« Du béton aux nuages », la grande saga du rap FR en podcast

Du béton aux nuages, la saga du rap français © Le Mouv'
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

De NTM à PNL, la série lancée par la radio Mouv’ propose une plantureuse histoire du hip hop hexagonal. Avant la suite, attendue pour mars, trois premiers épisodes sont déjà disponibles.

Au fond, en devenant la première musique de France, le rap n’a pas remporté que la bataille du stream: il a aussi gagné le droit de raconter son histoire. Livres, anthologie, films, webdocu, expo… Du côté de Mouv’, le réseau « jeune » de Radio France, on a choisi l’outil podcast. Lancée au début de l’automne, la série baptisée Du béton aux nuages s’est donné pour tâche – titanesque – de retracer la trajectoire du rap français, des pionniers jusqu’aux têtes d’affiche actuelles.

Diffusés cet automne, trois premiers épisodes sont déjà disponibles. Avec des interviews des principaux acteurs, de nombreuses archives sonores, et Pascal Cefran, animateur-phare de la radio, au micro pour lier la sauce. Aussi touffu que virevoltant, le récit a été écrit par Raphaël Da Cruz, journaliste pour Mouv’, mais aussi Booska P et l’Abcdr du son. Explications avec l’intéressé.

Quand et comment est née l’idée?

Disons qu’elle a commencé à se concrétiser début 2020. La direction désirait lancer un projet de podcast natif. Jusqu’ici, Mouv’ faisait très bien de l’antenne, maîtrisait l’outil vidéo. Il restait à développer un podcast qui sorte un peu du canevas radio. La chaîne produit des capsules comme celle d’1 jour dans le rap. Mais j’avais envie depuis un moment de développer un format plus étendu pour déplier une histoire plus longue. J’ai donc soumis l’idée, en prenant notamment comme référence la série Hip Hop Evolution.

Les podcasts ont une audience jeune (NdR: 34 ans en moyenne, selon une récente étude du CSA français), mais malgré tout un poil plus âgée que la « cible » de Mouv’. Pourquoi l’outil était-il malgré tout idéal pour raconter l’histoire du rap français?

D’abord, les podcast natifs sont de plus en plus écoutés. Avec, c’est vrai, un public moins ado que celui de la radio. Mais l’idée est d’arriver aussi sur des choses plus récentes, qui pourront servir de porte d’entrée pour ce public-là. Ensuite, il faut quand même avouer que le podcast mobilise moins de main-d’oeuvre qu’un documentaire vidéo. Le projet demande évidemment énormément de temps, d’investissement. Je suis accompagné d’un réalisateur, d’un documentaliste, etc. Mais il y a une forme d’efficacité dans le podcast. Et puis, l’audio permet quand même d’avoir des entretiens plus fluides avec les artistes, là où la vidéo impose un cadre et une autre dynamique, davantage contraignants.

Comment as-tu procédé pour résumer une histoire longue aujourd’hui de près de quarante ans?

Cela a d’abord été un gros travail préparatoire. Il a fallu trouver la bonne manière de découper et baliser, à la fois par zone géographique, mouvement, courant, etc., et réussir, avec ma modeste érudition, à en tirer une histoire globale. Parce que c’est aussi ça que raconte cette série: ce sont des dominos qui tombent et qui en entraînent d’autres. À chaque fois, une génération ou un courant de rappeurs nourrit les suivants.

Sur quelles archives as-tu pu t’appuyer?

Je suis un grand lecteur de presse musicale depuis la fin des années 90. J’ai donc encore pas mal de magazines qui me permettent de revenir sur l’esprit de l’époque. Je me suis aussi basé sur certains livres, des biographies comme celles de NTM, etc. On trouve également pas mal de choses intéressantes à l’INA ou dans les archives de Radio France, comme des interviews de Solaar, d’IAM. C’est important pour essayer de saisir ce qui se disait. Et puis, aujourd’hui, il existe pas mal de comptes Instagram qui forment une sorte de fonds d’archives non officielles. Après, c’est la musique en elle-même qui donne quand même le tempo de l’histoire : ce que telle oeuvre a pu signifier à une certaine époque, ce qu’elle a laissé comme trace. Que ce soit d’ailleurs des disques qui ont eu un impact au moment même, ou qui ont reçu un accueil plus confidentielle mais qui ont eu une grosse influence sur la suite des événements.

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Tu suis cette musique depuis longtemps. Est-ce qu’en refouillant son histoire, tu as découvert des choses ou des angles inédits?

Je repense par exemple à l’épisode numéro 3, consacré à Marseille. Au départ, j’imaginais démarrer avec le tube Bad Boys de Marseille. Mais en discutant notamment avec Sat (de la Fonky Family) ou le 3e OEil, je me suis rendu compte à quel point l’affaire Ibrahim Ali (NdR: le 21 février 1995, le jeune Français d’origine comorienne, âgé de 17 ans, se fait abattre un colleur d’affiches du FN) a marqué cette scène. D’ailleurs, c’est lors d’un concert en hommage à Ibrahim qu’Akhenation va rencontrer la Fonky Family et leur proposer de participer à son premier album solo. Le drame cristallisait ce racisme présent dans le Sud-Est. Tout cela m’a poussé à repenser et reconstruire l’épisode.

C’était important de replacer l’histoire du rap français dans un contexte politique/social plus large?

Oui, parce que le rap est une musique qui est connectée au réel. En l’occurrence, il est la vitrine de ce que vivent ces jeunes artistes. Il se passe des choses dans la société française qui les marquent. À certains moments, c’est bien de faire un point, et de mentionner ces choses-là, par exemple avec des extraits de JT de l’époque. De la même manière, dans l’épisode 4, on ne pouvait pas faire l’impasse sur l’instauration de quotas de chansons « d’expression française » imposés aux radios, et qui va aussi avoir un impact sur la santé économique du rap.

Même en tablant sur onze longs formats (les trois premiers épisodes tournent autour d’une heure vingt chacun), il a fallu faire des choix. Parfois douloureux?

C’est certain. Même si on tente de faire le tour de la question, il s’agit quand même de proposer UNE histoire du rap français, pas l’histoire complète du mouvement. Même s’ils ont un peu disparu aujourd’hui, un groupe comme Expression Direkt a connu un vrai succès et a eu un impact concret, en affirmant un rap de quartier très français, avec ses propres références, qui refusait de mettre des dents en or pour faire américain. C’était nécessaire d’en parler. Mais du coup, j’ai dû parfois faire l’impasse sur d’autres choses, comme 3 x plus efficace de 2 Bal 2 Neg, qui est un classique, mais assez isolé comparé à d’autres discographies plus fournies. Dans le premier épisode, il aurait fallu évoquer les Little MC, ou Sté Strausz, l’une des premières rappeuses, qui, en 94, avec son album Sté Real livre une sorte de The Chronic à la française. Mais il y avait déjà tellement de matière à développer rien qu’avec MC Solaar, Ministère A.M.E.R…

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Avec le recul, est-on amené à revoir éventuellement son jugement sur certains disques qui semblaient intouchables, comme c’est par exemple parfois le cas dans l’émission web Tier List qui s’amuse à classer les meilleurs albums du rap FR?

On peut en réévaluer certains, en réhabiliter d’autres. Le jeu intellectuel est intéressant. Mais, et ils sont les premiers à le reconnaître, cela reste quand même très compliqué. Parce que vous vous retrouvez à comparer des esthétiques différentes, des époques différentes, etc. Le rap est une mosaïque. C’est aussi ça qui est intéressant. C’est un genre, et en même temps, c’est beaucoup plus complexe que ça. Cela représente tout un ensemble de visions pertinentes, intelligentes, faites avec passion.

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À l’inverse, comment aborder la période la plus récente?

L’une des idées est de revenir par exemple sur trois tendances qui m’ont semblé incontournables cette dernière décennie: la « démocratisation » de la trap; ce que j’appelle l’émo-rap, ce rap du mal-être qui se retrouve aussi bien chez PNL que Laylow; et puis toute une forme d’hybridation, qui réintègre par exemple les racines africaines de ses auteurs, jusqu’à l’avènement des musiques dites « urbaines », qui ne sont plus totalement du rap, mais qui en reprennent encore beaucoup de codes. De fait, sans trop de recul, c’est compliqué d’avoir une vision claire, c’est un travail d’historien à chaud. Mais c’est aussi ça qui est excitant… Quelqu’un comme Nekfeu, par exemple, se retrouve aussi bien dans l’épisode consacré à ce que j’ai appelé les « enfants du rap », au début des années 2010 – ce qui permet de parler de 1995, Sexion d’assaut, Orelsan, etc. – mais également dans le volet de l’émo-rap. Puisqu’en solo, il est arrivé avec une proposition dans laquelle il se permet d’évoquer ses angoisses plus personnelles, son malaise, etc. Comme d’autres – IAM ou Booba, notamment que l’on retrouve plusieurs fois -, il a réussi à évoluer et traverser les tendances.

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