Esperanzah!, la possibilité d’une île

© Noah Dodson

Pour sa 10e edition, le festival « alter » s’est agrandi mais a conservé son ambiance unique. Retour sur la soirée de vendredi.

Change-t-on vraiment en grandissant? Ou alors ne fait-on que bouger les meubles? Pour la 10e fois, Esperanzah!, le festival au point d’exclamation éternellement enthousiaste, a pris ses quartiers dans et autour de l’abbaye de Floreffe. En 2002, ils étaient 4000 à inaugurer l’héritier du Temps des cerises. Vendredi soir, plus du double remontaient la butte. Et pourtant, Esperanzah! est resté ce festival à visage humain. La preuve qu’il est possible de grandir sans se perdre ? Il y a de ça. Même les nouveaux aménagements n’y ont pas changé grand-chose : pour la première fois, Esperanzah ! déborde des murs de l’abbaye en installant la scène côté jardin au pied du site. La dynamique est pourtant identique. Ici, pas de bar vip, ni gros sponsors aux bannières envahissantes. Le public est toujours ce curieux mélange de vieux hippies sur le retour, de jeunes kékés en goguette, et de public du coin. Les associations et autres ONG sont forcément de la partie, puisqu’ici on a voulu refaire rimer musique et éthique. Parfois jusqu’à la caricature, mais aussi le plus souvent avec humour : tous les après-midis, une chasse à l’homme est organisée sur le site. Les participants doivent mettre la main sur une série de lobbys accusés de flouter intentionnellement la réalité (médias compris). Slogan: « le lobby ne fait pas le moine »… Benoît, activiste environnemental dans la vie, rigole: « Je joue le rôle d’un lobbyiste de l’armement. Trois heures par jour, je me balade sur le site en smoking et les gens me courent derrière. Bah, c’est comique, ça rappelle les jeux scouts. »

Question musique, la programmation reste elle aussi ce joyeux numéro d’équilibriste, entre l’un ou l’autres noms confirmés (Tiken Jah Fakoly) et pas mal de découvertes, avec une connotation world prononcée, sans être exclusive. Loin de là. En fin d’après-midi, par exemple, Sharon Jones remue une tambouille soul-funk vintage des plus goûtues. Soyons honnêtes : il faut quelques minutes pour que le décalage entre la musique de la dame d’une part, et le site, l’atmosphère et le public de l’autre, ne s’estompe. Et puis, petit à petit, le concert prend, la sauce monte. Accompagnée de ses Dap Kings (une dizaine de fines gâchettes, avec mention spéciale pour les batteur et percussionniste aux têtes d’assureurs, mais au groove imperturbable), habillée d’une robe glam turquoise qui pique aux yeux, Sharon Jones est une tornade. Avec ses éclats de voix bigger than life, elle continue d’impressionner, soutenue par une section de cuivres pétaradante. Tantôt en version soul, tantôt en mode brûlot funk. Comme James Brown, la quinqua est née à Augusta, Georgie. En la voyant se remuer, on se dit que ce n’est pas le seul point commun qu’elle peut partager avec feu le godfather of soul. Et puis quand Brown chantait Black And Proud, Jones y va elle d’un discours afro qui rappelle le passé esclavagiste et ségrégationniste de l’Amérique. Comme quoi, à Esperanzah!, même le bouillon funk de Sharon Jones se fait engagé.

L’engagement toujours avec Professor, alias Harrison Stafford. Forcément. Juif américain tombé dans la marmite reggae, le chanteur/guitariste de Groundation soutient ouvertement la cause palestinienne. Alors que la nuit est tombée sur Floreffe, il chante ainsi Intifada, la barbe quasi aussi généreuse que son sourire. Ce qui surprend surtout, c’est cette voix, dont la force et la conviction contraste avec le physique d’hobbit binoclard du bonhomme. Derrière lui, quelques solides pointures from Jamaica. A la batterie, par exemple, l’énorme Leroy « Horsemouth » Wallace a longtemps bossé au Studio One et garde le toucher aussi nonchalant que précis. Bien sûr, le reggae de Professor est roots et sans surprise. Mais aussi consistant. Avec un petit solo de flûte traversière ici ou un passage dub là, il arrive même à amener sans problème tout le monde vers la dernière partie de soirée. Celle-ci prend en l’occurrence des tons electroswing. Pour le Parov Stelar Band du DJ autrichien Marcus Füreder, côté cour, cela veut dire pas mal de pompes et de trompette bouchée. Un peu facile certes, mais idéal pour relancer la fête. Une chanteuse, une basse, deux cuivres et une batterie forment l’adjuvant live du projet, qui petit à petit, dilue son swing 2.0 en une électro-dance plus banale.

En attendant, Esperanzah! n’a pas loupé son départ. Même la pluie n’aura pas tout à fait osé gâcher l’anniversaire. Relativement épargné, le festival. bénéficierait-il d’un microclimat, qu’on ne s’en étonnerait qu’à moitié. Arrimé à un site exceptionnel, Esperanzah! reste encore et toujours ce rendez-vous à part dans le calendrier des festivals. La possibilité d’une île…

L.H.

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