Critique | Musique

L’album de la semaine: Earl Sweatshirt, « I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside »

Earl Sweatshirt © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Flippant: sur son nouvel album, le rappeur Earl Sweatshirt dépèce encore un peu plus son flow droopy et ses beats anxiogènes. Less is more…

Sous ses airs de grosse feignasse, Earl Sweatshirt est un petit malin. Tout juste sorti, son nouvel album, I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside, atteint à peine la demi-heure. Vingt-neuf minutes cinquante-six secondes pour être exact. C’est peu. Mais bien assez long pour se faire une idée de l’univers du rappeur. Sweatshirt en a bien conscience: à s’étaler davantage, le risque était grand de perdre l’oreille, même curieuse. C’est qu’on ne s’aventure pas sans risque dans le hip hop poisseux et visqueux du bonhomme…

A 21 ans, Earl Sweatshirt a déjà deux albums (Earl en 2010, Doris en 2013) et toute une histoire derrière lui. Thebe Neruda Kgositsile de son vrai nom (Los Angeles, 1994) est le fils du poète-activiste sud-africain Keorapetse Kgositsile. Affilié au gang/collectif hip hop Odd Future, le gamin a rapidement marqué les esprits. De par son flow chamallow d’abord; son jeune âge ensuite; sa dégaine enfin -taille mosquito et regard bovin, dans lequel on décèle pêle-mêle une grosse dose de spleen ado, pas mal de weed, et surtout de nombreuses heures à jouer devant un écran ou à mater des films de série Z, trop nombreuses en tout cas pour réussir à se lever avant midi. La jeunesse est un naufrage, et Earl Sweatshirt a toujours semblé prendre un malin plaisir à se laisser dériver…

Maman Sweatshirt veille toutefois au grain. Franchement pas rassurée par les vidéos de zombies que son fils tournait avec ses camarades d’Odd Future, Cheryl Harris -une prof de Droit de l’Université de Californie- avait fini par envoyer le fiston en internat. Huit mille kilomètres plus loin quand même, aux îles Samoa, à la Coral Reef Academy, un centre thérapeutique pour jeunes « en difficulté ». Earl y aura nagé avec les baleines, regardé l’intégrale de The Mentalist et lu l’autobiographie de Malcolm X. Ouf, sauvé… Enfin, on s’entend: de retour, Sweatshirt n’a pas changé grand-chose à sa diction droopy et ses ambiances tordues.

Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un oeil à son dernier « single » Grief, et à la vidéo qui l’accompagne. Entre deux grognements étouffés, Sweatshirt balance ses rimes claustrophobes, plongé dans le noir, son profil uniquement identifié par des caméras thermiques. Flippant. Deux ans après Doris, le nouveau I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside semble en fait avoir enlevé les dernières décorations superflues. Les invités par exemple sont toujours là, mais moins nombreux (Vince Staples, Wiki…), regroupés en fin de disque. Ce qui laisse toute latitude à Earl pour tracer ses beats lourds et décharnés. Huey a beau ouvrir l’album avec un orgue un peu ivre, presque rigolo, derrière c’est ombre et brouillard. Du groove sombre et étouffé de Mantra au quasi-surplace de DNA, en passant par l’errance nocturne et solitaire de Faucet, Earl dessine un album sombre, insulaire. Avec I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside, il ne rajoute en fait rien à l’équation. Au contraire, il la simplifie. Le trip proposé étant réduit au minimum. Ce qui le rend encore plus anxiogène certes. Mais aussi toujours plus fascinant.

  • Earl Sweatshirt, « I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside », distribué par Sony

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