, suis passé chez ma boulangère préférée, le bras rouge de ferveur, tatoué lui aussi par l’enthousiasme globalisé dans les derniers soubresauts de la party. En descendant les escaliers, après les fêtes domestiques, tu te fais tout petit-Sarkozy pour ne croiser personne, aucun voisin, tu cherches, le coeur palpeur, les mots d’insultes sur ta porte, sur la porte d’entrée, dans ta boîte aux lettres ou sur ton automobile. Tu te dis, c’est forcé, que les derniers partis ont cogné les portes d’en bas après avoir passé, à fond les ballons malgré l’heure tardive (4h environ), des morceaux qui tuent sur Youtube. En dansant comme à la discothèque. En fait, les voisins sont tolérants. Ou morts. Je ne vois pas d’autre explication, comme disaient E & R, comiques mal aimés. Dans les fêtes à domicile, toujours il y a une fille qui perd sa veste. Et un ustensile de cuisine qui casse. Et une autre fille qui, trop cassée pour supporter l’abondance d’Eristoff, finit par squatter ton lit (si elle est jolie, c’est mardi gras, sinon c’est galère). C’est toujours comme ça. Dans les fêtes à la maison, l’hôte ne s’amuse pas vraiment, il manage. Peut pas être trop démonté. Ni trop sobre. Sert des verres. Tente de rapprocher les gens. Gère ses ex. Fait le beau. Se positionne avec ses futures. Prend des photos. Finit par se laisser avoir par la sangria. Et aime tout le monde. Tente de minimiser les retombées de la fête sur ses relations de voisinage. Avant de lâcher prise. Bref, la fête à domicile, c’est toute une histoire.

Après la fête à domicile, normalement, tu vieillis d’une douzaine d’années. Tu récupères en 2017. Même Tiga, griffonné de longue date dans l’agenda de tes bastonnades, ne parvient pas à t’extirper de ta léthargie. « C’était canon, t’as raté quelque chose!!! » Evidemment que c’était canon, samedi, Tiga au Libertine. Mais avec l’énergie et la vigueur d’une laitue diabétique, tu te dis que, vu le monde que Tiga va ramener, vaut mieux laisser ton espace à plus méritant, à plus enthousiaste. Et rester comater au lit. Pareil pour Chinese Man au Mirano. Et ça, c’est la faute au parquet de la fête domestique, celui qui rit quand on l’astique. Dans les fêtes à domicile, les invités deviennent friends, sur Facebook, le lendemain. Et s’ils s’accouplent, ont beaucoup d’enfants et remplissent leur déclaration fiscale à temps, ta fête aura fait du bien à l’humanité. Comme disait en son temps Popeck, porté par l’amour de la phrase bien dite, c’est toujours ça de pris sur l’ennemi. D’ici là, pour en avoir le coeur net, t’as qu’à venir la prochaine fois. Rideau

Guillermo Guiz

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