Serge Coosemans

Sortie de route #20: Voir Flagey et courir

Serge Coosemans Chroniqueur

Fear & loathing in Place Flagey, notre gonzo éthylique et son camarade jetlaggé ont tenté le reportage ultime sur le coin le plus médiatisé de Bruxelles. Pour lamentablement planter le papier, évidemment.

Sortie de route #20: Voir Flagey et courir
© DR/Fla Gel

Place trendy, trou prout prout, principauté bobo, plan coke assuré. Rendez-vous péquenaud, creuset de cultures de pointe. Un moment, je dis, faut arrêter les clichés, y aller franco. Un vendredi soir, faire le tour des crèmeries du coin Flagey. Café Belga, Bar du Marché, Murmure, Pantin, Tigre, les bars à vins, les caberdouches plus douteux, et finir par ce truc de hillbillies où personne n’ose jamais entrer, juste à côté du Delhaize, ça s’appelle la Brasserie du Marché. Cueillir les anecdotes, collectionner les bonnes remarques, cerner les typologies. De l’anthropologie de terrain plutôt que du publi-reportage déguisé, la vérité vraie plutôt que la satire cynique. « Ouais, mais en attendant, j’ai faim et je me boufferais bien de la morue », me rétorque là-dessus mon bon ami Bruce Printscreen, la voix assez haute pour être entendu par la table d’à côté, bien entendu occupée par deux femmes, la quarantaine arrogante. Quand, outrées, elles le dévisagent, il fait l’innocent et continue: « après tout, c’est aussi un quartier très portugais ».

Bruce revient tout juste de New-York City, USA, ville qu’il a estimé joyeusement énergisante et très sympathique. Il est d’une drôle d’humeur, pas vraiment heureux de se retrouver dans la morosité et la sinistrose bruxelloises. Quand un sursaut d’énergie le sort de sa somnolence, ses monologues tiennent carrément de l’hystérie: « Y en a marre de cette ville de foutus pisse-froids! A New-York, tu parles aux gens, tout le temps! Ici, tu souris à une fille, elle te sort vite fait son spray au poivre. Tu fais une blagounette, c’est l’embrouille assurée, tu risques même de te faire carrément étaler. » Comme pour illustrer son propos, alors que nous entrons au Café Belga, il lance un très jovial « bonjour » à une belle qui en sort. « Connard », rétorque-t-elle sans même se retourner.

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Je suis bon client du Café Belga. En journée, du moins. Et en semaine. JAMAIS le week-end! Grâce au wifi, j’y travaille, à grands renforts de double Pepsi et de thé à l’églantine. J’y donne des rencarts. C’est pour moi l’équivalent du Café Zurich à Barcelone, un lieu évident, où se poser, observer, chiller, humer la ville et ses habitants. S’en inspirer pour écrire, trouver des idées, vampiriser un peu de ses bonnes ondes. Quand tombe la nuit, par contre, le lever de camp s’avère indispensable, car c’est alors que surgissent les Playmobils, les affreux barbus à lunettes rectangulaires, les métrosexuels amis à Carl. Les évadés fiscaux, les hipsters à roulettes, les wannabe maffieux qui grenouillent à la fois dans l’immobilier et dans l’audiovisuel. « Si tu aimes tant le Belga la semaine en journée, qu’est-ce qu’on y fout là un vendredi soir? », me sort Bruce, perplexe. Heu…

On se crapahute Rue du Belvédère, son intimiste Bar du Marché, ses romantiques petits bars à vins. Pour se rendre compte que dans chaque établissement, chaque table est occupée par un couple de trentenaires hétérosexuels très propres sur eux. Le genre à se parler d’emprunts à 3%, de l’avantage du photovoltaïque, peut-être même de la pertinence d’habiter une commune riche afin d’y payer moins d’impôts fonciers. Nous qui rêvons de ripailles paillardes, de bombances gauloises, de taste-fesses en toute amitié, nous qui avons pour coutume de nous raconter à volume sonore élevé des blagues avec des nazis et des pingouins, on comprend que l’on ne va pas trop trouver nos marques dans cette ambiance par ailleurs probablement sonorisée manouche.

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Dans la foulée, on zappe également le Murmure, pourtant la parfaite antithèse du Café Belga. « T’es aussi client ici la semaine en journée? », me demande Bruce. Je réponds que ce repaire d’adorateurs de Jean-Luc Mélenchon, de décroissants au beurre et d’amateurs de pulls en laine de mouton mort en 1972 ne m’est effectivement pas étranger. C’est là que j’emmène les filles avec qui j’ai envie de parler de l’avantage du photovoltaïque, parce que c’est sombre, profond et plein de recoins. Que leurs mecs n’auraient jamais l’idée de nous chercher là, donc. Que le choix de trappistes et de tord-boyaux n’est pas non plus négligeable. Mais à part ça, what’s the f***ing point d’aller se perdre dans un troquet d’étudiants de gauche un vendredi soir?

D’aller se perdre au Tigre, au milieu des demi-pubards et des influenceurs à gros Klout? D’aller se perdre, quand on n’aime pas trop le sport de boeufs sur écran géant, au Valera’s? D’aller se perdre chez les foutus hillbillies à côté de Léonidas? DE VENIR À FLAGEY UN SOIR DE WEEK-END, tout simplement?!? Écrire sur Flagey en allant au-delà des clichés? Mais cet endroit EST un cliché!!! Bons restos, bars sympas à certaines heures et imbuvables à d’autres, c’est indiscutable. Bobos d’un côté, CPAS de l’autre, et la crapule au milieu, sur une place qui, la nuit, n’a jamais autant ressemblé à un coupe-gorge que depuis qu’elle a été rénovée, c’est déjà plus polémique. Ici, c’est la parfaite illustration d’un processus de gentryfication pincée, de spéculation pernicieuse à la bruxelloise. Le spectre d’un multiculturalisme de surface qui a bien du mal à cacher le mépris profond que se vouent les différentes couches sociales obligées de coexister sur le périmètre, jusqu’à la victoire totale de la tribu Matuvu, un jour, plus tard, c’est écrit, voulu, en cours. Trouvant tout cela quelque peu déprimant, Bruce et moi, on a tout simplement été s’achever ailleurs. Reportage tango down mais à Saint-Gilles, c’est plus open et tranquillou. Pas à la new-yorkaise, mais presque. Sans rancune aucune, Flagey-flageolet. On reviendra lundi midi, de toutes façons.

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