Dans la tanière de Roland Van Campenhout

Dans la tanière de Roland Van Campenhout, guitares, vinyles et souvenirs s'entassent. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Aîné cosmique du blues belge, Roland Van Campenhout expose via deux nouveaux albums l’intégration organique et barrée des musiques roots. Incluant, pourquoi pas, un guérisseur indonésien.

« Je suis tombé de la scène vers le public et j’ai entraîné mon ampli dans la chute. Mon guitariste est aussi tombé vers l’avant, dans le même style. Depuis lors, on s’est un peu calmé au rayon alcool. » Le rire est par contre toujours aussi tourbé qu’un malt ancien. Sans parler d’une trogne qui peut aussi servir de cartographie à une vie bien remplie depuis la naissance à Boom, province d’Anvers, le 7 juin 1944. L’anecdote se ramasse lors d’une de ces troisièmes mi-temps alcoolisées au début des années 90, lorsqu’on croise Roland au sein de Charles et les Lulus. Un side project live animé avec son pote Arno et deux autres musiciens -l’organiste Adriano Cominotto et le batteur Piet Jorens- le temps d’un album éponyme composé de reprises blues venues du fond de la gorge. Forcément éraillée, comme les prestations scéniques nonformatées du quatuor: sur la scène gantoise du Vooruit, Roland se fait raser la barbe en live. Pour le plaisir de redevenir une illusion jeune, en geste surréaliste. Roland a alors 46 ans. Pas loin de là et de trois décennies plus tard, on retrouve l’Anversois dans sa tanière gantoise, dans le sous-toit d’un ancien bâtiment industriel. Il nous sert un champagne artisanal -il est quand même quinze heures…- en provenance d’un bled est-français où le Roland a dégoté un logement rustique où il va faire ce qu’il préfère: l’homme des cavernes musical. Il y a aussi des guitares par dizaines, de toutes sortes, des merveilles acoustiques ou pas, dressées comme autant de signes boisés de décennies dingues où jouer reste comme une permanente et incertaine carte de poker. Des stocks de vinyles sont déposés au sol d’une large et bordélique piaule où -juste un exemple- le frigo sert de bibliothèque. On en revient aux Lulus: « Le rasage était un geste symbolique parce que c’était le dernier concert avec les Lulus. Arno dit que c’est la meilleure chose qu’il ait jamais faite… Je l’ai rencontré à la fin des années 60, peut-être bien à La Chèvre Folle d’Ostende, quand je faisais mon service à la Farce Navale (sic) . Et moi, j’étais sur le label Vogue -celui de Dutronc- avec Miek & Roel, duo faisant du cabaret folk en flamand, comme Raymond van het Groenewoud ou Johan Verminnen. Un peu dans l’esprit parisien à la Brassens: moi, j’étais à la guitare en la mineur, et tout à coup, je jouais comme un jeune Bob Dylan. Cela prenait drôlement bien. » On peut voir le loustic Van Campenhout sur un document YouTube de 1968: glabre, les cheveux mi-longs, mettant des coups de guitare slide alors que le couple Miek & Roel, fringué en hippies de la Renaissance, chante Jan met de pet. Pas la peine de chercher le chien adoré: il n’y a pas de réel équivalent francophone. « J’avais une sorte de don dans ce que l’on appelle le fingerpicking. C’est pour cela que j’intéressais Miek & Roele: peu de gens faisaient cela en Belgique à l’époque. » Unique déjà un peu, l’animal qui compte aujourd’hui une bonne vingtaine d’albums solos au compteur.

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Vieil indien

« Roland est pour moi comme un frère aîné. On s’est rencontrés alors que j’avais onze ans, en 1990, et que je jouais du punk rock’n’roll. Il nous a invités, moi et mon groupe, sur la scène des Fêtes de Gand, comme un maître barge et anarchiste qu’il est. Il m’a appris plein de choses que l’on ne doit pas apprendre aux enfants (sourire) . Roland est un peu comme un holy man, un magicien, un vieil indien. » Pieter-Jan De Smet -né en 1968- connaît très bien le Roland depuis maintenant quatre décennies de collaboration et de voyages musicaux, de Gand au Japon, où les compères sont allés presque dix fois, invités par autant de Belgian Beer Weekend(s). Assez logique puisqu’on voit mal le Van Campenhout jouer pour un sponsor minéral. Quoiqu’à la question des spiritueux -dont la consommation rolandienne varie au gré des périodes-, il faut surtout ajouter celle du spirituel majeur, le blues. « À quatorze ans, j’étais un maniaque de musique classique, de Bach et de Mozart. Quand j’entendais les Beatles à la radio, j’éteignais le poste ah ah. Et puis, il s’est passé un truc via le jazz de Coltrane et les disques de blues de Lightnin’ Hopkins et de John Lee Hooker, que j’ai d’ailleurs vu au café De Muze à Anvers où il avait été payé, paraît-il, 600 francs belges. » En cette fin des années 60, Roland découvre la musique noire américaine, héritière humide de quelques siècles de souffrance et d’injustice. Pas forcément un hasard philosophique au vu des gènes impliqués: enfant, il voit son père se noyer « quasi sous ses yeux » et se retrouve avec « un connard de beau-père » occasionnellement violent avec sa mère. « Depuis lors, je ne supporte pas la dispute, la confrontation. Ce qui fait qu’à quatorze ans, je suis parti vivre seul dans une chambre à Anvers, près de la Gare centrale où se trouvaient toutes ces vieilles maisons de putes. D’ailleurs, ces femmes me donnaient à bouffer. Aujourd’hui, ce genre de choses est difficilement imaginable. » Le gamin né dans une cave de Boom sous les V1 allemand, a quitté l’école. De quatorze à vingt-et-un ans, Roland pratique les usines flamandes d’après-guerre: un garage, la fabrique Bell d’Hoboken, du travail à la chaîne, de la sueur modestement rétribuée. D’autres sons passent dans le paysage des « Trente Glorieuses« , comme le fantastique orgue Hammond de Jimmy Smith et puis celui du fric, toujours via une partition peu écrite à l’avance.

« J’étais à la guitare en la mineur, et tout à coup, je jouais comme un jeune Bob Dylan. »© BELGAIMAGE

Beatnik ta mère

Quand Pieter-Jan De Smet parle de Roland comme anar , il sous-entend aussi son rapport aux règles sociales, à la normativité économique et, last but not least, au ministère des Finances du royaume. Oui, encore une anecdote. Quand je visite Roland dans sa petite maison de Grimbergen, près de Bruxelles, au cours des années 90, il fait le guide: au premier étage, il a étalé une dizaine de dossiers de contributions des Finances lui demandant des nouvelles (…) et le priant de se mettre en ordre au rayon impôts. Il présente les documents comme s’il s’agissait de reliques, avec enveloppes d’origine, ou plutôt de preuves de son indifférence aux règles. L’État belge finira par toquer de manière insistante à sa porte et l’affaire se conclura donc en paiements rééchelonnés avec « l’ennemi ». Pas de quoi s’inquiéter outre mesure. À quasi 75 ans, Roland semble toujours prêt aux coups aventureux qu’amènent les rencontres, comme celles avec Ferré Grignard, Derroll Adams ou Rory Gallagher. Avec l’exceptionnel guitariste irlandais mort prématurément en 1995 à l’âge de 47 ans, Roland prendra les routes du grand blues électrique, ouvrant pour Rory à l’Olympia, au Casino de Montreux ou au Royal Albert Hall, l’accompagnant même parfois en fin de set à l’harmonica. Des pistes brûlantes immémorielles et ces fameuses troisièmes mi-temps prolongées lorsque Rory -voulant éluder la lourde taxation britannique…- habite un long moment chez Roland, alors résident de Laethem-Saint-Martin, commune voisine de Gand: « Je pense beaucoup à lui, j’ai beaucoup appris de ce monsieur… Je n’ai pas toujours été conscient que ma vie avait été un roman parce que rien n’est jamais prémédité dans la façon dont je la mène. Quand les gens me disent que je suis un ancien hippie, mais non, je suis un ancien beatnik. Et le fils d’une mère qui n’était pas baptisée, ce qui était plutôt inexistant à l’époque en Flandre! » Amateur de littérature, de Kerouac et de Vian, Roland aime les livres « parce qu’ils rendent meilleurs » et qu’eux aussi transportent le sens d’un voyage permanent.

Esprit Bali

Hormis ses trips japonais backés par les bières belges, Roland a aussi eu sa période singapourienne, jouant à répétition dans le club d’un compatriote. Des attirances orientales qui débutent, elles aussi, dans les années 60 avec ce disque qui tourne maintenant sur la platine de son refuge gantois: E Pluribus Unum, de l’américain Sandy Bull (1941-2001), qui y joue d’instruments non occidentaux comme l’oud. Roland: « Il y a toutes les musiques que j’aime dans cet album de 1969. Quand tu écoutes Sandy, Ravi Shankar ou même Stravinsky, c’est du blues! Là, avec l’âge, j’ai l’impression d’être une distillerie (sourire) au sens où toutes les musiques se distillent en moi. » Dans son nouvel album, Folksongs from a Non-Existing Land, on entend une curieuse voix. Celle d’un autre loustic qu’a croisé Roland à Bali, un type qui a moins de dents que de pouvoir guérisseur, paraît-il. On entend les délires parlés, en un incompréhensible sabir: « On a passé trois jours ensemble, sans parler la langue de l’autre. Il cause à moitié en anglais, à moitié en japonais. Et il est question de l’esprit: c’est aussi cela que je trouve lorsque je vais dans ma petite maison de Champagne-Ardenne où il n’y a rien, sauf l’électricité et l’eau chaude. Là-bas, je peux travailler parce qu’il y a la solitude et le silence. Et puis, beaucoup de fantômes positifs, de vibrations. » Sur ce, Roland se lève et va dégoter une photo de la cave champenoise où l’on distingue ce qui ressemble à un berceau avec des têtes de mort et aussi, la trace filante d’un… esprit. Présumé blues.

Roland Van Campenhout

« Folksongs from a Non-Existing Land », distribué par Pias. ****

« Somewhere in the Mountains », distribué par Pias. ***(*)

Dans la tanière de Roland Van Campenhout

Pourquoi ne sortir qu’un album quand on peut en sortir deux, dont un double plus DVD? Folksongs… vogue des sonorités orientales au folk via des bribes de psychédélisme, appétit transversal en sept morceaux sans plus de contrainte de style que de temps: Washi te kudasai dépasse les huit minutes, Smile From The Heart est une lumineuse saga organique de quatorze minutes. D’un bien plus varié et surréaliste que la simple carcasse blues. D’un constant boulot sur la matière sonore, riche, malaxée, théâtrale, le plus souvent électrique. Parcourue par la voix de Roland, aussi éraillée que le pays -le nôtre?- évoqué dans le titre, aussi engagée que sa phrase de Swamp Adversity: « Donner à manger aux affamés ». La seconde proposition, Somewhere…, paraît sur le même label allemand, Meyer Records. Soit un disque blues-folk en solo et un autre, live à Cologne, davantage free communautaire et barré. Roland y confronte son univers grizzly à cinq instrumentistes dont des tablas libérés et un tuba rappelant les grognements humains de Tom Waits. Le DVD assemble diverses performances, dont celles de Cologne mais aussi deux titres avec Pieter-Jan De Smet pour un portrait-puzzle de l’artiste polychrome. À noter, le soin de pressage et de layout apporté aux belles éditions vinyles.

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