Laurent Raphaël

L’édito: Bruxelles est une fête

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Bruxellois, Bruxelloises, bombez fièrement le torse, la France salue votre génie. Comme on a encore Coluche collé au plafond, on s’est d’abord méfié, supputant le coup tordu ou la condescendance, mais non, après analyse, cette déclaration d’amour a bien l’air sincère.

Un indice qui ne trompe pas: Les Inrocks, la bible de la branchitude parisienne, a dépêché sur place ses troupes d’élite pour décrypter les secrets de fabrication du breuvage artistique local. Balade en compagnie d’Efira sur les traces de sa jeunesse à… Molenbeek, interview calinou avec les petits poussins de cette flambée créative, Roméo Elvis et Angèle, présentation de quelques hauts lieux, confidentiels ou historiques, du renouveau arty… À travers ce portrait flatteur qui fait passer Bruxelles pour une annexe de Berlin, on éprouve la sensation étrange de se regarder dans un miroir bienveillant mais légèrement déformant. Si on ne redécouvre pas sa ville, on prend mieux conscience de ses atouts, mal mis en valeur dans ce bric-à-bras architectural et cet enfer urbanistique et institutionnel.

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On retiendra surtout les mots qui reviennent en boucle dans la bouche des Belges de souche comme des Français expatriés -débrouillardise, convivialité, esprit DIY, cosmopolitisme…-, qu’on a souvent perçus comme des tares, et qui peuvent effectivement être de solides handicaps quand il s’agit de piloter ce bateau ivre, mais se révèlent un terreau punk fertile pour qui veut planter sa petite graine créative. Ne nous voilons pas la face non plus, lire sous la plume de Paris que « Bruxelles is the new cool« , ça fait du bien à l’ego, surtout deux ans seulement après avoir été déclaré trou à rats du monde par l’autre clown et plongé pour une durée indéterminée dans le coma touristique.

Si on y regarde de plus près, les signes de pollinisation de la vie culturelle françaises par les petites abeilles noir-jaune-rouge se sont multipliés ces dernières années: à Avignon, cela fait un bail que les Belges, ATDK et Fabre en tête, bousculent le répertoire. Même si ce qui cartonne ici c’est surtout le minimalisme sensuel et l’extravagance burlesque à la flamande. Des ingrédients qui entrent aussi dans la composition de l’ADN zinneke bruxellois, carrefour de toutes les identités belges. Le cinéma a bien sûr ouvert la voie, avec les Dardenne, Lafosse et aujourd’hui les Guillaume Senez ou Marta Bergman, qui porteront nos couleurs sur la Croisette.

Ce qui a changé par rapport aux premières vagues d’artistes belges qui ont été adoptés voire naturalisés par nos voisins, les Jean-Philippe Toussaint, les Poelvoorde et avant eux les Brel ou les Annie Cordy, c’est que la nouvelle génération n’est pas allée à Paris chercher la fortune et la reconnaissance qui lui échappaient ici. Les Damso, Hamza ou Myriam Leroy se sont fait un nom à domicile, et c’est Internet et la machine à buzz qui ont alerté nos voisins.

Ce n’est sans doute pas un hasard si un autre projet majeur scelle cette entente franco-belge. Et pour le coup, on n’est pas dans le feu de paille mais dans le grand incendie. En confiant les rênes artistiques du nouveau musée d’art contemporain au centre Pompidou, Bruxelles fait un peu d’ombre à ses propres talents. Mais ne soyons toutefois pas mauvais gagnants. Comme l’explique Bernard Blistène (lire le Vif du 3 avril), l’art transcende les frontières et les collaborations avec les acteurs du cru vont naturellement s’emboîter. Tout en veillant à ce que les fiançailles ne tournent pas à l’OPA, on doit donc se réjouir de voir briller un nouveau phare culturel dans le ciel gris de la capitale.

Voilà qui met un peu d’eau dans le vin aigre servi notamment par Jean Quatremer, le procureur en chef français des travers de la capitale. Tout ça ne nous rendra certes pas la fluidité des grands axes, ni la propreté des trottoirs, ni la permission de deux heures du mat sur la place Flagey. Mais ce courant d’air frais disperse un peu les particules de mauvaise humeur. Attention juste à ce que le succès ne nous monte pas à la tête. Regardez ce qui est arrivé à Stromae: il a failli exploser en plein vol. Car contrairement à ce qu’il aimerait faire croire, le Bruxellois n’est pas un dikkenek dans l’âme. Vous lui promettez l’amour, il serait bien fichu d’y croire. Le Bruxellois c’est un peu le type que décrit le grand Jacques, celui qui « Brûle encore, bien qu’ayant tout brûlé. Brûle encore, même trop, même mal. Pour atteindre à s’en écarteler. Pour atteindre l’inaccessible étoile. »

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