Critique | Musique

L’album de la semaine: Luke Sital-Singh – The Fire Inside

Luke Sital-Singh © David Robson
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

POP | L’Anglais Luke Sital-Singh déboute l’époque neurasthénique via un premier album de pop extatique teinté de spleen majeur. Une dose de feelgoodisme qui ne se refuse pas.

L'album de la semaine: Luke Sital-Singh - The Fire Inside
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On a oublié les vertus thérapeutiques de la musique, comme héritage vaguement honteux des années 70-80, lorsque The Waterboys, XTC, voire le Costello initial, usent du cynisme britannique pour tutoyer les anges d’une gloire supposée. Déjà dans un contexte de pleine déprime socio-économique qui vire bientôt au thatchérisme. En particulier, le premier groupe, emmené par Mike Scott, recycle des oripeaux folk en panégyrique rock comme tentative élégiaque de repousser la mort et ses éventuels désagréments. Pas vraiment power-pop au sens américain, celui qui depuis les seventies Todd Rundgren/Eric Carmen recule aussi les limites d’un genre manufacturé en tubes, disons de My Sharona de The Knack à Surrender de Cheap Trick. Si la béatitude a toujours eu mauvaise presse critique, le public l’a bue et consommée en masse, essentiellement pour ses qualités, ben oui, mélodiques.

Pas intégralement Xanax

Ce qui conduit au Sud-Londonien Sital-Singh qui dans la foulée de trois EP remarqués -notamment par le BBC Sound of 2014- propose d’abord une voix. Quand ce mec de 25 ans chante, cela provoque forcément une agitation de l’épine dorsale: autre chose que tous ces vocalistes en gélules fatiguées ou incapables de grimper la note, Luke slalome entre la certitude du mâle alpha -un peu- et l’ambiguïté d’une part définitivement féminine du larynx. Putain de chanteur. D’où la comparaison avec Damien Rice, mais Luke n’a pas la vocation intégralement Xanax de l’Irlandais, sauf peut-être dans les textes livrés avec une poésie candide. Bon, si la pop se jaugeait sur sa métaphysique, cela se saurait depuis longtemps: non là, Luke SS part au charbon piocher des diamants. Cherchez l’erreur sauf que, de ces vieilles casseroles mille fois bouillies, des maussades saillies de grisou 2.0, il extrait douze titres lumineux, juteux, clairs, largement orchestrés et viscéralement radiophoniques. De l’air, de l’espace et, excusez le mot, de l’espoir. Réussissant là où U2 échoue depuis un bout de temps: galvaniser l’auditeur en l’emmenant vers les cimes fantasmées de grandeur musicale, ces moments cons, abstraits et merveilleux qui grillent la réalité. Il y en a plein, à commencer par le titre qui ouvre l’album en fanfare, Nothing Stays The Same, mais celui-là comme d’autres -sublime Lilywhite– ont cette qualité récurrente de résister à l’analyse. Ils contiennent un élément intime, déjà éprouvé des tubes muraux de Phil Spector au hip pop cocoon de Stromae: dessiner un sentiment commun, vivre une aventure et transformer le cafard en triomphe. Créer un lien charnel avec une chanson. Qui n’aura peut-être aucune prise sur notre réel mais en donne néanmoins l’intense illusion. Cette drogue-là, on le sait, n’a pas de prix.

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