Critique | Musique

L’album de la semaine: Babx – Cristal automatique #1

Babx © Julien Mignot
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

CHANSON | Sur son nouvel album, le premier sur son propre label, Babx chante les mots de Rimbaud, Kerouac, Baudelaire… Et en dégage toute la sève vénéneuse. Magie noire!

Cela commence par des voix, qui s’entremêlent: celle de Kerouac, Léo Ferré… Une Conversation, au cours de laquelle on entend notamment Prévert asséner: « Moi, la poésie, je ne sais pas ce que c’est. » Ce à quoi Artaud répond dans la foulée: « Magie noire! » Vraiment? Il y a en tout cas de ça dans ce Cristal automatique, nouvel album aussi vénéneux qu’hypnotique, signé Babx.

Cela fait déjà un moment que l’on suit le bonhomme, né David Babin (1981). Trois disques jusqu’ici au compteur (le dernier Drones personnels, en 2013), et des collaborations avec les chanteuses L et Camélia Jordana. Mais une reconnaissance qui tarde à venir. Trop intello, Babx? Trop abscons pour toucher le fameux « grand public »? Voire pire: un artiste pour critiques musique? Ce serait commode. Mais non. Rien de tout cela. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter ses chansons touchées par la grâce que sont Lettera ou Helsinki, ou de se pencher sur les évidences pop de Je ne t’ai jamais aimé ou Naomi aime. A la limite, Babx a peut-être juste eu le tort jusqu’ici de s’accrocher un peu trop fort à ses fantasmes musicaux, sans trop se soucier des modes du moment.

A cet égard, ce n’est pas son nouveau projet qui devrait changer les choses… En soi, Cristal automatique n’est pas compliqué. Album se penchant sur une dizaine de poèmes -sortis de plumes aussi brûlées et écorchées que celles de Rimbaud, Baudelaire, Jean Genet, Kerouac ou même Tom Waits-, il a néanmoins besoin d’un peu de temps pour s’apprécier. Ce n’est ainsi pas prendre de grand risque que de prédire qu’il ne devrait pas se retrouver au sommet du Top 50 -puisque, pour être clair, il n’est pas fait pour tout le monde: il est fait pour vous.

Comme un bison

A l’origine du projet, il y a une invitation des Correspondances de Manosque. En 2014, le festival littéraire proposait à Babx de mettre en musique quelques-uns de ses poèmes favoris. Ceux-ci se retrouvent aujourd’hui au générique du premier volume de Cristal automatique. Largué par sa maison de disques, Babx en a profité par la même occasion pour prendre le maquis et lancer son propre label, microstructure baptisée BisonBison. Le nom est une référence au Québécois Gaston Miron, dont la poésie sonne ici comme une déclaration d’intention: « Moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir/la tête en bas comme un bison dans son destin »… Les mots sont extraits de La Marche à l’amour, le texte le plus célèbre de Miron, dont Babx donne une version qui remue, retourne, en un mot, chamboule.

Poésie et musique partagent une longue histoire commune. Pour autant, comme prévient Ferré, au début du disque: « Il ne faut pas déposer de la musique le long de n’importe quel vers, comme ça, histoire de faire des chansons. » C’est bien là la plus grande réussite de ce Cristal automatique, qui fait ressortir toute la musicalité des textes. Ne se contentant jamais de réciter, Babx fait tempêter Rimbaud (Le Bal des pendus), organise la rencontre entre Bashung et Baudelaire (La Mort des amants), susurre du Tom Waits (Watch Her Disappear), ou vire quasi mystique, shaman distillant les mots d’Aimé Césaire sur une note unique. La sienne.

DISTRIBUÉ PAR BISONBISON.

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