French touch: ce que la musique belge doit à la France

Flavien Berger, Miossec et Ozferti
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Qu’ils organisent des concerts, mettent en valeur le patrimoine architectural de manière mélomane ou tiennent des magasins de disques, les exilés français de la musique insufflent souvent à Bruxelles leur esprit d’entreprendre et une certaine forme de dynamisme culturel.

Import-export (4/8): Chaque semaine de l’été, gros plan sur ce que la musique made in Belgium doit à ses communautés venues d’ailleurs.

« La Belgique, eldorado des étudiants français en art », titrait récemment le journal Le Monde. Depuis 2000, la Belgique est, derrière la Suisse et le Royaume-Uni, la troisième destination privilégiée des expatriés français. Ils sont environ 250.000 à s’y être installés. Que ce soit pour étudier, travailler, suivre l’amour de leur vie ou payer moins d’impôts. Miossec, Dominique A, Mathieu Boogaerts, Bénabar, Camélia Jordana… Nombre de chanteurs et de musiciens français ont vécu quelque temps, pour des raisons diverses, dans la capitale de l’Europe. Ils sont partis comme ils étaient venus. Plus ou moins discrètement. D’autres comme Françoiz Breut ou le Lillois Clément Nourry y sont restés. Y sont revenus. Y ont fait leur vie. L’y termineront peut-être. « Je ne dirais pas que les artistes français en exil ont exercé une réelle influence sur la scène et la musique belges, note Philippe Kopp, consultant de Live Nation spécialisé dans le francophone, depuis les Francofolies de Spa. Je n’aurais pas tenu le même discours avec la restauration. Quand tu vois l’ouverture ces dernières années de tous ces restos et de ces bars aux décos instagrammables… Mais en musique, on parle de la même culture. On part des mêmes bases. Pour le moment, c’est d’ailleurs plutôt la France qui a les yeux rivés sur la Belgique. Roméo Elvis, Angèle et maintenant Glauque… Les musiciens français se disent que c’est à Bruxelles que ça se passe. On y vient comme on a pu partir à Berlin à une époque. C’est une ville cool, une ville qui bouge, un spot, pas qu’au niveau de la musique d’ailleurs. Puis, c’est encore abordable financièrement. Il y a la facilité de la langue aussi. Bruxelles et la Belgique sont peut-être finalement une terre de retraite, d’apaisement qui permet de combler un manque, d’accomplir certaines recherches… »

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Aucun n’y est né mais les artistes qui suivent vivent tous pour l’instant sur le sol belge. Antoine Pasqualini a débarqué il y a six ou sept ans. Antoine, c’est Monolithe Noir, compositeur de musique électronique dont le premier album est sorti sur le label Luik Records. Ca a aussi été le mec derrière le comptoir de Balades sonores, disquaire atypique en face du Botanique. « Bruxelles possède une telle diversité qu’elle inspire. J’ai très vite ressenti une ambiance moins concurrentielle qu’en France. Plus de bienveillance aussi. Paris ne possède pas vraiment de scène musicale. La ville est plus grande. Plus chère. On y tombe vite dans des circuits institutionnels. Paname et Bordeaux où j’ai vécu ont vu leurs clubs mettre la clé sous la porte les uns après les autres. Problèmes de voisinage, fermetures administratives… Ici, il reste plein d’interstices, un tas de lieux, une véritable offre culturelle alternative. Combiné aux loyers pas chers, ça en fait un terrain de jeu très attractif pour les artistes. Il y a aussi cette idée d’ouverture sur le reste de l’Europe. »

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Si les musiciens français étaient déjà nombreux en ville, Antoine ne s’est pas enfermé dans une diaspora culturelle. Il s’est notamment joint à Fabrice Detry (Austin Lace) dans le projet Fabiola. « Il y a un truc assez pesant avec l’identité française. En arrivant à Bruxelles, tu te rends vite compte qu’on a vu beaucoup de Français passer… Mais tu réalises aussi très vite que quand ils ne sont pas super appréciés, ils sont souvent assimilés aux Parisiens. » C’est à Bruxelles que Pasqualini a pris ses distances avec la pop pour se tourner vers l’électronique. Il a d’abord atterri chaussée de Mons. « Entouré de friches et de terrains vagues. Un quartier assez pauvre. Une ambiance post industrielle. » Il a aussi beaucoup fréquenté la place du Jeu de Balle dont le bordel l’a énormément inspiré. « Le rapport des Belges aux règles fait lâcher du lest. Je ramassais des trucs dans la rue. J’enregistrais des sons. L’influence a été à la fois psychologique et concrète. En France, c’est bien vu de marcher droit. De ne pas foutre de désordre. De ne pas salir les rues. Même s’il y a des exceptions, la marge de manoeuvre est assez réduite. Ici, vous avez ce côté « broleux » que j’aime beaucoup. Une expression qui n’existe pas chez nous d’ailleurs. »

Flamands et Wallons se plaignent souvent d’une frontière linguistique aux allures de barrière culturelle. Des difficultés de réussir à la fois au nord et au sud du pays. Dans le magasin Balades Sonores, Antoine a toujours essayé de brasser les deux. Il a très vite contacté des labels anversois et gantois dans le but de les glisser dans ses rayons. « On a voulu un ancrage. J’ai rencontré des gens du cru. On a essayé de créer un lieu d’échange où on pouvait boire une bière, assister à des concerts. »

Etienne Marsal et Antoine Pasqualini
Etienne Marsal et Antoine Pasqualini© DR

Gentils organisateurs

Le Français en exil à Bruxelles a souvent la fibre entrepreneuriale. Du moins organisatrice. À côté de lieux comme Madame Moustache qui ont régulièrement joué la carte du live, un tas de musiciens ont monté et montent encore des événements. Quand il vivait en Belgique, Amaury Ranger (Frànçois and the Atlas Mountains) a prolongé l’aventure des soirées Coconut qu’il avait mises sur pied à Saintes. Il a même ouvert un café associatif, La Carotte, à Schaerbeek avec Maxime Lê Hùng (Hoquets, le label Matamore).

Le bidouilleur pop Flavien Berger, qui passe une bonne partie de son temps en ville depuis 2013, a lui, en compagnie d’autres plasticiens, lancé De La Charge. Une espèce de galerie-atelier gérée par les artistes. « On a monté des expos, des concerts, des événements autour de la musique expérimentale et modulaire, des petites émergences. Je ne suis pas un grand organisateur. Je ne pense pas faire bouger les lignes. Et en termes de création musicale, je suis plutôt un confectionneur solitaire. J’ai cru devoir quitter Bruxelles et j’ai réalisé à quel point j’y avais des attaches. Je sais que dans ma musique il y a énormément de cette ville. À des couches invisibles peut-être. Mon travail est à Paris. Mais Bruxelles, c’est monter en haut du plongeoir, quitter la piscine et observer. Je suis moins ramené à ma pratique. Donc, je peux regarder au fond. J’y ai un home studio. Une chambre de bonne dans laquelle il y a tout ce dont j’ai besoin. J’ai toujours fait de la musique d’appartement. »

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Le multiculturalisme, Flavien connaît. Il a grandi dans une tour du quartier chinois de Paris. « Des rues dans lesquelles j’ai entendu du vietnamien à longueur de journée. Je suis habitué à ne pas comprendre ce que les gens disent autour de moi. Quand tu fais des allers-retours incessants, il faut changer de mode. Il y a un décalage. Je m’excuse toujours quand je dis quatre-vingt-dix au lieu de nonante. Quand je fais deux bises au lieu d’une. En même temps, j’ai parfois l’impression de devoir montrer patte blanche. »

Arrivé tout droit de Toulouse avec son groupe Warm Toy Machine en 2009, Étienne Marsal a pour sa part fait jouer des groupes au DNA, puis dans l’ancien garage automobile où il s’était installé avec ses potes en colloc, rue Gray. « On a invité les Feeling of Love ou encore Jack of Heart dont le chanteur Piero s’est depuis installé à Bruxelles et a même ouvert un bar, Le Gland, pas très loin du Bota. Dans le Sud, c’était dur de décoller. Pour être punk, il fallait une crête, être anarchiste et écouter les Bérus… On avait besoin de découverte, envie d’une autre mentalité. En plus, tous les petits bars fermaient. Nous, c’était la première vague. Mais après, tu as eu les Rennais qui ont débarqué. Ils se sont dirigés vers Le Chaff, Le Cobra Jaune. Et entre-temps, tu as eu les mecs de La Rochelle. »

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Entre Warm Toy Machine, les concerts à la maison, les DJ sets chez Moustache et l’émission sur Radio Panik (Back To The Grave), Étienne a trouvé le temps avec son comparse Stefano Bedani de fonder Mountain Bike en compagnie de deux Tournaisiens. « Il n’y avait pas vraiment de groupes garage par ici quand on a débarqué. C’était plus hardcore, stoner, métal… Le premier qu’on a découvert, ça a été Thee Marvin Gays. Et on a fini par monter un projet avec leur batteur. » Souvent, les Français immigrés restent des Français mais Mountain Bike a toujours été présenté comme un groupe belge. « L’identité, nous, on s’en foutait. On n’a jamais porté de drapeau dans nos coeurs. On était bruxellois. Des Bruxellois qui se dégageaient du punk pour se diriger vers la pop. »

Pour la petite histoire, leur premier ingé son, le Franc-comtois Pierre Valfrey qui bosse désormais avec Roméo Elvis et Damso a lancé avec Iacopo Curatolo le studio et lieu de concerts Homeplugged dont on a parlé jusque dans les colonnes du New York Times…

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Arrivé à Bruxelles en 2000 pour étudier la BD, Florian Doucet y rencontre le Colombien Rafael Espinel et joue pendant neuf ans de la clarinette dans La Chiva Gantiva qui secoue la cumbia… « J’ai aussi intégré la formation Family Jammin sur Tubize. J’ai bossé avec beaucoup de Belges. Je suis très curieux de nature. » Florian a aussi organisé pas mal d’events au Bonnefooi, des soirées dubstep et grime. « Il y a une question d’énergie. Je venais de Rennes qui bougeait pas mal. Mais le côté grande gueule français permet peut-être aussi d’arriver plus vite à ses fins. On en fait des tonnes. Le Français aime bien s’affirmer, se rendre visible. Certaines communautés sont beaucoup plus secrètes et discrètes. » Aujourd’hui, Doucet officie en solo sous le nom d’Ozferti. « L’influence des Français sur la musique belge? Je ne sais pas. Il faut voir sur le long terme. Laisser une période d’incubation. Je ne connais pas les histoires de chacun. Mais les allers-retours amènent souvent de la nouveauté. Perso, je n’aurais pas fait le même cheminement à Oslo ou à Paris. »

Manou Milon, en plein tournage pour Bruxelles ma belle.
Manou Milon, en plein tournage pour Bruxelles ma belle.© Boris Görtz

Bruxelles ma belle

C’est pour étudier le montage à l’IAD que Manou Milon a lui débarqué dans la capitale de l’Europe. « Il est difficile en France d’entrer dans les écoles de cinéma. On te demande un background, une prépa. Alors qu’ici, c’est davantage basé sur la motivation. Quand j’ai terminé, je suis resté. J’aimais l’esprit. Les Girls in Hawaii et les BRNS avec qui je traîne beaucoup m’appellent le Frouze mais je tenais pour les Belges à la Coupe du monde. D’ailleurs, ce matin, je portais un short des Diables rouges. » Manou, c’est le Français qui met le patrimoine belge en valeur avec les sessions Bruxelles ma belle. « Tourner dans des loges et des hôtels ne m’intéressait pas. J’étais par contre fan de la Blogothèque et de ses Concerts à emporter qui sortaient les groupes de leur zone de confort. On m’avait offert un bouquin sur le Bruxelles insolite. J’avais visité des lieux cachés de la ville. Et je me suis mis en tête de tourner des espèces de sessions touristiques. De faire découvrir un groupe en même temps qu’un lieu. C’était l’occasion de se démarquer. »

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Originaire des Yvelines, Manou a filmé le musée Horta, la villa Empain, le palais d’Egmont… Mis à l’honneur Noa Moon, les Tellers, VO, Castus, Triggerfinger, Sharko, Le Colisée… « Pour la première, j’avais sollicité Été 67. Je n’avais rien à montrer. Mais Yves Merlabach (Pias) nous a laissé le groupe pendant deux heures. En France, ça aurait été impensable. C’est en Belgique que je me sens bien. En Belgique qu’on m’aide. En Belgique que c’est possible… »

Le Twenty-Two Bar

French touch: ce que la musique belge doit à la France

En 1995, Dominique A sort son troisième album La Mémoire neuve et le single Le Twenty-Two Bar. Le Twenty-Two Bar, c’est un café sur lequel le Français est tombé dans une rue glauque de Bruxelles où il s’est installé en 1993 avec sa compagne d’alors Françoiz Breut (qui donne de la voix sur le morceau). Le natif de Seine-et-Marne est attiré par le Nord et par la capitale de l’Europe depuis qu’il a lu La Ville qui n’existait pas de Pierre Christin et Enki Bilal et qu’il dévore des BD franco-belges. Sa fascination doit aussi beaucoup à son amour pour la no et la new wave des années 80. Le catalogue du label belge Crammed Discs (Tuxedomoon, Minimal Compact) ou encore Polyphonic Size, le groupe bruxellois de Roger-Marc Vande Voorde dont il a d’ailleurs fini par reprendre Je t’ai toujours aimé sur son album Auguri. Avec l’enregistrement de La Mémoire neuve, Dominique Ané met pour la première fois durablement les pieds dans un vrai studio: le studio ucclois Caraïbes. Il y entre avec Gilles Martin (producteur de quelques-uns de ses héros) qui vient d’y mettre en boîte le premier album de Miossec. Le disque est composé dans des conditions déprimantes. Une pièce minuscule et sombre de quelques mètres carrés. Pour y faire entrer la lumière, il écoute des disques de calypso, de rumba, de mambo qui agissent tels des antidépresseurs. Le Français entretient une relation ambiguë avec Bruxelles. Sur son site Internet, il s’étendra d’ailleurs sur cette ville massacrée et son délire architectural. Toutes ces choses immondes construites à tort et à travers, ses rues trop étroites, ses quartiers vraiment dégueulasses, ses boulevards en délabrement, son agression sonore incessante, sa profonde tristesse et son sentiment d’étouffement. Si Le Twenty-Two Bar, l’un des plus ensoleillés de ses morceaux, est choisi comme single par sa maison de disques, lui ouvre les portes du succès et reste sans doute encore aujourd’hui son titre le plus célèbre, Dominique le qualifiera de maladroit et mal écrit. Le cataloguant un peu trop variété pour lui.

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