L’histoire foudroyante de Marc Bolan

Ses points communs avec Bowie? Une bisexualité généreuse, un obsessionnel amour des fringues, et une ambition musicale au-delà de toute raison. © GETTY IMAGES
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Un album de reprises par un casting star -Nick Cave, Devendra Banhart, Peaches, U2…- ramène l’histoire foudroyante de Marc Bolan et de T. Rex. Get It On!

16 septembre 1977. Premier concert d’Iggy Pop en Belgique au ciné Roma d’Anvers. Show outrageux qui tourne bizarre lorsque le Nijinski rock dédie son prochain titre à Marc Bolan, camarade via la connexion Bowie. Crashé en voiture à quatre heures du matin le jour même, dans la banlieue sud de Londres, à deux semaines de ses 30 ans. Mort instantanée du premier roi du glam, mod sixties, rival/ami de Bowie, faiseur de hits gluants, poète cosmique. Physique préraphaélite tout en boucles, aux flamboyances vestimentaires. Objet entre 1971 et 1973 d’une frémissante trexmania, la plus hystérique relation pop à la jeunesse anglaise depuis les Beatles. La Mini du couple, conduite par la fiancée Gloria Jones, s’est encastrée dans un platane: elle s’en tire avec de multiples fractures, lui pas. Prémonition? Bolan, amateur de bagnoles, propriétaire d’une Rolls blanche, n’avait pas le permis de conduire, craignant un jour l’accident fatal. Aujourd’hui encore, des fleurs et une stèle à Barnes, lieu du désastre, attestent que les décennies n’ont pas effacé l’impact considérable de Bolan. Né Mark Feld le 30 septembre 1947 dans l’est londonien, d’un père conducteur de camion, juif ashkénaze, et d’une mère anglaise, tenancière d’un étal de fruits à Soho. Quand Gloria Jones, sortant de l’hôpital, pourra regagner la propriété de Richmond des Bolan, ce sera pour constater que les fans se sont introduits dans la maison du couple pour en piller toutes les traces bolaniennes. Photos, fringues, souvenirs.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Dandysme

Les bios sur Bolan attestent que pour avancer dans la vie, Mark Feld n’a jamais vraiment hésité à faire valoir ses atours physiques de dandy, mini par la taille -1,65 mètre- maximal par le désir de ressembler à ses lectures à quatre épingles comme la bio de Beau Brummell, précurseur au XVIIIe des fashionistos . Réputation d’ailleurs partagée avec son contemporain David Jones Bowie dans le même champ de bataille du Londres sixties. Comme points communs? Une bisexualité généreuse, un obsessionnel amour des fringues, et une ambition musicale au-delà de toute raison. Alors Bolan prend un peu d’avance sur Bowie: on coche sa participation à John’s Children, éphémère groupe managé par Simon Napier-Bell, avec lequel il entretient d’emblée une relation sexuée. Pas grave pour un sapiens, qui d’après un documentaire anglais de 2007, perd sa virginité à l’âge de… neuf ans. Tout cela ne ferait le quotidien banalisé du Sun ou du News of the World si Bolan n’établissait au fil du temps, un réel talent musical. Profondément nourri des pionniers rock’n’roll Chuck Berry ou Eddie Cochran, source d’énergie américaine qui télescope la contre-culture d’époque. Celle qui vénère les bouquins d’anticipation de Ray Bradbury et l’ésotérisme dark de HP Lovecraft: par-dessus tout, Bolan est fasciné par la production high fantaisy de Tolkien, Le Hobbit et la trilogie du Seigneur des anneaux. Ces graines-là, plus la découverte de l’occultisme, façonnent celui qui est désormais davantage hippie mystico-sidéral que porteur de tweed pincé Carnaby Street.

T. Rex à Wembley en 1972.
T. Rex à Wembley en 1972.© GETTY IMAGES

Cosmique bab’

Bolan installe sur la scène anglaise de 1967 un duo folk-psyché baptisé Tyrannosaurus Rex, suite à un rêve impliquant l’apparition de la fameuse bébête préhistorique. Toujours dans les mêmes humeurs fantasmagoriques, l’autre musicien du Rex, Stephen Ross Porter, a choisi le pseudo de Steve Peregrin Took, oui le Pipin du Seigneur des anneaux. Ambiance cosmique et chansons centrées sur la guitare acoustique/voix de Bolan et les bongos de Took, celui-ci ayant dû initialement vendre sa batterie pour payer le loyer… Entre alors en scène, ou plutôt en studio, Tony Visconti, Américain en exil londonien et futur partenaire essentiel de Bowie. Visconti produit entre 1968 et début 1974 pas moins de neuf albums avec Bolan. Quatre sous le nom de Tyrannosaurus Rex, le solde sous celui de T. Rex, soit la mutation d’un folk cosmique bab’ au triomphe pop qui lance le glam sur le marché international. Et propulse Bolan en superstar. Avec le recul, la discographie de Tyrannosaurus semble ésotérique, tarabiscotée, voire un rien fumeuse, à l’instar du tout premier LP baptisé My People Were Fair and Had Sky in Their Hair… But Now They’re Content to Wear Stars on Their Brows. Un demi-siècle plus tard, ces premiers disques semblent grandement sous influence, notamment dylanienne (Hot Rod Mama), multipliant les allusions aux sorciers, magiciens, étoiles, licornes, comètes, fées, nains et autres acteurs d’une cosmogonie dilatée. Le bouche-à- oreille est aidé par le vif support radio de John Peel qui, de plus, ne cesse de mentionner Tyrannosaurus Rex dans ses colonnes de l’International Times , le Guardian de la contre-culture. Tout cela donne peu à peu à Bolan des galons dans l’Angleterre underground, celui des soirées communautaires trippantes ou des nuits sans fin à la Roundhouse de Camden Town. Les choses changent quand la guitare de Bolan passe à l’électricité. Une première fois sur King of the Rumbling Spires, single paru fin juillet 1969, et puis, globalement, sur le quatrième album du duo, A Beard of Stars, en mars de l’année suivante.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Destination Glam

Entre ces deux dates, Bolan vire Took: lessivé par le LSD, celui-ci en est venu à imaginer de verser de l’acide dans les canalisations de Londres… Place à Mickey Finn, autre joueur de bongos et congas, poussant les choeurs du duo qui abrège son nom en T. Rex pour un premier single sous ce patronyme, en octobre 1970, Ride a White Swan. Une voix susurrée à l’extrême, des riffs de guitare aguicheuse, une rythmique métronomique au tambourin -pas de batterie- des cordes de velours et des choeurs angéliques. La mélodie têtue met onze semaines à escalader les charts anglais, pour y décrocher sa plus haute position: numéro 2 le 23 janvier 1971. Bolan se retrouve brusquement en inventeur glam: fringues outrancières, possiblement ridicules, sexualité sans frontières et féminisation globale des mecs. Surgit une brigade d’artistes glamisés dans un grand écart: celui qui sépare l’intelligentsia Bowie et Roxy Music des populos Slade, Sweet, Suzi Quatro, Mud et Gary Glitter. Le tout sur le marché ultra-réactif aux 45 tours qui, pendant les trois années suivantes, sortent en rafales et troublent la vieille Albion redevenue pubère. Et moins spectaculairement mais quand même, le jeune public du continent européen. Les États-Unis hormis pour Get It On –qui entre dans son Top 10- restent indifférents au déluge de make up, accouchent des New York Dolls fringuées en grandes folles, du copieur bowiesque Jobriath et des vilains Kiss, snobant la Trexmania. Où le groupe -bientôt augmenté du bassiste Steve Currie et du batteur Bill Legend- décroche pas moins de quatre singles numéro 1 et autant de numéros 2 en Grande-Bretagne, en moins de 24 mois. L’album Electric Warrior (septembre 1971), lui, s’installe au top anglais huit semaines durant et devient la plus grosse vente de l’année outre-Manche. Bolan, qui écrit toutes les chansons, apparaît désormais maquillé précieux, fringué de satin, de pantalons au-delà du moulant et de platform boots casse-gueule. D’une voracité pop qui côtoie une forme de romantisme exacerbé nuancé de poésie mythologique. Improbable chimie qui fait vaciller les filles, principalement.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Diva

Hot Love, Get It On, Jeepster, Telegram Sam, Metal Guru, Children of the Revolution, Solid Gold Easy Action, 20th Century Boy: la série platine s’interrompt avec The Groover. Sorti au tout début de l’été 1973, le titre n’est que numéro 4 en Grande-Bretagne et signe la prochaine déchéance commerciale de Bolan, qui plus jamais n’entrera dans le Top 10 anglais. La formule musicale semble avoir brûlé toutes ses réserves de pétrole: The Groover évoque (trop) ses prédécesseurs sans en avoir l’électricité contagieuse. Quand T. Rex donne son seul concert belge, le 24 mars 1973 dans un Forest National moyennement garni, la performance est incertaine, l’énergie en baisse, la routine notable. Déception. Passé de dandy à diva, Bolan a plongé dans un brouillard de coke et de brandy, snobe depuis longtemps le découvreur John Peel -moins sensible à T. Rex qu’à Tyrannosaurus- et s’affiche désormais en superstar, melon enflé au quotidien. Bolan et les albums de T. Rex s’enlisent donc: Zinc Alloy and the Hidden Riders of Tomorrow (février 1974), Bolan’s Zip Gun (février 1975), Futuristic Dragon (janvier 1976) sont d’humiliants échecs commerciaux, de plus flingués par la critique. Puis, comme le voudrait un scénario hollywoodien, arrive la rédemption. Après trois années d’étoile fanée, Bolan et T. Rex reviennent en mars 1977 avec un douzième album, Dandy In the Underworld. La plage titulaire est brillante, les mélodies juteuses, l’instrumentation large, les tempos éclectiques, la voix en état de grâce, les choeurs ô combien fraternels. Le disque, artistiquement produit par Bolan, atteint la 26e place des charts britanniques -meilleure performance depuis 1974- et reçoit l’adoubement journalistique comme celui de la génération punk. The Damned assument la première partie de la tournée, à succès, de T. Rex du printemps 1977 et les oracles se présentent d’autant mieux que Bolan est, à l’été, au centre d’une série de six shows TV, Marc, sur la chaîne privée Granada. Il y ressuscite les classiques de T. Rex, invite les groupes du moment -Generation X, Eddie & The Hot Rods, The Jam- et termine le dernier show avec Bowie qui balance Heroes et partage une jam bluesy avec Marc alors que le générique fin se déroule. L’épisode final d’un retour qui annonce, peut-être, de grandes choses, est diffusé le 28 septembre 1977, huit jours après la crémation de Bolan et la dispersion sur la pelouse de Golders Green où se trouvent aussi les cendres de Sigmund Freud. Paisible destination finale que l’on visite en 2019, non sans avoir un pincement au coeur pour ces chansons si talentueuses, peu faites pour mourir.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
« AngelHeaded Hipster »

Distribué par BMG-Warner.

L'histoire foudroyante de Marc Bolan

Bolan et T. Rex seront inducted cet automne 2020 au Rock Hall of Fame. D’où cette compilation de 26 titres et autant d’interprètes. C’est trop, d’autant que le côté forcément mille-feuille du genre, malgré le talent du producteur Hal Willner -fauché par le Covid en avril 2020- s’avère un rien agaçant. Surtout lorsque les mégastars font de l’inutile copycat (U2 avec Elton John), de la reprise peu imaginative (Kesha, Joan, Jett) voire de l’autoparodie de leur propre molécule musicale (Peaches, Lucinda Williams). Mais le bonheur s’y trouve quand même: dans l’impeccable version de Cosmic Dancer finement jouée par Nick Cave et dans tous ces chanteurs/euses a priori de série B, voire C, qui magnifient le matériel vintage. Comme Borns qui booste formidablement un titre de 1976, Dawn Storm, ou l’Américain John Cameron Mitchell, qui récupère l’également peu connu Diamond Meadows pour flirter avec la flamboyance. Celle que Marc Bolan a voulu porter jusqu’au bout, et que cette éclectique entreprise de reprises, pousse à redécouvrir via les originaux. Testament glam résistant aux modes, y compris en septembre 2020.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content