Serge Coosemans

Ce soir on vous met, ce soir on vous met Guetta

Serge Coosemans Chroniqueur

A Marseille, une fronde contre la venue subventionnée de David Guetta suscite énormément de bonnes questions. Notre chroniqueur estime qu’elles se posent également dans le cadre de Mons 2015, Capitale Européenne de la Culture. Sortie de route, S02E23.

La France qui se couche tard ne parle plus que de ça: à Marseille, cette année Capitale Européenne de la Culture, le Conseil municipal a attribué une enveloppe de 400.000 euros à un important producteur (Adam Concerts) pour faire jouer David Guetta et Mika dans le Parc Borély. 20.000 personnes sont attendues en juin dans cet écrin de verdure rendu célèbre dans toute la francophonie, de Ouagadoudou à Chicoutimi, merci TV5, par la série Plus belle la vie, dont c’est l’un des principaux décors. 20.000 personnes prêtes à débourser entre 44 et 59 euros, parce que l’espace a beau être public et la fête populaire, quand c’est fun, le big business n’est jamais loin. Ce n’est bien sûr pas la première fois, certainement pas non plus la dernière, que les deniers publics rencontrent la production la plus bassement commerciale le temps d’un flirt sinon franchement douteux, du moins questionnable aux niveaux éthiques et moraux. Ce qui détonne ce coup-ci, c’est que la résistance que rencontre cette dringuelle attribuée par la Mairie à des gens qui n’en ont à priori nul besoin n’est pas dédaignée comme relevant d’une attitude de troll libertarien déplorant la collusion du collectivisme et de la main invisible du marché, ni du don quichottisme alternatif de base. En fait, pas mal de gazettes et de sites d’infos ont raconté, souvent sans parti-pris et plutôt avec justesse, comment et pourquoi cette décision est contestée par un collectif citoyen, une pétition de quasi trois dizaines de milliers de personnes et même une poignée d’élus locaux de l’opposition. Une grogne qui fait tache d’huile. Ainsi, à Carcassonne, la prétendante au siège de premier magistrat a dénoncé sur son blog la venue du même David Guetta le 21 juin dans sa ville à l’occasion de la Fête de la Musique. En cause, les 250.000 euros puisés dans le budget public pour financer la prestation du platiniste blondinet le soir d’une manifestation difficilement rentable puisque gratuite. 250.000 euros pour un mec seul, quelques CD et une poignée de clés USB mais ça, c’est un autre débat.

Pourquoi subventionner des artistes et un producteur de spectacles alors qu’ils sont tous éminemment « bankables »? Pourquoi ne pas utiliser l’enveloppe au profit des associations, salles de spectacles et artistes participant quotidiennement à la création culturelle de Marseille? Pourquoi préférer refiler l’oseille à un pousse-disque parisien et à un saltimbanque américano-libanais? Comment ne pas trouver profondément injuste qu’un tel pactole soit attribué à des gens qui n’en ont nul besoin alors qu’il se calcule que 150.000 euros suffiraient à aider 51 associations et 100.000 personnes impliquées dans la culture à Marseille? Pourquoi concéder le Parc Borély à un évènement qui relève de la bamboula populo à haute vocation polluante (les gobelets, les dégradations, tout ça…) alors qu’il a jadis été refusé à d’autres manifestations de moindre envergure relevant pourtant également du domaine des musiques électroniques (parce que la drogue, la promiscuité sexuelle, tout ça?)?

Comment ne pas ricaner quand Yves Moraine, président du groupe UMP au Conseil municipal, sort sur France 3 que « La Ville voulait offrir un cadeau aux jeunes et ceux qui s’y opposent ont une attitude d’une ringardise absolue », laissant donc sous-entendre que Guetta et Mika peuvent présenter une certaine modernité, hahaha, Guetta et Mika présenter une certaine modernité…

Tout ce débat renvoie in fine aux questions fondamentales que ces manifestations culturelles à budget public suscitent. Que faire, que proposer, quand on est Capitale Européenne de la Culture? Quelle politique culturelle mener? Quels critères déterminent, au fond, en ces temps de pop aux contours flous et fluctuants, ce qui relève de la culture et ce qui tient plutôt de l’entertainment? Pourquoi coincer sur David Guetta et admettre, au hasard, Laurent Garnier?

En outre, ces questions ne sont pas réservées aux élus UMP et aux cagoles de la Canebière. Marseille 2013, Mons 2015. Dans moins de 2 ans, nous Belges francophones, auront également à y répondre. Quelle politique culturelle mener? Que faire, que proposer? Ca cogite déjà ferme en terre hennuyère et on peut déjà éventuellement se faire une idée préliminaire des events à venir en visitant le site web de Mons 2015. Entre autres choses, on peut ainsi y lire que Mons 2015 n’est pas « peu fier » d’être associé à l’émission culinaire Top Chef, visible sur M6 et RTL-TVI, vu que le seul candidat belge de la saison en cours est Jean-Philippe Watteyne, un bon petit gars du Hainaut qui, en région montoise, mi-cuit le pavé d’espadon à la vanille de Madagascar comme personne. On y dégotte aussi que via de récents concerts de Saule et Suarez, l’organisation de Mons 2015 est de fait déjà associée à la firme de disque PIAS, d’où vite dans nos têtes l’idée d’une PIAS Nite à Mons en 2015, avec Vitalic et Soulwax, par exemple, chouchous absolus du label. Un Dijonais et des Gantois. Au fait, culture ou entertainment, Vitalic et Soulwax? Et pour les subsides, on fait comment?

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