Serge Coosemans

Face à la menace, the Show-Off must go on

Serge Coosemans Chroniqueur

Plus en verve que la semaine dernière, Serge Coosemans a retrouvé son sens de la provoc et son art de l’insulte mais n’en lâche pas moins le sujet « terroriste » et la manière dont l’encaissent ses contemporains, notamment dans l’horeca et la culture. Sortie de Route, le retour? Non, Crash Test S01E12.

Tous en terrasse, mon cul. Les terroristes gagnent si on arrête de vivre normalement, ne fût-ce que quelques heures? Pareil, je n’y crois pas. Fermer juste un moment jugé dangereux les salles de concerts, les restaurants, les bars, les lieux de rassemblement, c’est se résigner? Ouais, comme on se résigne à faire crotter son chien au square en bas de chez soi plutôt qu’au Bois de la Cambre quand celui-ci ferme suite à un avis de tempête, avec des rafales estimées à 130 kilomètres/heure. Etrange, non, que #lesgens, par grands vents, acceptent sans moufter l’interdiction de trimballer leur liberté de penser et leur golden retriever autour de l’Etang des Enfants noyés mais hurlent quasi au fascisme d’état, en tous les cas à la lâcheté institutionnelle, lorsque un principe de précaution pas forcément trop précautionneux fout Bruxelles en état de siège le temps d’évaluer et, éventuellement, de stopper une menace terroriste pas non plus vraiment fantôme? C’est que la seule réponse au terrorisme est de continuer à vivre normalement, a-t-on pu lire ici et là. Rester ouvert, aller au cinéma, au restaurant, au théâtre, au concert, en boîte, dans les bars, c’est résister. Une posture qui passe encore mieux si on y ajoute une citation d’Albert Camus.

Tant qu’à citer des penseurs morts au moment de pavaner sa révolte d’homo festivus ou d’enfant-roi empêché pour un soir ou deux, voire trois, de sortir son égo en ville, on peut aussi rappeler que certains d’entre eux et non des moindres considéraient au contraire la prudence comme une vertu de première bourre. En temps normaux, c’est vrai que la prudence paraît bien ringarde pour nos esprits brainwashés par la pub et ses fantasmes de dépassement de soi (exemples: le gringo Bacardi qui va dans les bas-fonds où pulse la vraie salsa, l’Homme de Del Monte qui remonte l’Amazone pour mettre en boîte l’ananas primeur…). N’en demeure pas moins qu’être prudent, ce n’est pas lâche. Une menace terroriste de niveau 4 n’est pas normale et vouloir agir normalement dans des circonstances pareilles semble selon moi surtout tenir du déni, pas de l’héroïsme. Ce n’est qu’un plan à la Marie-Antoinette, blondasse qui voulait elle aussi résister à l’ambiance de merde du moment en continuant à tranquillement beurrer sa brioche malgré l’amoncellement de types plutôt vénères à sa porte.

Je n’ai pas peur une seule seconde pour notre culture et notre art de vivre. Ils en ont vu d’autres. Ils ont même la réputation de gagner en qualité durant les périodes profondément troublées. Je flippe par contre grave pour mes proches qui travaillent dans des lieux supposés exposés aux attaques, notamment l’horeca et la culture, parce que le premier a tout l’air de considérer le terrorisme islamiste comme une sorte de complice branquignolle de la Boîte Noire, un imprévu « chiant mais surmontable », alors que la seconde est empêtrée dans un délire ultra-narcissique où elle s’imagine ultime rempart face à la barbarie. Faut arrêter de déconner, les « Grands Résistants », les Jean Moulin du shot de vodka, les Raymond Aubrac du ticket pour Son of Saul ou The Lobster à agiter au pif des terroristes sous Captagon. Si vous étiez nominément visés comme le sont ou l’ont été Salman Rushdie, les caricaturistes danois et l’équipe de Charlie Hebdo, ça ferait encore sens mais là, ce n’est que du show-off assez puéril, mettant éventuellement même votre public et votre personnel en danger sans même leur laisser le temps de comprendre qu’ils le sont. Sur le long terme, on a bien compris qu’on consentira à vivre sous une menace perpétuelle, jamais véritablement en paix bien que pas non plus en guerre, comme souvent au Moyen-Orient, finalement. On se murgera, on bouffera dehors, on dansera, on ira applaudir des acteurs et des musiciens malgré la tension permanente et les explosions sporadiques de violence. Maintenir, non. S’adapter, oui. Sur le court terme, il s’agissait juste de fermer et de la fermer un week-end, peut-être quelques jours, le temps de pleinement prendre conscience que le message et le modus operandi des terroristes a changé depuis le 13 novembre, à savoir que dans leur guerre, il n’y a plus de civils, plus de tabous, plus de sanctuaires, plus de neutralité. Les mecs tirent d’abord, n’importe où n’importe quand sur n’importe qui, et nous laissent ensuite nous poser la question de la symbolique de leurs actes. Ce qui doit d’ailleurs bien les faire marrer, quand on y pense, ce schéma d’un attentat = 10 concerts neuneu de soutien et 50 cartes blanches aux philosophes concons du PAF. A-t-on pleinement compris cela? Veut-on seulement le comprendre?

C’est donc très humain mais aussi très bête d’également répondre à cette terreur par le Beaujolpif, des brunchs et de la techno. Ce n’est pas forcément un acte de résistance, c’est surtout un mélange d’immaturité et de déni, un peu comme le type qui va s’enfiler 600 grammes d’Angus Beef maturé et deux assiettes de frites en sortant d’un pontage coronarien. C’est de la bravade, de la gloriole, c’est très roquet. Ce n’est pas réfléchi, assez simplet et ça passe surtout bien parce que c’est sympa et marrant, alors que je ne suis pas sûr que si le massacre avait eu lieu à la Défense, à la sortie des bureaux, les #jesuistotalfina et autres #jesuisareva auraient généré un mouvement d’ampleur comparable. Question d’habitude, aussi: monde nouveau, vieux réflexes. Après tout, cela ne fait que 11 jours que nous avons été précipités dans une réalité que nous n’appréhendons pas encore vraiment, aux repères flous, pour laquelle toute comparaison reste assez hasardeuse. Au travers du prisme de la pop-culture, ça ressemble un peu à Children of Men, à certaines bédés dystopiques des années 90, au Dark Knight de Nolan, mais comment vivre là-dedans, comment pleinement accepter que ça va durer, surtout? Ca pourrait bien être la Première Guérilla Mondiale ou un début de jérusalémisation des capitales occidentales. On n’en sait rien. On va cancaner là-dessus des heures durant, produire plus de vent qu’un champ d’éoliennes. De l’amas d’idioties finira bien par surgir la pertinence mais là, c’est trop tôt. Cela ne fait que 11 jours et durant ces 11 jours, on n’a pas pris le moindre recul, à vrai dire, on n’a même pas arrêté de tweeter pendant les minutes de silence. On a encaissé la binge-info comme un feuilleton à rebondissements suivi avec une ferveur malade. On s’est pris sur la tronche une avalanche de nouvelles et d’analyses terriblement aliénantes. On patauge et, au nom de vieilles habitudes de réseaux sociaux, il faudrait réagir au quart de tour à cette nouvelle et terrible donne, à ce profond remodelage en cours du quotidien et à ce terrorisme plus nihiliste qu’idéologique. Par des apéros filmés au smartphone, des dessins naïfs et des blagues douteuses. Ce qui est en fait nettement plus Régis que Charlie. Le Régis de Les Nuls, oui. Le con.

PS: Ceci est une opinion, la mienne, tournée d’une façon cherchant à amener à la fois le rire et la réflexion. Vous pouvez ne pas être d’accord avec ce billet, c’est même très sain et parfaitement cool de ne pas être d’accord avec ce billet. Au bistrot, on en rigolerait autour d’un verre, enfin, beaucoup de verres. Alors, inutile de s’enflammer sur le net. En hommage aux discussions de bistrots, justement. Bisous.

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