L’art d’être Innocents

Jipé et Jean-Chri, le duo survivant des Innocents: "Pouvoir jouer une chanson juste en guitare-voix, c'est pas mal et c'est un peu notre snobisme." © YANN ORHAN
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Bien boisé en mélodies et voix contagieuses, le nouvel album du duo parisien, 6 1/2, propose quelques chansons sur les temps anxiogènes et ceux qui passent.

Désormais, pour faire partie des Innocents, on présume qu’il faut être parisien, porter un prénom composé et être de taille moyenne. Naître en 1962, c’est bien aussi. Jean-Philippe Nataf -Jipé- et Jean-Christophe Urbain -Jean-Chri- partagent également les origines d’une classe moyenne française, père médecin pour le premier, commercial pour le second. Avec une madeleine persistante d’anglophilie prononcée, particulièrement beatlesienne, qui ramène donc inévitablement au temps qui file comme du sable dans une paume ouverte. « Oui, le temps qui passe nous pend au nez », rigole Jean-Chri, aussitôt repris en chorus par Jipé. « Faut pas oublier que notre deuxième single, en 1988 (…) s’appelait Et le temps n’attend pas. Mais là, on fantasmait ce qu’on allait en penser plus tard. À l’époque, c’était juste un thème à aborder dans une chanson, comme l’amour. Histoire de faire voyager les gens. Aujourd’hui, c’est plutôt quelque chose que l’on porte sur le visage, mais aussi dans nos artères et notre façon de travailler (sourire). » C’est en 1988 aussi que Jean-Chri intègre -initialement aux claviers- Les Innocents, fondé par Jipé six années auparavant. Alors un vrai groupe dont le personnel fluctue au fil du temps, comme le succès d’ailleurs. Cinq albums paraissent entre 1989 et 1999, mais le triomphe commercial de Fous à lier -un demi-million d’exemplaires vendus plus les tubes Un homme extraordinaire et L’autre Finistère– ne résiste par au second millénaire. Il faudra treize années de séparation avant qu’en 2013, les deux seuls Jean reforment le groupe et proposent, dans la foulée, l’album Mandarine en 2015.

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De cette séparation des Innocents pendant une dizaine d’années, on peut dire qu’elle fut la conséquence de l’échec d’un quatrième album (éponyme) enregistré dans le luxe campagnard de Real World (le studio de Peter Gabriel), mais aussi de lassitude humaine entre les deux protagonistes principaux. Ce qui n’empêche pas les deux Jean de se recroiser assez vite, notamment sur les travaux solos de Jipé: « C’était déjà une aventure dingue d’avoir travaillé pendant dix ans auparavant, une croisade avec beaucoup d’énergie. Au fil du temps, ce qui nous plaît, c’est peut-être davantage le côté compositeur: pouvoir jouer une chanson juste en guitare-voix, c’est pas mal et c’est un peu notre snobisme », pose son comparse Jean-Chri. Jipé: « C’est pire que cela. Lorsqu’on est revenus pour Mandarine, on s’est permis de convoquer les labels et de leur jouer cinq-six chansons en guitare-voix, à deux, plutôt que de leur envoyer des démos! Même s’il peut aussi y avoir des étapes de sophistication, d’essais, avant de comprendre qu’un titre fonctionne dans le format d’interprétation le plus simple. Et puis, Jean-Chri, qui est un très bon musicien, va chercher le bon pinceau tout de suite: il aime les outils, cela l’excite. Mais quand on se montre une chanson pour la première fois, l’autre qui n’est pas passé par votre cortex raisonne comme un auditeur, un petit peu plus que lambda, et va repérer le titre qui lui donne un crush. » La difficulté étant de ne pas se laisser piéger par une histoire commune de 30 ans: contrairement à son prédécesseur, 6 1/2 s’est travaillé chacun de son côté, prenant un peu de recul, tout en gardant à l’esprit que Jipé comme Jean-Chri ont « un tiroir à domicile qui se prête bien au costume des Innocents, c’est-à-dire placer la voix en surface et entendre aussi la mélodie. Les deux, texte et musique, se renvoient constamment la balle. »

Tongue-in-cheek

Si Jipé, tout gosse, a bien été emmené voir Brassens par son papa, que la chanson est forcément dans l’air français des années 60-70, Les Innocents sont d’abord de quintessence pop anglo-saxonne, les références étant plutôt  » Al Green, Elvis Costello ou Bruce Springsteen« , selon Jipé. C’est eux qu’il a en tête lors des débuts du groupe, pour les premières fois devant le micro à assumer des émotions vocales. Une marque de fabrique ni vraiment rock, ni variété, chantée quasi systématiquement à deux voix, avec l’ombre beatlesienne de deux compositeurs aux univers différents mais unis dans un moteur commun. Sur Mandarine, Jean-Chri avait plutôt un rôle de producteur, participant peu à l’écriture. Contrairement au présent disque où « sa plume s’est avérée dans les deux-trois premiers textes, très impudique, très déliée. Dans des titres comme Quand la nuit tombe ou Aime-moi. Du coup, j’ai pris le contre-pied dans des chansons avec un peu plus de tongue-in-cheek, d’humour, parce que j’avais peur que l’on se retrouve avec trop d’émotion! » Et la quête de l’ultime chanson dans cette aventure? Jean-Chri: « Je pense que pour 6 1/2, il y a eu moins de doute qu’à l’habitude dans la composition, parce qu’on était déjà revenus une fois, on avait pas mal tourné et donc l’impression d’avoir une vie extrêmement remplie. Ce qui retire le doute. » Mais ne change rien à l’objectif des Innocents, maintenant défini par Jipé: « On recherche des sensations, comme un cuisinier ou un ostéopathe, une consolation et un plaisir immédiats. » Mission joliment remplie.

Les Innocents – « 6 1/2 »

Distribué par Sony Music. ***(*)

En concert le 11/07 au Festival au Carré, à Mons.

L'art d'être Innocents

« On pourrait appeler notre style, le chanter pop. » Soit un genre apparemment poncé jusqu’au coeur (d’artichaut) de la chanson, mais plutôt le fait de savants dosages voix-guitares et plus si affinités. Comme l’orgue Hammond gourmand sur Les Îles d’amnésie. Enregistré l’été dernier à l’ICP bruxellois, cet album exploite le même modus vivendi : faire rêver devant une chanson, même s’il y a des cauchemars comme ceux des migrations refoulées par une Europe barricadée (Quand la nuit tombe). Ce qui pourrait n’être qu’un ramassis de clichés -comme une grande part de la variétoche française- se décline en fines lamelles émotionnelles, y compris dans De quoi suis-je mort? ou ce Slow#1, catalogue répertoriant le genre collé-collé qui reste dans la psyché. Peut-être quand on a oublié tout le reste.

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