Du rock au rap, les mille héritiers de Jacques Brel (vidéos)

© GETTY IMAGES
Didier Stiers Journaliste

Quarante ans après sa disparition (le 9 octobre 1978), le Grand Jacques fascine toujours de nombreux artistes, au-delà des barrières, des générations, des genres et des langues. Des rockeurs aux rappeurs, du grunge à la pop… Brel a été et reste repris par tout ce qui compose le milieu musical, sous toutes ses formes. Aperçu non exhaustif.

Tout le monde sait l’admiration qu’éprouvait, pour le Schaerbeekois, David Bowie. Qui l’a découvert en 1968 dans Jacques Brel Is Alive and Well and Living in Paris, la comédie musicale de Mort Shuman, et qui connaissait aussi les reprises de Brel par Scott Walker. Le Thin White Duke a donc chanté et enregistré maintes fois Amsterdam. Et aussi La Mort, toujours en anglais. Bowie pensait même profiter d’un passage à Paris, en 1973, pour rencontrer son idole… Qui déclina l’invitation en ces termes (restitués par Jérôme Soligny, biographe de la star anglaise): « Comment un pédé pareil peut-il croire que je pourrais avoir envie de le voir? »

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Scott Walker et Marc Almond (de Soft Cell) comptent également parmi ses interprètes acharnés. En 1981, le premier sort Scott Walker sings Jacques Brel, compilant toutes ses reprises disséminées sur ses albums parus entre 1967 et 1969 (Mathilde, Jackie…) ainsi que des versions live. Le second compte dans sa discographie un très sobre Jacques datant de 1989: douze traductions, de L’Eclusier à Ne me quitte pas, de Au suivant à… La Mort. « En tant que chanteur, déclarait Almond au Guardian, je me suis toujours considéré comme un raconteur expressif plus que comme un technicien. Et ça, c’est à lui que je le dois. » Ces deux-là aussi ont visité Amsterdam, l’une des chansons du répertoire brelien parmi les plus reprises, des Pays-Bas à la Finlande, de la Pologne à la Slovénie en passant par la Grèce, le Sénégal, la Turquie et le Pays basque.

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Chez nous, où l’album posthume de Maurane (sortie ce 12 octobre) rassemble douze chansons de Brel, même les Flamands s’y sont mis: Zita Swoon par exemple, ou Puur Brel, compilation sur laquelle on retrouve aussi bien la chorale Scala que Triggerfinger, Praga Khan ou Gorki. En France, en 1954, c’est Juliette Gréco, avec Ça va (Le Diable) qui devient la première artiste à graver un disque avec un texte du Belge. Depuis, ils sont nombreux à lui avoir succédé: Pierre Bachelet, Richard Anthony, Bruel, M, Julien Clerc, Johnny, Patricia Kaas, Serge Lama, Mireille Mathieu, Nana Mouskouri… On entend même des punks (écoutez ce qu’en ont fait les zozos de Ludwig von 88), certains rappeurs le révèrent et les albums d’hommages s’enchaînent. Comme cet Aux SuivantsBashung reprend Le Tango funèbre, Noir Désir Ces gens-là, Stephan Eicher Voir un ami pleurer et Dick Annegarn Jeff.

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« J’ai toujours voulu qu’on me chante », disait le Grand Jacques lors de ses adieux à l’Olympia, en 1966. Ce n’est pas près de s’arrêter. Dans une carrière, on croise Brel un jour ou l’autre. Quand on ne considère pas que le chanter est une obligation.

La fascination rock

En 2006, James Dean Bradfield, chanteur et guitariste des Manic Street Preachers, reprend Voir un ami pleurer (To See a Friend in Tears) sur The Great Western, son seul album solo. Brian Molko de Placebo, lui, chante Ne me quitte pas lors de la fête d’ouverture de la présidence belge du Conseil européen en 2010. En décembre 2015, à Bercy, en hommage aux victimes des attentats de Paris dont les noms défilent sur un écran géant, Bono chante également le même titre emblématique.

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Des deux côtés de l’Atlantique, ils sont nombreux, les artistes et les groupes à avoir puisé dans son répertoire. Certains s’en expliquent, comme Neil Hannon de Divine Comedy et Gavin Friday des Virgin Prunes. « La première fois que je l’ai vu chanter, raconte le second au Guardian, je n’ai pas compris ce qui se passait. Je n’en croyais pas mes yeux. Pour moi, c’était le stade après David Bowie incarnant Starman ou Johnny Lydon chantant Pretty Vacant. L’expression physique, l’expression tout court, je suis devenu obsédé! » Pour Neil Hannon, dans la même interview, Brel est « un homme étrange, douteux, portant un beau costume, dont la musique est un exemple de ce besoin absolu d’être soi-même et de dire exactement ce qu’on pense, sans tenir compte de ce que le public semble vouloir. » Quant à Amsterdam, « c’est l’apothéose de ce mélange entre honnêteté brutale et beauté absolue. La vie est merdique, les gens sont horribles, mais n’est-ce pas magnifique? »

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Même Nirvana a chanté Brel! Enfin, presque. C’était en 1993. Le groupe est dans un studio brésilien, travaillant sur des maquettes. Kurt Cobain est à la batterie, Dave Grohl à la basse et Krist Novoselic à la guitare. Les micros sont restés ouverts et le trio reprend Le Moribond, du moins Seasons in the Sun, son adaptation en anglais (traduction de Rod McKuen) popularisée en son temps par Terry Jacks. Cobain racontera que c’est le premier disque qu’il a acheté. Cette version-là a elle aussi été maintes fois reliftée, notamment par le boys band Westlife, Damon Albarn et même Indochine, dans un anglais très… sirkissien.

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Au Printemps de Bourges, on entend en 2006 les Dresden Dolls chanter Amsterdam: la guitare est acoustique mais l’expressivité rappelle celle du modèle. Si Wyclef Jean, ex-Fugees, reprend Ne me quitte pas l’an passé, c’est moins parce qu’il évolue dans le même genre d’univers musical que pour des raisons personnelles: « Ma mère l’écoutait tout le temps et me disait que c’était la plus grande chanson d’amour jamais écrite en français. Cette version est d’abord un hommage à ma mère, ensuite au grand Jacques Brel et, enfin, à l’amour. »

Chez un Nick Cave, quand on le voit s’atteler à Next (Au suivant), pas de doute: il est brelien, dans l’intensité en crescendo de l’interprétation comme celle de l’écriture! Et Leonard Cohen? L’ombre du Grand Jacques ne planerait-elle pas ici et là sur l’oeuvre du Canadien? « Je ne l’avais jamais entendu quand j’ai commencé à écrire des chansons, confiait-il dans une interview au magazine Sounds, en 1971. Mais je pense que nombre d’artistes lui doivent quelque chose. »

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L’inspiration rap

Nouveau Brel par-ci, fils spirituel par-là: la scène rap francophone en compte, de ces rimeurs chez qui on retrouve, présume ou aime déceler quelque chose du Grand Jacques. D’Abdoulaye Diarra, alias Oxmo Puccino, on a même dit qu’il était le « black Jacques Brel ». S’il ne se voit pas comme l’un de ses héritiers directs, il reconnaît cependant son influence. Case Ces gens-là sur le volume 1 de L’hip-hopée, ou écrit « si tu es d’accord, ne me quitte pas, ne me quitte pas » dans Quitte-moi. Entre parenthèses, sur ce même volume 1 figure aussi Ne me quitte pas dans la version d’Hamed Däye, cofondateur du Ministère Amer, autre groupe important de l’Hexagone.

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Pour le slammeur Abd al Malik, « Brel est un rappeur, un rockeur, une vraie référence ». Et de préciser, à l’époque de la sortie de Gibraltar, son deuxième album solo, en 2006, qu’outre l’écriture magnifiée par la force de l’interprétation, c’est l’artiste lui-même qu’il admire, qui donne tout, « comme si après, il n’y avait plus rien. » Au journal 20 minutes, il confesse lui avoir tout pris: « Je pense que son écriture m’influence beaucoup, sa musicalité aussi. Il m’a vraiment donné le goût de ne pas être spécialement à la mode. De juste faire ce qui me touche. Et cette envie aussi de partager des émotions en racontant des histoires, de transcender mon statut social en rendant mes histoires universelles, comme lui. Je viens également d’un milieu social particulier mais j’ai cette envie de raconter des histoires qui touchent tout le monde. »

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Si les rappeurs se sont intéressés à Brel, ce n’est pas seulement pour son flow ou son art du mélange parlé/chanté, mais aussi pour sa façon d’évoquer les classes sociales, jusqu’aux plus populaires. Vald, Valentin Le Du pour l’état civil, s’est mis au rap sur le tard et s’est fait une réputation dans un genre plutôt absurde, s’inspirant des films d’horreur, du porno et des mots de Raymond Devos. Si la sociologie n’est donc pas forcément ce qu’on perçoit le plus vite chez lui, il affirme adorer Brel et se fait l’écho d’Abd al Malik. « C’est le plus grand rappeur de tous les temps! Je connais peu de choses, mais lui je connais bien. Il dégage une telle sincérité! Dès qu’il ouvre la bouche, ça donne des frissons. Il a un tel niveau d’écriture, c’est ouf! Ma manière d’incarner les titres, je l’ai prise chez lui, surtout sa gestuelle! » Voilà trois ans maintenant que Vald tutoie les grands du rap game en France.

L’influence télé

Brel reste un passage obligé pour certains candidats aux télécrochets. En France comme en Belgique, outre Ne me quitte pas, on a entendu à The Voice Ces gens-là, Mathilde, Amsterdam, La Chanson des vieux amants… C’est en chantant cette dernière que Slimane s’est imposé en 2016 dans les oreilles de Garou, Mika, Florent Pagny et Zazie. Et ça marche partout: l’année suivante, c’est un jeune Nîmois qui reprend Ne me quitte pas et fait pleurer dans le The Voice espagnol.

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Et aussi…

Les larmes de Nina Simone dévoilant à un jeune Thierry Ardisson comment elle en est venue à reprendre Ne me quitte pas. La tournure sociale et politique donnée par les rappeurs belges de Starflam au Plat pays. Les gestes, l’interprétation, la scansion d’un Stromae. Maître Gims qui glisse « j’suis l’ombre de ton iench » dans Bella et « T’es l’ombre de mon ombre » dans Game over avec Vitaa. Vieillir, samplé par Onyx, les rappeurs du Queens, et Shurik’n de IAM. Ou Les Bourgeois, par le Français Busta Flex dans Le Zedou, Les Marquises par l’électronicien Nicolas Jaar, Au suivant par Beck

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Enfin, à vous de voir… s’il n’y aurait pas un peu de Brel chez Miossec, Eddy de Pretto, Fauve

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