Critique | Musique

Gravenhurst, un héros très discret

Gravenhurst © Lucy Johnston
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Cruelle coïncidence. Alors que Nick Talbot s’en est allé à seulement 37 ans, Warp réédite deux Gravenhurst et publie un disque de raretés. Beau à pleurer.

Alors qu’on s’apprête à écrire une critique sur les rééditions consacrées à Gravenhurst par le label Warp (en box trois CD ou à la pièce en vinyles), qu’on s’interroge sur ce que glande Talbot depuis la sortie en avril 2012 du splendide Ghost in Daylight, et qu’ironie du sort on écoute I Turn My Face to The Forest Floor, extrait de ce Flashlight Seasons tout juste dépoussiéré, un texto brise le charme hanté, les accords délicats et la voix fragile d’un des singers song-writers anglais les plus sous-estimés du XXIe siècle. Au lendemain de sa sortie le 1er décembre, à même pas 40 ans, Nick Talbot n’est plus. Il s’en est allé rejoindre au fond des bois ces génies du folk partis trop tôt au cimetière des beautiful losers, de ces perdants magnifiques dont la gloire aura au mieux été posthume.

Quand on a rencontré le bonhomme pour la dernière fois, les fantômes s’invitaient à la conversation. Celui de Trish Keenan, de Broadcast, qui l’avait aidé à surmonter doutes et panne d’inspiration. Celui aussi de Nick Drake. Du succès qui joue à cache-cache et qui gagne tout le temps.

Comme l’auteur de Pink Moon et de Five Leaves Left, comme un Ian Curtis aussi, Nick Talbot était un torturé. Sujet à des crises d’épilepsie et d’angoisse, drogué aux médicaments. Le premier est mort d’une surdose d’antidépresseurs le 25 novembre 1974 à 26 ans. Le second s’est pendu à 23 balais dans sa cuisine le 18 mai 1980.

Mourir pour exister

Davantage habitué au folk électronique, aux paysages digitaux et aux machines bucoliques, Warp ne s’y était pas trompé et avait craqué en 2004 pour le disciple de Bert Jansch et ses morceaux pastoraux. Cet héritier d’une certaine acoustique anglaise. Convaincu d’avoir déniché l’un des artistes et producteurs folk les plus originaux et doués de sa génération, le label sortait cette année-là Flashlight Seasons. Dix promenades mélancoliques au son desquelles encore aujourd’hui les feuilles bruissent et les branches frémissent. Dix bal(l)ades désarmantes d’une pureté et d’une sensibilité à fleur de peau suivies la même année par Black Holes in the Sand, mini-album de six titres et d’une demi-heure à l’ambiance plus sombre, torturée et lo-fi. Cinématographique et énigmatique. Warp complète cette double réédition d’une compilation. Dix chansons jamais publiées enregistrées entre 2000 et 2004 par le binoclard de Bristol derrière ses allures sérieuses de prof d’anglais.

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Un mini-documentaire consacré à Gravenhurst et sa relation avec la ville de Bristol venait d’être mis en ligne et Talbot était sur le point d’entamer une tournée anglaise, puis européenne. « Si je tombe mort maintenant, beaucoup de gens s’intéresseront à moi dans une dizaine d’années. Mourir est un super moyen de commencer une carrière », confiait-il au printemps 2012. Si elle ne fut pas couronnée de succès public, la sienne est déjà synonyme d’une vraie réussite artistique. Discrète, à son image.

  • GRAVENHURST, FLASHLIGHT SEASONS, BLACK HOLES IN THE SAND ET OFFERINGS: LOST SONGS 2000-2004. DISTRIBUE PAR WARP.

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