Critique | Musique

Clifford Brown – The Singers Sessions

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Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

JAZZ | L’intégrale des sessions de Clifford Brown, avec trois jazz divas des années 50 et au-delà, sont réunies au sein d’un incontournable coffret.

CLIFFORD BROWN, THE SINGERS SESSIONS (WITH DINAH WASHINGTON, SARA VAUGHAN AND HELEN MERRILL), THE EMARCY MASTER TAKES (VOL. 2), HIP-OSELECT.COM (UNIVERSAL) ****

La ferveur affectueuse que suscite toujours Clifford Brown, dit Brownie, auprès de ses nombreux admirateurs n’est pas seulement liée au génie du trompettiste mais aussi à tout ce qu’il a pu représenter de positif dans une corporation ravagée à l’époque par l’alcool et les drogues dures. Avec Miles Davis (si l’on veut), Clifford Brown, mort en 1956 à l’âge de 25 ans au cours du troisième grave accident de voiture dont il aura été victime lors de sa courte vie, est l’un des premiers musiciens devenus célèbres à avoir appris la musique dans une académie, et non à l’écoute de ses aînés. Mais contrairement à Miles et à toute sa génération, il fut un musicien « clean » rejetant systématiquement l’héroïne et faisant montre de tempérance alors même qu’il a souvent croisé, très jeune, Charlie Parker, dieu vivant du bop et de la défonce. Sonny Rollins, son partenaire de prédilection, a reconnu la dette qu’il devait au trompettiste qui lui aurait montré « qu’il était possible de vivre une vie bonne et propre et d’être, en même temps, un bon musicien de jazz ». Cette attitude se reflétait aussi dans ce qui comptait au-dessus de tout pour lui: la musique. Personnalité fondatrice essentielle de ce qui prendra le nom de hard bop (et qui représente, aujourd’hui encore pour beaucoup, LE jazz), il fut, avec Miles toujours, mais plus que lui, l’un des rares musiciens noirs à s’être intéressé, avec beaucoup d’humilité, aux musiciens blancs de la West Coast et à leur musique cool, jouant avec Barney Kessel, Bob Cooper, Shelly Manne, Shorty Rogers ou Zoot Sims. Bien sûr, ce qui a rendu avant tout célèbre le trompettiste au physique de boxeur poids moyen (Donald Byrd, Freddy Hubbard, Lee Morgan lui doivent tout ou presque), est d’avoir fait partie des Jazz Messengers originaux avant de devenir, aux côtés d’un batteur nommé Max Roach, le leader d’un quintette qui allait redéfinir, au début des années 50, les formes du jazz à venir.

Débarrassé de tout a priori, Clifford Brown a su aussi jouer les accompagnateurs auprès de trois chanteuses qui ont marqué l’histoire de cette musique. La première est Dinah Washington à l’époque où celle-ci, considérée comme une chanteuse de blues, voulait percer dans le monde du jazz. La jam session qui les réunit (et occupe deux disques), soigneusement préparée par la chanteuse, a été enregistrée en studio devant un public trié sur le volet. Confronté à deux autres trompettistes (Terry Clark et Maynard Ferguson), Brownie met tout le monde dans sa poche lors d’un formidable solo qui vient couronner un You Go to My Head d’anthologie. Avec Sarah Vaughan, qui occupe la première moitié du troisième et dernier CD comme avec Helen Merrill (née Jelena Anna Milcetic) à laquelle revient la seconde partie, Clifford se montre la même année (1954) presque protecteur à travers des interventions concises sachant parfaitement mettre en valeur, malgré leur style ici assez semblable, les différences de voix comme de personnalités des deux chanteuses.

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