La comédie humaine de Peter Peter

Je suis incohérent, mais est-ce que l'histoire est bonne?, chante le Québecois sur son nouvel album. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur le nouveau Super Comédie, le Québécois Peter Peter approfondit sa pop mélancolique, en équilibre instable, à coup de synthés vaporeux et de refrains tourmentés. C’est beau, une chanson qui tangue.

Quand il a débarqué à Paris depuis son Québec natal, Peter Peter a eu besoin d’évacuer. Le stress, l’angoisse, tout ça. Les escaliers de la Butte Montmartre, grimpés plusieurs fois de suite en courant, ont pu aider. Six ans plus tard, il s’est calmé. Un peu. « Cela devenait mauvais pour le dos. Alors aujourd’hui, je préfère courir dans le parc Monceau. Je me mets aussi moins dans le rouge. Chacun est différent, mais si vous regardez les statistiques, en descendant en dessous des cinq minutes et quelques secondes du kilomètre, vous usez plus vite le coeur et vous augmentez le risque de maladie cardio-vasculaire. Aujourd’hui, je ne dois pas trop m’inquiéter. Mais dans 20 ans, par exemple? Je commence à y penser. J’apprends à vivre en fait, à trouver un équilibre, à être moins dans l’excès. » Peter Peter n’as pas toujours été comme ça. « Non, c’est vrai. Mais je me rends compte que l’on n’est pas éternel. Ni indispensable (rires ). Super Comédie parle un peu de ça. »

Jusqu’ici, la musique de Peter Peter trouvait volontiers sa liberté et sa poésie dans les excès d’une adolescence éternelle. C’était le romantisme pop synthétique d’Une version améliorée de la tristesse, sorti ici en 2014, emmené notamment par le mini-tube Carrousel. Entre les lignes, le disque racontait – « tout, ou presque, dans ce que je chante est vrai »– le parcours et les errances de Peter Roy, de son vrai nom, né en 1984, du côté de Chicoutimi, à peine 70.000 habitants au centre de la Belle Province. C’est là qu’il grandit jusqu’à ses 11 ans, seul avec sa mère, avant de déménager pour Québec. On comprend que le passage vers l’âge adulte est, sinon turbulent, en tout cas déstabilisant. On l’imagine volontiers en personnage de Larry Clark, teenager slacker découvrant rock, drogue et alcool dans une seule et même ivresse. « Comme beaucoup d’ados, j’étais inspiré par les poètes maudits, toute une iconographie de la rock star aussi. Je vais toujours avoir un intérêt pour ce genre de vie-là. Mais je n’ai plus l’impression de chercher à tout prix à brûler la chandelle par les deux bouts. Je suis plus « contrôlant ». Avant, je faisais la tournée des bars, fauché. Je savais que je ne pouvais pas vraiment me le permettre. Mais j’y allais quand même. Quand j’allais chercher de l’argent au distributeur, je cachais l’écran avec ma main pour ne pas voir le solde. » (rires)

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Aujourd’hui, Peter Peter est plus prudent. Les finances ne sont pas inépuisables. Et la vie non plus. Sur son nouvel album, Super Comédie, sorti au début de l’automne, il commence par chanter: « Pendant cette courte éternité, j’ai pensé longuement ». Réflexion existentielle qui a pu s’emballer, et tourner à l’angoisse. Sur les remerciements de l’album, Peter Peter salue ainsi SOS Médecins, l’hôpital Bichat, etc. « Je vais bien, je vous rassure (sourire). Je dois juste suivre l’un ou l’autre truc. Mais pendant la conception de l’album, j’ai pu pas mal cogiter, à chercher dans le corps ce qui n’allait pas, sans savoir si c’était éventuellement fatal. J’ai appris que ma grand-mère, par exemple, était morte assez jeune d’un cancer du colon. J’ai voulu investiguer, creuser un peu. En cours de route, j’ai perdu un peu les pédales. » Il a fallu autant soigner que rassurer. Pour finir par découvrir que tout va bien, mais aussi, qu’en se rapprochant doucement mais sûrement des 40 ans, « j’aime vivre en fait »

La fin d’un monde

Entre Paris et Montréal, essais et erreurs, Peter Peter a donc donné une autre tournure à sa pop sentimentale, rajoutant des guitares (Commun maintenant), mais sans tout à fait abandonner le brouillard des synthés. « Avec le précédent Eden noir (en 2017, NDLR), j’ai eu l’impression de m’être arrêté un peu à mi-chemin. Sur celui-ci, j’ai voulu aller au bout de mes idées, être capable d’assumer un échec commercial. » Mais encore? Dans Conversation, sous influence Daho, il chante par exemple: « Je me fais à l’idée de ne faire partie que du paysage ». « J’ai parfaitement conscience d’être dans un format qui n’est plus beaucoup écouté aujourd’hui. Il suffit de jeter un oeil aux chiffres de Spotify. Je sais que je tombe dans une niche. Mais au moins, c’est l’album que je voulais faire. »

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On y retrouve cette même poésie trouble, cette voix flottante, quasi androgyne par moment. Jamais avare d’un refrain tord-coeur, Super Comédie ne s’est pas forcément éloigné beaucoup du romantisme synthétique qui a fait connaître le Québécois. Il lui donne juste une autre dimension, plus adulte, toujours alimenté par les tourments intérieurs, mais aussi désormais par les tensions de l’époque. « Je ne sais pas si ce disque est le dernier dans cette veine-là, romantique. Mais j’ai peut-être envie aujourd’hui d’aller en effet vers des trucs plus tournés vers l’extérieur. Parce que j’ai forcément des opinions, mais sans vouloir pour autant glisser dans la posture de l’artiste engagé, je suis un peu trop rebelle pour commencer à afficher mes « bonnes vertus ». » Peter Peter chante donc ses amours (et « ses cheveux couleur Pays-Bas » sur Extraordinaire), ses angoisses (« Je suis incohérent, mais est-ce que l’histoire est bonne? » sur Conversation) ou ses regrets ( « Si on m’avait dit que c’était si court je n’aurais pas compté les heures », sur Super Comédie). Mais aussi des morceaux comme Nature obscène ou Damnatio Memoriae, à l’origine condamnation post mortem à l’oubli dans la Rome antique, que Peter Peter relit à la lumière à la fois de la cancel culture et du droit à l’oubli. Ailleurs, joliment mélancolique, il clame encore que Les mariés ont disparu. « J’y ai mis pas mal de choses différentes. On peut le prendre comme une chanson sur la fin d’un certain monde, ou simplement, au pied de la lettre, un morceau assez sombre sur un amour qui s’étiole et meurt à petit feu. Ce qui est toujours triste, mais qui n’arrive pas forcément dans chaque relation. » Ouf…

Peter Peter, Super Comédie, distribué par Audiogramme. ***(*)

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