Serge Coosemans

« La droite pour les nuls », par Jesse Hughes, leader des Zemmours of Death Metal

Serge Coosemans Chroniqueur

Madame? Madââââme!!! Y a Jesse Hughes qui fait rien que m’embêter. -Ah bon, qu’est-ce qu’il a encore fait celui-là, mon petit Bobo? -Y dit que ze suis un Bizounours et que les Zarabes, c’est tous des zégorzeurs de poules… -Oh, Bobo… Tu sais bien que Jesse Hughes n’a pas tous ses petits morceaux de poulet dans le même burrito. Pourquoi encore faire toute une histoire de ce qu’il peut bien déblatérer entre deux passages au centre PMS, hein? -Mais pask’il dit la même choze que Jean Jambon et Marine Lapine, Madame! Pop-culture, islamophobie, kékés de droite et carambolages, voici le Crash Test S01E36.

Un peu partout dans la presse, on a lu cette semaine que Jesse Hughes, le chanteur des Eagles of Death Metal, avait répété ses accusations à l’encontre du personnel de sécurité du Bataclan, qu’il soupçonne de complicité avec les terroristes du 13 novembre 2015. Comme notre charcutier ministre Jambon, il aurait aussi vu des musulmans danser dans les rues de Paris alors que l’opération de police n’était pas terminée. Résultat des courses: deux festivals français, Le Cabaret Vert et La Route du Rock, annulent ses concerts prévus cet été. À la source de ce chômage idéologique, il y a donc cette interview accordée à Taki’s Magazine. Edité à New-York, financé par un riche ressortissant grec, c’est un webzine qui se prétend libertarien mais est en réalité plutôt issu de la vieille droite bigote. En 2013, il publia notamment un article très favorable à l’Aube Dorée, ce parti politique hellène ouvertement nostalgique du régime des Colonels et du Troisième Reich. Bien qu’assez foutraque, plutôt intellectuellement limité même, Taki’s est sinon fier de ses plumes de poids, parmi lesquelles Pat Buchanan, politicien jurassique américain ayant travaillé pour Nixon, Ford et Reagan tout en niant l’importance du camp d’extermination de Treblinka et en défendant des thèses suprémacistes; ainsi que Gavin McInnes, l’un des fondateurs de Vice Magazine, mariolle quadragénaire un moment considéré comme « le plus hipster des hipsters », avant qu’il ne rencontre Dieu et ne retienne d’une conversation avec Lui que l’avortement, c’est encore plus dégueulasse que la sodomie le dimanche. C’est ce même Gavin McInnes qui interviewe Jesse Hughes le temps de cette interview polémique.

Cette précision a son importance parce que McInnes y va fort, lui aussi. « Il n’est pas possible de nier que la peur de l’islamophobie et la peur des armes ont mené cette nuit-là à beaucoup de morts », dit-il en parlant du Bataclan. Avant de renchérir: « la peur d’offenser les musulmans est la meilleure arme des terroristes », « le politiquement correct tue ». Il se confie à Hughes: « J’étais à Paris après les attaques et le manque de rage m’a dégoûté. Ils n’accusaient pas l’Islam. En fait, beaucoup accusaient les juifs. Ils semblaient plus concernés par la promotion de la xénophobie que de blamer les terroristes. » McInnes ne se montre pas que bassement raciste mais aussi totalement farfelu: « Dans les films, tu ne vois jamais de méchants terroristes arabes. Il s’agit toujours d’Allemands et de Français… » Bref, cette interview est menée par quelqu’un ayant une vision très élastique de la réalité, ce qui met sans doute Jesse Hughes en confiance pour lui aussi complètement se lâcher, prétendant donc principalement que les terroristes étaient déjà présents dans la salle avant l’ouverture des portes au public et que des musulmans ont dansé en rue pendant l’assaut des forces de police. Mais aussi que l’un de ses amis aurait été dans l’après-midi longuement fixé par Salah Abdeslam (qui, selon l’enquête, n’a pourtant jamais mis les pieds au Bataclan). Jesse Hughes dit avoir interprété cela comme de la jalousie typiquement arabe (« arab envy » dans le texte), parce que selon lui, quand « un musulman croise un Américain tatoué et sûr de lui, il le fixe ». Il explique à McInnes que sa copine, d’origine mexicaine, est la seule de sa bande à qui un membre de la sécurité jusque-là fort taiseux et qu’il suppose lui aussi musulman a parlé. Parce qu’il la prenait sans doute pour une arabe et pensait donc éventuellement l’avertir du massacre à venir.

© DR/via Dangerous Minds

En Europe, Jesse Hughes a sinon compris un truc essentiel: le politiquement correct n’est pas la faute des bobos mais bien de « l’argent arabe qui circule et influence le dialogue ». Quel argent? Celui du foot, celui que trahissent les maillots « United Arab Emirates » portés par beaucoup de joueurs. Le bobo n’est pas totalement exempt de fautes, cela dit. Au Bataclan, il a ainsi vu une fille à genoux se faire descendre sous ses yeux alors qu’elle suppliait le terroriste de la laisser vivre. Jesse Hughes en tire comme conclusion qu’elle avait déjà renoncé à vivre et ce « surrendering to death » donne par ailleurs son titre à l’article. McInnes demande carrément à Hughes si on peut dire que c’est la mentalité libérale qui a créé ce besoin de de s’aplatir, de renoncer. Réponse: « Ils (les terroristes, NdlR) savent qu’il y a tout un groupe de gamins blancs qui sont stupides et aveugles. Tu as ces gamins blancs influents qui ont grandi dans un environnement libéral depuis le jardin d’enfants, inondés par ces notions qui ne sont que de l’air chaud. Regarde ce qu’ils sont devenus. »

Musulmans partout, sulfateuses nulle part

L’échange n’est pas qu’ignoble et insultant pour les morts, c’est surtout un énorme tissu de conneries, une conversation entre deux beaufs qui pensent connaître le monde parce qu’ils voyagent beaucoup mais n’ont visiblement aucune idée du discours politique, médiatique et populaire européen, où le musulman prend généralement cher; ni même une réelle connaissance de leur propre cinéma national, où le basané oriental reste plutôt chelou dans des productions aussi récentes qu’American Sniper, London Has Fallen et Lone Survivor ainsi que dans des séries télévisées comme 24, Sleeper Cell et Homeland. Je pense aussi qu’à la question des économies nationales inondées d’argent arabe,

George W. Bush et Dick Cheney ont éventuellement bien plus de choses à avouer que les footeux européens. En fait, McInnes et Hughes ne font que crâner dans cette interview et c’est aussi carrément grotesque, à leurs âges, d’avoir l’air de penser qu’armés de leurs petits pistolets après quelques séances au stand de tir, ils deviendraient pif-paf l’équivalent héroïque de Vin Diesel au moment de réagir à une attaque kamikaze à l’arme de guerre et aux explosifs menée par des types militairement entraînés pour commettre un carnage. La conversation se veut libre, osée, vraie, dure, alors que ce n’est qu’un touche-pipi plutôt grossier entre un Jesse Hughes qui était déjà à moitié cinglé avant l’attaque et a vraisemblablement le ciboulot complètement en vrille depuis et un Gavin McInnes qui a, quant à lui, du se griller le cerveau aux alentours de 1995, en fumant de crack coupé au Roundup (titre de l’éventuel article pour Vice « J’ai fumé du crack coupé au Roundup en compagnie de deux transsexuels russes et d’un chihuahua »). Et fait depuis de cette infirmité son fonds de commerce.

Basta, Tatayet!

Là où ça devient carnassier et donc rigolo, c’est que ce que radotent sur Taki’s McInnes et Hughes n’est en fait pas très différent de ce que radotent ailleurs Jan Jambon, Eric Zemmour, Alain Destexhe, Denis Ducarme, certains Républicains français et non des moindres, le FN, la NVA, la branche dure du MR, une moitié d’Autrichiens, pas mal de Hongrois, ainsi qu’une poignée d’élus britanniques, pour n’en citer que quelques-uns. Eux aussi basent plus ou moins ouvertement leurs envolées droitières sur le politiquement correct qui tue plus que la kalachnikov djihadiste, la bisounoursisation des esprits, le milliard de musulmans vu comme un bloc idéologique uni et ennemi, le voile considéré comme un signe ostentatoire de sabotage des valeurs occidentales, etc… Chez McInnes et Hughes, c’est dit en termes simples, sur le ton conversationnel, c’est la droite pour les nuls. Dans la politique et du côté éditorial de certaines gazettes, le fond n’est pas très différent, ce n’est que la forme qui se fait plus péremptoire et arrogante encore, utilise un vocabulaire davantage recherché, du chiffre éventuellement tronqué, de la sociologie de bazar et des éléments tirés d’études et de rapports souvent bien douteux.

Ces discours qui « osent la vérité » et ces promesses de « basta, le politiquement correct » ont donc malgré tout pas mal en commun avec cette conversation sur Taki’s Magazine où s’expriment deux vieux gosses issus du monde du sexe et de la drogue et dont les QI combinés doivent à peine dépasser celui de la musaraigne adolescente. Dès lors, si on se met à interdire Jesse Hughes de festival, autant y aller à fond et aussi boycotter le politicien cherchant à justifier son racisme inné par des fantasmes d’invasions islamo-gauchistes planifiées, virer les éditorialistes vedettes des gazettes lues sur le pot par votre grand-mère bigote espérant toujours que le petit Jésus nous rende un jour le Congo et le service militaire et smicardiser le patron qui utilise le personnel politique comme Michel Dejeneffe manipule Tatayet, c’est-à-dire par derrière. Sinon, ça ne sert strictement à rien. Se donner bonne conscience aux frais d’un quasi-handicapé mental qui devrait chanter avec un entonnoir sur la tête interviewé par un pseudo-journaliste autoproclamé ex-roi des hipsters qui vous désherbe toujours un champ de maïs en pissant dessus, à quoi bon?

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