Décryptage: pourquoi la pop à l’italienne cartonne en Belgique

Avant Måneskin, l'Italie nous avait déjà chanté à l'oreille avec Eros Ramazzotti, Laura Pausini, Gianna Nannini et Jovanotti.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors que Måneskin fait rocker les cours d’école, les éditions Le Mot et Le Reste racontent en 100 disques les mélodies transalpines de 1960 à nos jours, dans Buongiorno Pop. Zoom sur la musique en italien et sa résonance en Belgique.

Trois minutes. 180 petites secondes. C’est tout ce qu’il a fallu aux Italiens de Måneskin, vainqueurs du dernier concours Eurovision de la chanson, pour remplir Forest National et la Rockhal (Luxembourg). Encore inconnus dans nos contrées il y a quelques mois seulement, les Romains sont devenus un des phénomènes musicaux de l’année. Les tickets pour leur concert aux Lokerse Feesten (qu’ils ont finalement dû annuler) se sont vendus en moins d’une minute. Leur visite sous l’ascenseur à bateaux a plus que contribué au succès du festival de Ronquières… Måneskin a même caracolé chez nous (et pas que) en tête des charts et du classement de streams Spotify. « J’ai été un peu étonné de l’ampleur, avoue Sam Perl, qui fait tourner le groupe en Belgique avec sa société Gracia Live. Souvent, l’Eurovision est synonyme de one-hit wonder mais pas dans ce cas-ci. Måneskin a déjà deux albums à son actif. Et d’autres chansons comme I Wanna Be Your Slave ou leur reprise de Beggin’ ont commencé à grimper dans les charts. Je dois dire qu’on n’a plus vu un truc comme ça depuis Abba. Le public a aimé. Ils parlent aux ados, recréent un créneau rock’n’roll en cette période dominée par le rap et la pop. La jeunesse redécouvre les guitares. Il y a du sex appeal et ils véhiculent des messages. Quand ils ont joué en Pologne, Damiano et Thomas, qui sont pour la petite histoire hétéros, se sont embrassés sur le podium. » Une déclaration pratiquement politique dans un pays qui a beaucoup de mal avec l’homosexualité et le respect des droits LGBT.

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Si Måneskin touche aujourd’hui le grand public, il attirait déjà 550 personnes à Bruxelles, salle de la Madeleine, en février 2019. Toutes pour ainsi dire d’origine italienne. Et ce sans même de distribution. La Belgique, par son Histoire et celle de son immigration, est un territoire privilégié pour la musique transalpine. Sam Perl en sait quelque chose. Gracia Live travaille entre autres avec Eros Ramazzotti, Gianna Nannini, Laura Pausini et Jovanotti…

Durant les années 70, fondé par Michel Perl et Paul Ambach (oui, celui de Belgium’s Got Talent), l’ancêtre de Gracia Live, Make It Happen, commence à organiser des concerts en Belgique. À côté des poids lourds que sont Led Zeppelin, Pink Floyd, les Rolling Stones et James Brown, ils font venir un train d’Italie jusqu’à Charleroi et Liège. « Chaque artiste avait son wagon. Bobby Solo, Loredana Bertè… Tous les grands de l’époque. Ils jouaient alors devant des assistances composées à 100% d’Italo-Belges. Michel et Paul avaient repéré la demande et senti l’attente. »

RadioHitalia

Il fut une époque où les publics se sont croisés. Quelques années durant lesquelles les goûts de l’immigration italienne et ceux du grand public se sont rencontrés. C’est celle de Se bastasse una canzone et de La solitudine. Ramazzotti passe dans le Tonight Show de Jay Leno. Pausini a droit aux faveurs de MTV… « Dans les années 90, à la grande époque, celle de la grosse percée internationale et des sommets, Eros et Laura faisaient trois Forest et deux Flanders Expo complets sur la même année. C’était la première fois qu’ils se produisaient chez nous devant un public « non italien ». C’était un phénomène. Les labels poussaient à l’international. Sony, Warner, Universal… Tout le monde voulait son Italien. Comme aujourd’hui avec le reggaeton. Les maisons de disques travaillaient l’étranger, se battaient pour des passages sur les ondes. »

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Les choses sont depuis quelque peu rentrées dans l’ordre. Pour parler proportion, une Nannini, un Jovanotti ou un Baglioni attire aujourd’hui 85 à 90% de spectateurs d’origine italienne.

« Dans le temps, les médias les défendaient. Ils figuraient dans les playlists. Mais ce n’est plus nécessairement le cas maintenant. Quand Ramazzotti, Zucchero et Pausini sortent un single, ils ne passent pas automatiquement sur Vivacité, La Première et RTL. Même quand les morceaux marchent très bien en Italie« , explique Lorenzo Ponzo, président de RadioHitalia. Une question de mode, de tendance, de couleur recherchée par les radios traditionnelles. Ce qui n’empêche pas les artistes transalpins de remplir de grandes salles en Belgique. Un moyen comme il en existe peu d’autres de rester connecté à ses racines. « On en est à la quatrième génération de l’immigration et certains jeunes ne parlent même plus vraiment italien, poursuit Ponzo. La musique, la gastronomie et le calcio, ce sont un peu les meilleures manières de dire je suis rital et je le reste. »

Lorenzo avait treize ans quand il est arrivé en Belgique en 1979. De 1988 à 1991, il a travaillé sur la déclinaison radio de Ciao Amici pour la RTBF. Un programme apparu dans les années 70, à l’origine destiné aux travailleurs de première génération et décliné en italien. Comme il y avait aussi Para vosotros pour les Espagnols, Ileikoum pour les Maghrébins ou encore Hasret pour les Turcs. Avec ses potes, pour la plupart nés en Belgique ou arrivés quand ils étaient encore enfants, il a créé RadioHitalia en 2004 pour donner une impulsion nouvelle. « Tu n’as pas plus de trois radios du genre sur la bande FM. Quand on est arrivés, certaines s’essoufflaient. Restaient dans leur moule. On a voulu moderniser tout ça. Il y a les recommandations du CSA qui impose des quotas. On passe du Angèle et du Roméo Elvis mais la couleur de la radio correspond à ce qu’on vit. On est tous des Italo-Belges. »

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Nouvelle génération

Géographie. Démographie. Andrea Bocelli et Zucchero sont les seuls Italiens qui marchent mieux en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles. Paolo Conte et Richard Cocciante semblent éternellement tout public. Les autres cependant parlent surtout à la communauté de la Botte. « Il y a 260.000 Italiens d’origine recensés au consulat, poursuit Lorenzo Ponzo. Donc oui, la Belgique est assez particulière pour les artistes italiens. Il y a un public, un potentiel, une envie de participer à des événements. » A fortiori en Wallonie où vit 65% de la communauté transalpine. Et ce, même si la plupart des concerts ont lieu à Bruxelles. « Pour les nouvelles tendances et les tout gros chanteurs, c’est le cas. C’est la capitale de l’Europe. Tu as l’immigration de la restauration et des institutions. Puis c’est central. Les gens se déplacent. Mais tu as aussi des choses à Liège et autour du triangle Mons-Charleroi-La Louvière où tu peux attirer beaucoup de monde ne serait-ce qu’avec de la chanson napolitaine. »

Rap, trap… Des Sfera Ebbasta et des Salmo touchent la nouvelle génération. Les réseaux sociaux ont de toutes façons bousculé les habitudes. Plus besoin de la Rai et des journaux. Des groupes font leur trou via Spotify et YouTube. Sans nécessairement le soutien de gros label, sans même parfois de sortie belge. « Dans le temps, les artistes faisaient Milan, Zurich, Bruxelles et retournaient au pays, reprend Sam Perl. Mais un nouveau business model se crée. La crise économique de 2009 a tout accéléré. Paris, Londres, Barcelone… Tu entends de plus en plus parler italien dans toutes les grandes villes. En Allemagne aussi. On verra si la tendance se confirme après le corona… Pas mal de gens sont peut-être retournés en Italie. Je ne sais pas. Avec notre modèle et notre situation, en Belgique nous sommes de toutes façons moins sujets aux fluctuations. »

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Italians do it better

Décryptage: pourquoi la pop à l'italienne cartonne en Belgique

Résumer 60 ans de « pop » italienne en 100 albums. C’est la gageure réalisée par le journaliste Rosario Ligammari avec Buongiorno Pop, anthologie éditée par Le mot et le reste. Elle démarre avec Mina en 1960 et se termine en 2020 avec la sortie française d’ Immensità d’Andrea Laszlo De Simone. Entre les deux, alternent classiques -Adriano Celentano, Paolo Conte, Lucio Battisti- et coups de coeur plus personnels -Luca Carboni, les pionniers new wave Chrisma, le formidable Ho scoperto che esisto anch’io de Nada-, sans snober pour autant les icônes variét’ -Eros Ramazzotti, Zucchero, Laura Pausini. La volonté est de balayer les différentes aventures de la pop italienne -rock, punk, disco, rap, prog, etc.- tout en traçant des ponts -« le lecteur pourra évidemment picorer, mais j’ai essayé que l’on puisse le lire de A à Z, en soignant les transitions, en enchaînant par exemple les pionniers reggae d’Africa Unite à Almamegretta« , dont la maîtrise dub poussera même Massive Attack à leur demander de remixer Karmacoma

Le terme pop s’entend donc au sens large. Avec la question-piège: qu’est-ce qui la fait sonner italienne? « C’est compliqué à dire, mais je crois quand même que la mélancolie joue un rôle important. Durant les années 70, en particulier, je pense qu’il n’y a pas un seul disque de pop italienne qui ne contient pas le mot. » Un autre élément est sans doute le patrimoine musical local, particulièrement riche. « Notamment dans le classique et l’opéra, avec des compositeurs, des chefs d’orchestre, des chanteurs, des cantatrices ou même des castrats comme Farinelli. C’est aussi toute la tradition du bel canto. Bref, pour exister, la pop italienne a intérêt à être suffisamment forte et puissante. » Ajoutez à cela une capacité à se réapproprier des codes majoritairement anglo-saxons, en leur greffant une composante musicale locale, ou même plus simplement en l’utilisant pour raconter sa propre histoire. « Quand quelqu’un comme Frankie Hi-NRG sort son manifeste antimafia, il est forcément plus proche de l’Italie que du gangsta rap US.« 

Aujourd’hui, comme ailleurs dans le monde, c’est le rap et la « pop urbaine » qui donnent le ton, « mais toujours en conservant l’idée de mettre en avant son lien à une région, voire même à une ville« . Avec des artistes comme Sfera Ebbasta ou Marracash, mais aussi Mahmood, d’origine égyptienne, nouvelle star d’un pays qui a longtemps été davantage une terre d’émigration que d’immigration. « C’est vrai que l’anthologie ne propose par exemple qu’un seul visage noir -celui de l’Américain naturalisé italien Wess Johnson. Si l’on faisait le même exercice pour la France, je pense que le panorama aurait été très différent. C’est comme quand le Bolognais Cesare Cremonini sort le tube Kashmir-Kashmir, dans lequel il se met dans la peau d’un immigré qui subit le racisme. Je pense qu’en France, on aurait trouvé ça bizarre, limite ridicule. »

  • Buongiorno Pop, 100 albums italiens de 1960 à nos jours, de Rosario Ligammari, éditions Le Mot et le Reste, 256 pages.

La parole d’Antoine de Caunes

Rédac’ chef invité de Focus

Décryptage: pourquoi la pop à l'italienne cartonne en Belgique

« La musique italienne qui m’a marqué, c’est par le cinéma. Nino Rota, Leone… Mais il y a longtemps, j’étais un gros consommateur de comédies italiennes. Les films de Dino Risi, de Scola. La musique était là un vrai genre en soi. De manière plus anecdotique, Celentano, etc.

Jusqu’à la découverte récemment de l’outsider Ettore Grande que j’ai rencontré pour le numéro de La Gaule d’Antoine en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est un musicien autodidacte, ancien pizzaiolo, qui a une relation très fusionnelle avec sa mère. Elle l’a convaincu, à l’approche de la cinquantaine, de lâcher la pizza pour laquelle il avait un certain don pour se consacrer à la vocation profonde qu’est la musique italienne. Il crée des chansons romantiques pour lesquelles il réalise des clips. Dans ceux-ci, il fait intervenir des actrices célèbres par extraits de films interposés. Il apparaît toujours comme l’amant qui souffre. Bon d’accord il ne marquera pas l’Histoire de la musique. »

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