En 2019, les festivals rattrapés par la politique

L'édition 2019 du Pukkelpop a été agitée par un "problème" de drapeaux. © Pieter-Jan Vanstockstraeten/Photo News
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Des drapeaux flamingants du Pukkelpop à l’affiche paritaire du Primavera, les grands rendez-vous musicaux sont sortis de leur bulle, parfois contraints et forcés.

L’anniversaire aurait dû être célébré en grande pompe. Il y a cinquante ans, Woodstock cristallisait non seulement l’esprit d’une époque mais aussi une certaine mythologie du festival rock dans l’esprit collectif. Un demi-siècle plus tard, une nouvelle édition rassemblant les plus grandes stars du moment était d’ailleurs prévue. Las, les organisateurs devront annuler quelques semaines avant la date, faute, notamment, de financement. Un plantage symbolique? De fait, depuis les « trois jours de paix et de musique » de 1969, les idéaux hippies ont vécu, tenant désormais davantage du folklore. L’utopie communautaire a cédé le pas au grand divertissement, guidé par des impératifs économiques souvent imposants. There’s no business like show business, qu’ils disaient. Et pourtant…

Si les festivals ne se préoccupent plus de politique, la politique, elle, s’est occupée d’eux. En 2019, plus d’un a en effet été rattrapé d’une manière ou d’une autre par l’actualité. Bien sûr, les grands rassemblements musicaux de l’été n’ont jamais été de simples bulles récréatives, totalement isolées du reste du monde. La plupart n’ont pas attendu Greta Thunberg pour essayer de remédier à leur (énorme) empreinte écologique – le festival de Glastonbury a banni le plastique de sa dernière édition. Et des rendez-vous comme Esperanzah! ou Lasemo, pour ne citer que les plus évidents, ont fait de leur engagement un élément clé de leur identité.

Mais, plus que jamais, cette parenthèse que sont supposés proposer les festivals s’est vue remise en question. C’est le cas par exemple du Pukkelpop. Après un incident raciste en 2018, lors du concert du rappeur Kendrick Lamar, le festival alternatif limbourgeois a eu affaire cette fois à un « problème » de drapeaux: des bannières flamingantes présentes dans le camping que les organisateurs ont décidé de retirer, avant de s’excuser le lendemain, suite au courroux d’édiles nationalistes flamands. Ce n’est pas tout. Le même week-end, Anuna De Wever, la jeune activiste et tête de proue des marches pour le climat, se faisait également importuner et menacer de mort, dans le camping du même festival. Un double bad buzz pour un événement dont on pourra pourtant difficilement remettre en cause l’ouverture d’esprit.

Le Pukkelpop n’est toutefois pas le seul à avoir été bousculé par les grandes crispations du moment. Au We Can Dance, festival électro-branché organisé sur la plage de Zeebruges, on encourage chaque année le public à venir habillé en fonction du thème choisi. Quitte à voir certains spectateurs ne pas toujours faire preuve de bon goût, ou même à créer un certain malaise – en 2017, le dresscode Desert Dreams avait déjà pu titiller quelque sensibilités. Pour l’édition 2019, les organisateurs de l’événement ont donc pris leurs précautions: pas question d’utiliser le thème Safari Nomads pour accepter une quelconque forme de blackface ou autre maquillage noir déplacé.

Ces dernières années, les festivals ont également dû réaliser qu’ils n’étaient pas forcément des îlots de fraternité et de convivialité, que la musique aurait préservés de tout vice. #MeToo est aussi passé par là. Quand Dour compte trois plaintes pour agression sexuelle, la question se pose tragiquement : les cas ont-ils augmenté ou, plutôt, leur dénonciation? Par ailleurs, dans une industrie musicale encore largement dominée par les hommes, c’est la problématique de la représentativité des artistes féminines qui est posée. Au Primavera, à Barcelone, on a décidé de prendre le taureau par les cornes. Cette année, la programmation était en effet paritaire, ramenant des têtes d’affiche comme Robyn, Solange, etc. Certains ont pu critiquer le côté marketing opportuniste de la démarche. Il n’empêche: que l’un des plus gros festivals d’Europe – l’un des plus prescripteurs aussi – ait pris le pli de mettre au point une programmation qui proposerait autant d’artistes masculins que féminins n’est pas anodin. Reste à voir s’il le sera toujours au printemps 2020.

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