Hoshi « l’effrayante », encore une chronique 100% boomer!

Hoshi, ici sur la scène des Victoires de la Musique en 2020. © ISOPIX/David Niviere/ABACAPRESS.COM
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Et si la chanteuse Hoshi, cible récente d’une critique très commentée et complètement WTF sur une radio française, était malgré tout bel et bien « effrayante »? Pas physiquement, bien sûr. Mais pour ce qu’elle représente, notamment toute cette appropriation par la variétoche d’une culture jusqu’ici très alternative? Crash Test S06E31, l’avis de boomer de la semaine!

Chaque semaine ou presque, suite à une grosse polémique sur les réseaux sociaux, je découvre l’existence d’un ou d’une artiste de la chanson visiblement immensément populaire qui m’était pourtant jusque-là complètement passé(e) sous le radar. Normal: je n’écoute pas la radio, je ne regarde pas la télévision, je ne lis pas ce qui se raconte dans les gazettes musicales. Joie dans la chaumière: ces dernières semaines, mes oreilles ont principalement été bercées par Ariel Pink, Don Cherry, Giuliano Sorgini et de la vieille new-wave. Mon monde, mon plaisir, mon bunker aussi. Je n’en ai tout simplement rien à foutre de ce qui cartonne, de toutes ces « musiques urbaines » à la mode, de toutes ces chansons de variétoche que mes jeunes voisins écoutent sous la douche à toute blinde et qui s’entend aussi dans certains magasins. Je ne ressens aucune curiosité, aucun attrait pour ça. Mais j’ai beau tenir mes oreilles loin de ce tsunami de soupe, il y aura donc toujours bien quelque chose dans l’actualité ou sur Twitter pour m’en signaler la prospérité. L’exemple le plus parlant: sans cet attentat islamiste qui a tué 23 personnes à Manchester en 2017 dans l’enceinte de l’un de ses concerts, je n’aurais jamais entendu parler d’Ariana Grande. Dont je n’ai cela dit toujours pas entendu la moindre chanson. Autre exemple notable: à la sortie de son premier album, un article du journal Libération aussi hilarant qu’assassin a complètement dégommé Eddy de Pretto. Sans la fronde de réseaux sociaux en mode « on ne peut plus faire ça, c’est violenter son ressenti« , je n’aurais jamais été mis au courant de l’existence de ce zouave. Dont je n’ai depuis entendu qu’une demi-chanson.

Il y a quelques jours, alors que je calais pas mal sur l’album Jeopardy de The Sound, sorti en 1980, c’est de Hoshi dont j’ai appris l’existence via Twitter, après que cette chanteuse française se soit, en gros, fait traiter de boudin à la radio par un certain Fabien Lecoeuvre, chroniqueur depuis suspendu. J’exagère à peine, en substance, ce type a vraiment balancé en direct sur antenne que cette Hoshi avait beaucoup de talent mais qu’elle était moche, « effrayante » même, et qu’elle ferait donc mieux de refiler ses chansons à une femme aussi belle que « Sheila à ses 20 ans« , histoire d’un peu davantage faire rêver le public. Bref, voilà qu’en avril 2021, un expert de l’expertise niveau Hanouna nous ressort pépouze le même argument tout rance et déjà ringard en 1940 du « physique difficile » qui n’a pas empêché Edith Piaf, Serge Gainsbourg, Simone Signoret et Annie Girardot dans le cinéma et bien d’autres encore de mener les exemplaires carrières que l’on sait. La cerise sur le gâteau étant que cette Hoshi n’est en réalité pas du tout physiquement repoussante, plutôt même le genre de fille que l’on croise par grappes dans l’indie et le punk. Cela dit, vérification faite, c’est vrai qu’elle est effrayante.

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Pas physiquement, donc. Plutôt pour ce qu’elle représente. Du moins pour quelqu’un comme moi, plus tout jeune et qui porte sur ce genre de musique la même oreille qu’un mélomane habitué à Brahms et Mozart a des chances de porter sur tous ces groupes que j’adore; tous en perfecto ou en blazers sombres, tous chantant du nez des refrains incluant le mot « cigarettes » et tous adeptes du solo de basse à deux doigts. N’en demeure pas moins que ces Hoshi, Aloïse Sauvage, Eddy de Pretto et autres Pomme m’effraient, oui. Toute cette vague musicale française actuelle où la variétoche la plus putassière s’approprie culturellement le hip-hop, la trap, la techno, l’Intelligent Dance Music et quelques autres genres encore jusqu’ici très alternatifs… Cette impression de constamment se fader des wannabe Fréhel produites par des wannabe Aphex Twin ou des wannabe Kanye West. Ce même phrasé glaireux plus ou moins ouvertement racaille. Ces mêmes tics de langage, cette respiration un peu difficile entre les mots, cette impression qu’ils et elles se la jouent systématiquement foncedés puisque c’est comme ça que l’on parle perché ou en descente de substances. Cette façon de chanter souvent très technique, ramenarde, jamais naturelle, avec l’autotune en pilote automatique. Ces mêmes looks improbables, entre fripes achetées au kilo et craquage chez Desingual le premier samedi des soldes. Cette même panoplie de tatouages pourtant censés annoncer un individualisme farouche, ces mêmes regards faussement durs. Cette attitude « bâtards sensibles » surjouée. Tout cela est bien entendu complètement fabriqué mais vu que David Bowie et les Beatles aussi étaient largement fabriqués, on va maintenant laisser cet aspect pas du tout intéressant et juste caricatural de côté.

Pour moi, le plus effrayant n’est en effet pas la forme. L’image n’a qu’un temps, elle ne durera pas. Elle évoluera. Ce qui me turlupine bien davantage, c’est que tous ces artistes sont ce qu’ils sont et je pense qu’ils seraient très différents si n’avaient pas existé Taratata, la télé-réalité musicale et l’ultra-disponibilité immédiate du streaming. Si la musique n’était pas devenue pour beaucoup un bien de consommation courante, quelque chose qui coule d’un robinet non filtré. Je me souviens, il y a bien longtemps déjà, avoir été plutôt perturbé par Quentin Mosimann massacrant Taxi Girl, s’appropriant Taxi Girl sans visiblement comprendre l’essence de Taxi Girl. Qu’est-ce que ce garçon coiffeur de mes deux allait vampiriser ce maudit Daniel Darc, nom d’une bonne petite pipe en bois? Pourquoi? Comment? Verboten! Je me souviens de prestations dans Taratata qui me semblaient plus contre nature que les créatures de l’île du Docteur Moreau; Louise Attaque et Dionysos pétant Song 2 de Blur et peut-être bien Jean-Louis Aubert étouffant les New York Dolls… Je me souviens être resté coi devant des types qui se présentaient sur le plateau de The Voice comme influencés autant par Jean-Jacques Goldman que par, mettons, les Kinks. Ce qui m’a toujours semblé aussi apocalyptique qu’une inversion subite des pôles. Parce qu’on a beau tenter de faire gober que c’est en fait la preuve d’une grande ouverture d’esprit, je pense qu’il s’agit surtout d’une grande victoire de l’industrie, qui a réussi en seulement une génération à transformer le fan de musique -jadis client difficile, identitaire et chichiteux- en simple consommateur enthousiaste qui se fout totalement des genres, des esthétiques, des courants, des histoires, du bon et du mauvais goût et ne perçoit aucune différence de valeur entre Paul McCartney et Claude François. Ce n’était pas planifié mais je pense donc qu’une concordance de facteurs a fait que la culture musicale et le rapport à l’histoire culturelle ont été en seulement quelques années complètement dynamités. Tout est désormais permis, tout se vaudrait, avec pour principal résultat une nouvelle musique indigeste et souvent inaudible à celles et ceux qui n’ont pas grandi avec Taratata, YouTube et The Voice. Pour moi, des goûts musicaux larges, c’est aimer autant Robert Wyatt et Arvo Pärt que James Brown, Autechre, PJ Harvey, Diana Ross, Fairouz et Joy Division. Tenir en revanche sur le même piédestal que le génie pur la variétoche la plus banale, le rap raté et le rock de stade, c’est juste l’équivalent en musique de ce que serait en fooding l’entrée de McDonald’s au guide Michelin. Voilà, la chronique de vieux con de la semaine est emballée. Salut, les jeunes!

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