Critique | Musique

Josh T. Pearson – Last of the Country Gentlemen

COUNTRY FOLK | Le solo d’un semi-inconnu américain, Last of the Country Gentlemen, bouleverse la notion même de country-folk, emmenant sa douleur à des hauteurs liturgiques. Attention chef-d’oeuvre.

Le choc musical, c’est comme la mort: on ne sait jamais ni quand ni comment il va s’inviter dans la maison. Ces dernières semaines, il n’est certainement pas arrivé avec les attendus de saison: c’est un euphémisme de dire que ni R.E.M., ni Radiohead, ni The Strokes n’ont sorti de grand disque. Et puis déboule ce CD promo sous couverture anonyme avec un lettrage western.

Comme dans un mauvais film au ralenti, on se rappelle l’avoir mis dans le mange-disques et entendu la première chanson dont la grammaire rappelait un vieux gospel d’Elvis (How Great Thou Art). Ici, c’est Thou Art Loosed avec ce Thou qui n’est jamais qu’une façon de conjuguer le « tu » dans l’ultime forme de respect . Et là, on reste transi par la voix malléable et venteuse courant avec une telle liberté sur les accords cristallins de la guitare acoustique. Exactement avec l’impression que ce sentiment trop fort pourrait s’évaporer dans l’instant. La seconde plage, Sweetheart I Ain’t Your Christ, vient effacer ces craintes, glissant une main sur notre épaule, comme un ami dans des moments noirs. Avec un sens de la proximité et de l’intime complètement désarçonnant: on comprend vite que Pearson nous adresse sa douleur autant qu’il ne la jette à une supposée force divine, qu’il chante ses blessures sans intention de les déguiser en métaphores artistiques. Le morceau -de 11 minutes 45 secondes- est, littéralement, une lamentation comme on peut en bâtir dans des musiques religieuses, soufi ou autre, sauf que Pearson, né au Texas (en 1974), use d’un country-folk sépulcral pour embaumer ses plaies ouvertes. D’où aussi ces bribes de chanson de Noël passées au tamis d’un chemin de croix personnel: la voix a des fissures qu’on ne peut pas feindre, avec d’étranges connections, comme une citation de Simon & Garfunkel (Hello darkness, my old friend).

Sweet Home Alabama

A ce stade de l’écoute, il reste 5 morceaux, dont 3 dépassent les 10 minutes: l’intensité persistera jusqu’à la dernière note suspendue de Drive Her Out, parfois aidée d’un violon implorant on ne sait quelle grâce (Woman, When I’ve Raised Hell). Comme dans toutes les situations où la musique est exceptionnelle, on est renvoyé à ses propres fantômes, ses brumes d’échecs passés. Josh exprime ses angoisses indéfinies, la fin de son mariage, et les doutes sur sa foi, lui, le fils d’un pasteur pentecôtiste prêchant dans le circuit des paroisses reculées d’Alabama. De ce miroir, on choisira les veines ouvertes qui nous conviennent ou on passera à des plaisirs plus abstraits. En pensant que ce type, membre du fugace groupe texan Lift To Experience (un album en 2001), a réussi un disque intégralement cathartique, adjectif volontiers balancé au gré des reviews, histoire de mettre un nom à tant de tristesse humaine. Mais là, ben oui, c’est vrai. Et l’impression en est colossale.

Josh T. Pearson, Last of the Country Gentlemen, distribué par EMI. *****

www.joshtpearson.co.uk

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Philippe Cornet

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