Célébrer le changement: les bonnes pioches du Guess Who?

John Dwyer et ses furieux Osees devant un parterre assis. Tout un symbole du combat entre le rock'n'roll et le Covid... © TIM VAN VEEN
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Malgré le durcissement soudain des mesures sanitaires alors que le festival avait déjà débuté, Le Guess Who? 2021 est allé jusqu’à son terme. Retour sur un week-end de découvertes, d’incertitude, de grands chamboulements et d’abnégation.

Il n’aura pas été de tout repos le quatorzième Guess Who? C’est le moins qu’on puisse dire. Pour les festivaliers, qui comme d’habitude, malgré ses escalators, ont dû grimper des centaines de marches dans l’immense Tivoli (une espèce d’Inno ou d’Euralille de la musique), avaler quelques dizaines de kilomètres à pied ou à vélo (les clubs sont disséminés dans toute la ville) et parfois se couper en deux afin de découvrir ce que l’événement néerlandais avait de plus beau à offrir. Pour ses organisateurs surtout, qui ont dû se plier en quatre afin que leur exceptionnel rendez-vous des musiques aventureuses et plurielles puisse se dérouler sans trop d’encombres. Si la Mega Record and CD Fair d’Utrecht, la plus grande foire aux disques du monde censée se dérouler le même week-end, a été annulée en dernière minute, Le Guess Who? a bien eu lieu. Il a même été jusqu’à son terme.

Il faut être zen, motivé, voire un peu cinglé, pour organiser des événements de cette ampleur dans le contexte actuel, l’incertitude pandémique et les tergiversations gouvernementales. L’an dernier, l’équipe derrière le pointu et élitiste festival néerlandais avait fait savoir dès le mois de mai qu’elle passait son tour. L’espoir fait vivre, mais il peut aussi rapidement vous pousser au bord du gouffre. Cette année, si l’été festivalier avait été méchamment amputé, l’avancement de la vaccination et les perspectives données par le Covid Safe Ticket, connu de ce côté-là de la frontière sous le nom de Pass Covid (on parle aussi de vaccination, de guérison du coronavirus ou d’un test négatif récent), avaient terminé de convaincre Bob van Heur et ses acolytes du bien-fondé de leur jusqu’au-boutisme.

À la base, Le Guess Who? 2021, c’est un Guess Who? presque normal. Il faut montrer patte blanche ou narine saine, mais ensuite ça se fait sans masque ou autre mesure de distanciation sociale. Tout au plus la fréquentation des salles est-elle réduite à 75% de leur capacité et la fin des concerts fixée à minuit contre 2 heures du matin habituellement. Ça, c’était la théorie. Ça a duré deux jours, avant que le festival ne soit rattrapé par des chiffres de contamination particulièrement inquiétants. On avait senti le vent tourner avant même son coup d’envoi, jour d’anniversaire et d’armistice. Le RIVM, l’organisme néerlandais responsable de la santé publique, signalait le jour même 16 364 nouveaux cas de Covid au cours des dernières 24 heures. Battant ainsi le record depuis le début de la pandémie aux Pays-Bas du 20 décembre 2020, avec 12 997 cas.

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Esprit d’ouverture, âme d’esthète

Si Le Guess Who?, son impressionnant centre névralgique excepté, ressemble à tous les festivals citadins qui se déclinent dans différents clubs et lieux (églises, théâtres…), il s’en distingue avant tout par son intransigeance, son esprit d’ouverture, son âme d’esthète. Folk, world, jazz, électro, rock… Peu importe le genre, la programmation de l’évènement est exigeante, tout sauf évidente. C’est notamment dû au profil de ses curateurs. Le Guess Who? garde la main sur une partie de l’affiche mais en délègue une proportion assez importante. Cette année, les rênes du line-up ont été confiées au déchirant Phil Elverum (Mount Eerie, The Microphones), au leader des Osees John Dwyer, à la poétesse, clarinettiste et saxophoniste Matana Roberts, à la paysagiste sonore Lucrecia Dalt et à la compositrice et percussionniste japonaise Midori Takada.

En attendant fébrilement la réunion de crise de vendredi soir, les deux premiers jours se déroulent comme si de rien n’était. Seule avec sa guitare, Shannon Lay, la folkeuse californienne à la chevelure orange (très couleur locale), brille dans le calme et le dépouillement. Tandis qu’Elverum, secondé par le guitariste Jay Blackinton, accessoirement chef dont les restaurants sur l’île d’Orcas, dans l’État de Washington, sont recommandés par Le Petit Futé, donne un concert bouleversant d’une seule chanson. Celle, autobiographique, de 44 minutes qui compose ni plus ni moins que le dernier album de The Microphones. L’autre grosse claque de la journée inaugurale, c’est Irreversible Entanglements, le collectif de free jazz chicagoan toujours accompagné par la voix de la virulente Camae Ayewa (Moor Mother), venu présenter le tout beau tout frais Open the Gates et dont on croisera la section rythmique (Tcheser Holmes et Luke Stewart) le lendemain après-midi aux côtés de Ben Lamar Gay au Kapitaal, à la fois atelier graphique de pressage et espace d’exposition.

Assis et l’après-midi…

Vendredi, alors qu’on se laisse gagner par la nostalgie et le spleen de Spirit Fest (la rencontre des Japonais de Tenniscoats et des Allemands de The Notwist), qu’on tombe sous le charme de Lael Neale (une espèce de Lana Del Rey indé), qu’on se rappelle de la talentueuse Mariee Sioux (grande pote d’Alela Diane) et qu’on jauge le tour de force de Zwangere Guy, les nouvelles se veulent rassurantes. Malgré des statistiques alarmantes et un confinement partiel, une programmation on ne peut plus internationale et la promiscuité inhérente au spectacle vivant, a fortiori au concert, Le Guess Who? va se poursuivre. Dans une année déjà particulièrement compliquée pour la tenue d’événements, le gouvernement néerlandais a annoncé de nouvelles restrictions pour le secteur culturel. Mais encore une fois et dans un laps de temps on ne peut plus court, les organisateurs vont s’adapter. « Les deux derniers jours seront différents de ce qu’on imaginait et tous les artistes ne seront pas en mesure de se produire« , font-ils savoir, mais par de jolis tours de passe-passe, ils feront mieux que limiter la casse. Les nouvelles règles s’appliqueront à partir de 18 heures le samedi? Qu’à cela ne tienne. Les concerts qui ne commencent normalement qu’en début de soirée sont dare-dare avancés dans l’après-midi.

Rock spirit, girl power… Mention spéciale aux Californiennes d’Automatic et aux New-Yorkaises de Gustaf. Et pour dimanche? Pas le choix, ce sera assis messieurs-dames. Et on peut parler de concert exceptionnel. Il n’a pas dû souvent arriver à John Dwyer et aux Osees (écrits sous quelque forme que ce soit) de jouer devant des spectateurs au cul vissé sur une chaise.

Les masques, qui ne sont pas imposés, (mais bien en Belgique désormais) se font rares. Très rares. Il est consternant de constater l’absence de concertation entre pays voisins, la disparité des mesures prises par chacun. Comment d’un pays à l’autre, au sein même de l’Europe, la maladie, sa transmission et la culture sont gérées. Après, il est un peu illusoire d’imaginer des gens pogoter avec un bout de tissu ou de papier sur la bouche et le nez.

Les Sons of Kemet soulèvent les foules.
Les Sons of Kemet soulèvent les foules.© JELMER DE HAAS

Sans trop foutre le bordel non plus, ils ne sont pas restés fort longtemps lovés dans les fauteuils de la grande salle du TivoliVredenburg, les fans de Sons of Kemet. Le Guess Who? s’est terminé dans une grand célébration festive et dansante. Chacun se dandinant devant son siège, ou plus ou moins. Sons of Kemet and special guests… Le saxophoniste Shabaka Hutchings, le joueur de tuba Theon Cross et leur bande ont défendu leur dernier album Black to the Future avec leurs invités: Joshua Idehen et surtout Angel Bat Dawid qui, quelques heures plus tôt, lors de son concert, donnait la leçon à un auditoire médusé, arrivant sur scène à travers le public en hurlant avec toute sa rage et ses tripes notre responsabilité dans le racisme endémique de nos sociétés. Le tout en montrant du doigt une grande image du Père Fouettard.

« Celebrate change« , la devise de l’événement néerlandais cette année, résume on ne peut mieux et sur tous les plans une édition singulière. Entre les concerts gratuits du U?, un programme participatif de jour créé pour et avec la ville d’Utrecht, le lancement de Cosmos, un sanctuaire pour l’expérimentation, scène et plateforme hybride où trouver des documentaires, des interviews et des expériences visuelles, le Guess Who? essaie de repousser toujours plus loin la définition du festival. Si les choses sont rentrées dans l’ordre d’ici-là, se sent-on obligé de préciser, Le Guess Who? 2022 se déroulera du 10 au 13 novembre. Une semaine avant le coup d’envoi de la Coupe du monde au Qatar…

Who’s Who

Gabriels

« C’est l’un des disques les plus fondamentaux que j’ai entendus ces dix dernières années« , dit Elton John au sujet de leur premier EP Love and Hate in a Different Time. On n’ira pas jusque-là mais Gabriels, la rencontre des producteurs Ryan Hope et Ari Balouzian (un réalisateur et un compositeur de bandes originales) et du chanteur de gospel, directeur de chorale et ancien candidat d’American Idol Jacob Lusk est assez bluffante de maîtrise et de souffle. Gabriels, c’est un peu Curtis Mayfield croisé avec Anohni (Hegarty)… De la soul moderne et vintage tantôt groovy tantôt grandiloquente. Un projet dont on n’a pas fini d’entendre parler.

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Mazaher

Dans sa programmation à tiroirs, défricheuse et mystérieuse, Le Guess Who? a lancé en 2019 avec le producteur globe-trotteur Ian Brennan et le fondateur du label Glitterbeat Chris Eckman une série de concerts baptisée Hidden Music, histoire de mettre à l’honneur des artistes trop peu représentés et des traditions musicales ancestrales. Les Égyptien(ne)s de Mazaher préservent et perpétuent la musique zar essentiellement pratiquée par des femmes. Des chansons aux polyrythmies hypnotiques utilisées comme rituel de purification et d’exorcisme pour pacifier et nettoyer l’esprit humain, qui s’accompagnent de danses extatiques. Une expérience.

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Old Time Relijun

Cible de l’alt-right suite aux théories conspirationnistes entourant le Comet Ping Pong Pizza pour lequel il avait peint une fresque, Arrington de Dionyso s’est fait traîner dans la boue, menacer et espionner ces dernières années par des supporters de Trump et des néo-nazis. Plutôt que de se cacher, il a tourné sous le nom de This Saxophone Kills Fascists et réveillé la bête Old Time Relijun. Ce groupe fondé en 1995 à Olympia, dans l’État de Washington, a repris la route. Celle des concerts (le 5 décembre à Leffinge), celle des disquaires (Musicking chez K Records), celle d’une musique cramée, sauvage, viscérale et possédée qui aime Captain Beefheart, David Byrne et la contrebasse. Phil Elverum s’est brièvement assis derrière la batterie en souvenir du bon vieux temps…

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Eddie Chacon

Si le nom d’Eddie Chacon ne vous dit rien, ce natif d’Oakland (Californie) ne vous est pas totalement étranger. Avec Charles (Pettigrew), Eddie a figuré sur les bandes originales de True Romance et des Valeurs de la famille Addams. Il a surtout signé en 1992 un hit planétaire: Would I Lie to You? L’an dernier, Chacon, qui jouait déjà à 12 ans dans un groupe avec Mike Bordin de Faith No More et le bassiste de Metallica décédé dans un accident de tour bus Cliff Burton, sortait un album avec John Caroll Kirby, producteur de Frank Ocean et Solange… Une voix de braise qui fait chavirer Mac DeMarco.

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King Hannah

Porté par le timbre vénéneux d’Hannah Merrick et la guitare brûlante de Craig Whittle (anciennement collègues dans un troquet anglais), King Hannah est l’un des groupes les plus prometteurs de Liverpool. Son premier EP, Tell Me Your Mind and I’ll Tell You Mine avait donné le ton l’an dernier. Le concert du Guess Who?, cinématographique (façon David Lynch), nineties (quelles grattes!) a confirmé tout le bien qu’on en pensait. Son premier album, I’m Not Sorry, I Was just Being Me est attendu le 25 février.

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