Eurosonic à distance: bonne idée ou non sens?

Festival en chaussettes... Cette année, les pros de la musique ont pu suivre Eurosonic depuis leur salon. © Getty Images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Faute de pouvoir accueillir l’industrie de la musique européenne à Groningen, le festival de professionnels Eurosonic a tenté le coup de l’édition digitale. Compte-rendu et coups de coeur.

Chaque année, mi-janvier, Groningen se transforme pendant trois jours (quatre pour les plus courageux qui cherchent leur bonheur dans la scène néerlandaise) en grand salon du live et de l’industrie musicale. Un supermarché de la pop, du rock, du rap, de l’électro où les tourneurs, programmateurs et autres labels s’en vont faire leurs emplettes et leurs affaires. Bravant le froid, parfois la neige, dopés à la Heineken, à la Grolsch et aux croquettes des distributeurs automatiques. Suite à l’évolution de l’épidémie de coronavirus, les conditions de confinement aux Pays-Bas se sont durcies: les écoles et les commerces non essentiels ont été fermés et il est interdit de recevoir plus de deux personnes à son domicile.

Les organisateurs d’Eurosonic/Noorderslag n’ont pas pour autant décidé d’annuler leur événement. Ils ont préféré en imaginer une édition digitale à la programmation resserrée. Gratuits et accessible à tous, les concerts se sont succédé pendant quatre soirs sur autant de chaînes web et seront disponibles en ligne jusqu’à la fin du mois janvier.

Certains concerts ont été filmés sur place ces dernières semaines mais les groupes n’ont évidemment pas afflué de toute l’Europe pour jouer dans les clubs de la ville. Ils ont été invités à envoyer un live d’un quart d’heure. « On avait deux possibilités, éclaircit Maxime Lhussier de la Maison d’artistes Odessa, agence de booking et de management. Soit on envoyait une session récente, soit on en tournait une nouvelle avec un soutien financier plus conséquent du festival. »

« Cette année, on est devenus des producteurs de télé, enchaîne Julien Fournier, directeur du bureau d’export Wallonie-Bruxelles Musiques (WBM). En novembre, on a appris que ça fonctionnerait de la sorte. Qu’il fallait produire des vidéos. On a dès lors organisé et financé des sessions d’enregistrement au Botanique qui a mis à disposition ses installations et son personnel à des prix très raisonnables. »

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C’est là qu’ont été captées les prestations de YellowStraps et de David Numwami. Under The Reefs Orchestra a préféré jouer et filmer de son côté. « Les circonstances étant ce qu’elles sont, le festival nous a demandé de lui envoyer un faux live, raconte Clément Nourry, le guitariste du groupe. Ce qu’on avait n’était pas assez récent. Donc, on a fait le forcing pour réunir une équipe et en tourner un. On a profité de notre local. Le Capitane studio, ou plutôt la Free House comme on l’a baptisé. On a bossé avec la même bande que d’habitude. Thomas de Hemptinne de Great Mountain Fire a réalisé. Et on a embauché Julien Bechara (Manneken Swing) pour explorer de nouvelles possibilités. Projeter des vidéos. On a enregistré le 17 décembre. Il fallait envoyer ça pour le 20 et je partais en vacances le 18… J’ai écouté le résultat sur la route avec les gamins qui gueulaient à l’arrière de la voiture. » Under The Reefs a reçu 1.000 euros du festival pour la captation. « On a aussi bénéficié de l’aide de la SABAM et de WBM, de quoi bien faire les choses. »

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Punks vegan et bisexuels des Îles Féroé

À Eurosonic, tu croises quelques têtes recommandables et déjà connues (The Cool Greenhouse, Rats on Rafts…). Tu as aussi du prog rock lithuanien (Timid Kooky), du death metal danois (Konvent), du dark folk macédonien (Perija) et du world jazz finlandais (MA Rouf). Des Islandais qui ont piqué leurs salopettes à Black Midi (Skoffin), des Franco-Américains aux chorégraphies surréalistes (Faux Real) et un duo croate (Valentino Boskovic) racontant les aventures d’un astronaute qui a quitté la planète Terre un beau dimanche de 1646. Majoritairement de bonne qualité (visuelle et sonore s’entend), les sessions sont courtes mais permettent de se faire une petite idée de ce qui se passe musicalement sur le vieux continent. « On nous a demandé d’envoyer un quart d’heure, résume Clément Nourry. On est parti sur trois morceaux. Les miens sont longs de manière générale et je n’aime pas trop les raccourcir mais je voulais donner une idée quand même représentative de ce qu’on fait. » Des chansons, les zozos de Joe & The Shitboys ont dû en enquiller une dizaine. Et ce tout en respectant les quinze minutes qui leur étaient imparties. Joe & The Shitboys, c’est le genre de trucs qu’on ne découvre qu’à Eurosonic. Quatre punks vegan et bisexuels des Îles Féroé. Un chanteur qui porte le short avec une chemise à longues manches. Et d’expéditifs hymnes cracras et drôles aux titres invraisemblables: « Life is Great You Suck » ou encore l’hilarant If You Believe in Eating Meat Start with your Dog. Il y a du Dog Eat Dog justement, du Art Brut aussi chez Joe, ses gamins de merde et leur rock rappé. Le concert a été tourné au Vera, la salle rock’n’roll de Groningen. « Les vidéos où tu ne vois que le caméraman et le logo du festival, ça fout un peu le bourdon, avoue Julien Fournier. Certains s’en sont sortis mieux que d’autres au montage. Tu as parfois des silences un peu gênants entre les morceaux. En même temps, ils n’allaient pas glisser de faux applaudissements comme dans les retransmissions de matchs de foot. »

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« Je préfère jouer face à un public que devant les caméras, mais les festivals de professionnels, c’est de manière générale un peu un tue-l’amour, poursuit Clément Nourry. Ce que j’attends de notre participation, c’est une forme de respectabilité. De visibilité du moins. Ça pourrait nous aider à concrétiser des choses, notamment en Allemagne. Mais même si les gens veulent te programmer, c’est pas vraiment le meilleur des moments. »

« Franchement, je n’ai rien regardé, avoue Kurt Overbergh, le directeur artistique de l’Ancienne Belgique, pourtant abonné au festival. Je n’ai pas envie d’être devant mon PC pour voir des groupes en concert. C’est mal. Je sais. Je soutiens l’organisation et l’initiative. Mais moi, je cherche dans ce genre de rendez-vous à voir si les groupes peuvent convaincre sur scène. S’ils sont prêts. Si d’après moi, il y a un futur pour eux. Ce sont souvent des projets assez jeunes. Et ça ne m’en donnerait pas l’idée. En plus, pour l’instant, on ne pourrait rien faire avec eux. On ne sait pas quand on pourra rouvrir nos portes et le programme de l’AB est full jusqu’au mois de mars… »

Avancer et garder le moral…

« Je comprends que les artistes se demandent à quoi ça sert, reprend Julien Fournier. La situation est chelou et particulière. Eurosonic, prisé par les programmateurs, existe notamment pour pouvoir créer d’autres événements et on ne sait pas quand ils pourront avoir lieu. Tout le monde essaie d’aller de l’avant mais sans trop savoir où on va. Nous, notre boulot, c’est de connaître l’industrie et de prévoir. Mais nous n’avons plus ce coup d’avance vu que personne ne peut dire à quoi s’attendre. Donc, on le fait en lançant le projet en l’air et en espérant qu’il en retombe quelque chose. »

Profiter d’un peu de visibilité. Tout est bon à prendre. Avancer. Tenter de limiter la casse. Garder le moral aussi. Que faire d’autres en ces heures incertaines. « Il est impossible de développer un artiste débutant sans le live, estime Maxime Lhussier. Il ne faut pas croire qu’aujourd’hui, à part peut-être dans le hip-hop ou avec certains projets très particuliers, on fait exploser un groupe avec Internet et les plateformes de streaming. La scène reste un élément primordial. J’espère qu’Eurosonic reverra exceptionnellement ses habitudes. Il ne programme normalement jamais deux fois les mêmes artistes. Or, les retombées, cette année, risquent d’être bien maigres. » « C’était déjà le cas l’an dernier, note Julien Fournier. Eurosonic a eu lieu mais pas la saison qui devait suivre. Tout ce qui avait été engagé est tombé à l’eau. Les artistes suisses, qui était le pays mis à l’honneur, n’ont pas beaucoup bénéficié de ce coup de projecteur. »

Au-delà des concerts, Eurosonic (189 lives de 36 pays cette année), c’est aussi beaucoup de réseautage et de conférences. Elles ont eu lieu en ligne et ont concerné les femmes dans l’industrie du live, les liens entre culture, Covid et changement climatique ou encore les formats de festival qui ont fonctionné en 2020 après l’apparition du virus. Alternatives digitales et configuration ingénieuse de camping… 4.000 délégués ont pris part à la conférence Road to Recovery et la plateforme du festival a accueilli 10.000 meetings par écrans interposés. Une drôle d’édition à coup sûr.

Six projets qui passent bien sur l’ordi…

Bee Bee Sea (Italie)

S’ils ont trouvé leur nom dans un emballage de Carambar (on ne voit que ça…), les Bee Bee Sea ont le don de trousser des tubes garage pop qui lorgnent du côté des Black Lips et des Oh Sees et seraient accessoirement tombés dans la marmite powerpop des années 90. Les trois Lombards, qui viennent de la petite ville de Castel Goffredo, ont à l’occase (Be Bop Palooza) des faux airs de Supergrass. À en juger par leurs clips, ils doivent en fumer de la bonne.

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Alex Gough (Irlande)

Alex Gough, à ne pas confondre avec le joueur de squash gallois et la championne de luge canadienne, est un rappeur, batteur et producteur de Waterford en Irlande. À seulement 21 ans, le petit prodige épate. À la croisée du hip-hop et du jazz. Inspiré par Miles Davis et John Coltrane, branché par la culture et l’esthétique des années 80 et 90, Gough balance ses rimes tout en tapant sur ses fûts. La réponse jeune, fraîche et européenne à Anderson .Paak.

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The Goa Express (Grande Bretagne)

L’Angleterre, qui avait une fâcheuse tendance à y vendre sa soupe, a depuis quelques années pris l’habitude d’envoyer du (futur) lourd à Groningen. Basé à Manchester et emmené par les frères Clarke, The Goa Express a collaboré avec Nathan Saoudi (Fat White Family), signé en management avec Rough Trade et tape entre les Spacemen 3, Rolling Blackouts Coastal Fever, Parquet Courts et The La’s (Second time)… Mary Poppins is a junkie.

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Meskerem Mees (Belgique)

Elle a déjà engrangé plus d’un million et demi d’écoutes sur Spotify. Gagné le Humo Rock Rally et atteint avec son single Joe la tête du Afrekening, le classement des singles de Studio Brussel. Meskerem Mees est l’une des plus jolies promesses du folk flamand. Accompagnée d’une violoncelliste, la Gantoise d’origine éthiopienne a renversé avec sa simplicité, sa guitare acoustique et sa voix d’un autre temps. Son premier album est prévu pour l’automne.

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Podium (Espagne)

Non, ce n’est pas Benoît Poelvoorde qui s’est lancé dans la musique et fait revivre les plus grands tubes de Claude François. Créé par Nick Trampolino en mode one-man-band, Podium est devenu l’un des groupes les plus excitants et excités de Valence. Signé sur le toujours recommandable label Slovenly Recordings, Podium est une espèce de Cocaine Piss ibérique. Un groupe de punks bruitistes qui chantent en espagnol. Attention, les images font un peu mal à la tête.

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Aggregat (Allemagne)

Tout le monde s’est déjà demandé devant des concerts de musiques électroniques ce que pouvaient bien trifouiller ces fous dansant derrière leurs drôles de machines. Pas de ça avec Aggregat. Les trois Allemands fabriquent leur musique avec de vrais instruments. Une batterie, un violoncelle et des synthés vintage… Créé en 2015 par le joueur de marimba de Meute, le trio de Lübeck fait dans l’électro (acoustique) froide et groovy. Son premier album, intitulé 1, est sorti l’an dernier.

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