Bobby Gillespie raconte son album en duo avec Jehnny Beth

Bobby Gillespie, la classe ouvrière. © SAM CHRISTMAS
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Quand le leader de Primal Scream rencontre la chanteuse de Savages, ça donne Utopian Ashes. Un album en tandem qui dépeint l’amour en berne. Entretien.

De l’autre côté de l’écran, il est pris d’une quinte de toux dont il a du mal à se remettre. S’excuse à plusieurs reprises, pratiquement la larme à l’oeil. Bobby Gillespie, 60 ans l’été prochain, est toujours aussi adorable et vif d’esprit. Le cheveu long et les idées tout sauf courtes, le leader de Primal Scream raconte Utopian Ashes, son album avec Jehnny Beth, la chanteuse de Savages. Il y a six ans, ils se rencontraient en reprenant du Suicide accompagnés par Martin Rev et le fils d’Alan Vega au Barbican de Londres. Aujourd’hui, ils chantent la tristesse et les regrets de l’amour qui s’efface.

Comment est née cette collaboration?

En 2016, Primal Scream ouvrait avec Savages pour Massive Attack devant 30.000 personnes à Bristol. C’était une espèce de festival. Jehnny est venue chanter Some Velvet Morning avec nous. Il y a tout de suite eu une alchimie sur scène. Notre guitariste Andrew Innes a alors suggéré qu’on essaie de faire une chanson ensemble. Six mois plus tard, on s’est retrouvés à Paris. On a passé cinq jours à créer de la musique en studio avec elle et son partenaire Johnny Hostile. On s’est ensuite organisé une autre session de cinq jours toujours à Paname six semaines plus tard. Deux ou trois vraiment bonnes idées ont émergé. Je suis rentré à la maison et j’ai commencé à écrire des paroles et à trouver des accords à la guitare acoustique. Ce qu’on avait fait ensemble sonnait nettement plus électronique. Par exemple, la chanson qui est devenue Remember We Were Lovers ressemblait à un morceau de Kraftwerk à la Trans-Europe Express. Une drum machine froide et européenne. Mais quand je me suis penché sur les premiers textes, j’étais seul avec ma gratte et j’ai pensé aux ballades soul des sixties et seventies. Comme Jealous Guy de John Lennon. Du piano, des cordes, un côté Phil Spector. Un truc très classique. À l’été 2017, on a mis en commun et travaillé les idées qu’on avait eues chacun de notre côté. J’ai suggéré à Jehnny qu’on enregistre l’album de manière traditionnelle. Comme on le faisait dans les années 50, 60 et 70, un disque en duo. Elle aurait pu chanter certaines chansons, moi d’autres. Mais c’était plus cool de chanter ensemble. On n’avait jamais enregistré ce genre de disque auparavant.

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Si tu regardes en arrière dans l’Histoire de la musique, quelles sont les voix d’homme et de femme qui pour toi vont le mieux ensemble?

J’aime beaucoup le Grievous Angel de Gram Parsons et Emmylou Harris. George Jones et Tammy Wynette. Je pense aussi à Waylon Jennings et Jessi Colter. Ils étaient mari et femme et chantaient Suspicious Minds. C’était très sexy. J’aimais les directions qu’ils donnaient à la chanson. Je trouvais leur version presque aussi bonne que celle d’Elvis.

Tu as souvent, toi, enregistré des duos?

J’avais déjà chanté Some Velvet Morning (écrit par Lee Hazlewood) avec Kate Moss. Mais c’était sur une piste électronique. On avait aussi enregistré un morceau avec Sky Ferreira Where the Light Gets In. Il y avait un peu de guitare mais là encore, ça restait principalement électro. Sinon, il y avait eu Over and Over (une reprise de Fleetwood Mac) avec Linda Thompson. Au final, c’est la première fois qu’une artiste contribue aux paroles et aux mélodies. J’ai voulu capturer le feeling des musiciens, qu’ils s’imprègnent du thème des chansons. La plupart des disques de Primal Scream changent de style de morceau en morceau. Prends Screamadelica ou Vanishing Point, tu aurais presque l’impression qu’un groupe différent interprète chaque titre. Sur ce nouveau disque, je voulais que l’auditeur comprenne qu’il écoute les mêmes musiciens sur toutes les chansons. Je ne voulais pas d’électronique, de drum machine, de séquenceur. Je voulais sentir l’humain. Quand tu te diriges vers l’électronique, tu perds ce feeling de groupe, tu atteins très difficilement le même niveau de sensation qu’avec des gens qui grattent leurs cordes ou tapent sur leur instrument. Il y a quelques années, on a sorti The Original Memphis Recordings, essentiellement composé de ballades. C’est notre musique. C’est là-dedans qu’on excelle. Et ça a marqué Utopian Ashes, un album dans lequel tu te sens à l’aise. Les paroles forment une entité et je voulais qu’il en aille ainsi de la musique.

À l'affiche de Kaamelott et du nouvel Audiard, Jehnny Beth a trouvé avec Bobby Gillespie une jolie complicité.
À l’affiche de Kaamelott et du nouvel Audiard, Jehnny Beth a trouvé avec Bobby Gillespie une jolie complicité.© SARAH PIANTADOSI

Tu te souviens de la première fois où tu as vu Savages sur scène?

J’avais acheté leur album quand il est sorti et j’étais allé les voir en concert. J’avais vraiment beaucoup aimé leur prestation. J’avais été frappé par le côté minimaliste de leur son et de leur image. J’avais lu des interviews dans lesquelles elles étaient très sérieuses. J’ai été étonné par la gentillesse de Jehnny quand on s’est rencontrés. Je pensais qu’elle serait très froide et dure. Andrew et moi avons été surpris quand on l’a entendue entonner pleine d’émotion le refrain de Your Heart Will Always Be Broken.

Comment le thème du disque est-il arrivé sur la table?

C’est le récit de deux personnes qui vivent ensemble mais séparément. Elles souffrent émotionnellement. J’ai commencé à écrire les paroles au printemps ou à l’été 2017. Et c’est ce qui m’arrivait. Quand j’ai envoyé ça à Jehnny, elle a été surprise. Elle ne savait pas d’où ça venait, ne savait pas ce qui se passait dans ma vie et ne voulait pas demander. Mais elle a aimé ce que j’avais écrit et elle avait quelques textes elle aussi.

Tu voulais qu’on sente la douleur dans la musique. Tu as l’impression que de manière générale, elle en a un peu disparu?

J’ai un peu perdu le truc dans le rock quand il est devenu nombriliste et s’est mis à jouer avec le non-sens. Je ne veux critiquer personne. Mais à un moment donné, je n’ai plus compris ce qu’on me chantait et plus entendu ce que je cherchais. Je voulais des thèmes adultes. Des sujets qui me parlent. Je trouve que du réel, du sombre doit sortir. Je ne pense pas qu’il y ait encore beaucoup de monde avec des choses à dire. J’aime beaucoup Billy Nomates, les Sleaford Mods, Baxter Dury, Black Country, New Road, King Krule… Puis aussi Kurt Vile ou Cat Power qu’on n’entend plus beaucoup. Il y a des artistes contemporains que j’apprécie. Mais ce que j’ai écrit, je ne l’entends pas vraiment ailleurs. La douleur du mariage. La bataille qu’il représente. La peur de perdre sa famille. La crainte du divorce. La crise existentielle de cette magnitude… C’est ce que j’entends par douleur. Le changement de nos émotions profondes.

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C’est le genre de sujet dont vous avez parlé sur le plateau d’Echoes with Jehnny Beth, l’émission de musique et de débat qu’elle présente sur Arte.

Il y a 20 ans, faire partie de Primal Scream était synonyme d’excès. On était entourés par pas mal de dingues. C’était compliqué de trouver l’équilibre avec le mariage, l’épouse, le bébé, les enfants. Je me souviens que dans l’émission on s’est aussi demandé si la musique pouvait changer le monde. Perso, je pense qu’elle peut juste t’aider à te sentir mieux. Changer le monde de l’un ou de l’autre. Comme certains poètes, auteurs ou réalisateurs. Mais je ne suis pas sûr.

En tout cas, la musique aide les gens à se sentir moins seuls.

C’est l’idée de ce disque pour moi. Quand Primal Scream a explosé, c’était l’époque de l’acid house. C’était une révolution dans le sens où elle a permis à beaucoup de gens de réaliser que la musique pouvait ouvrir les portes de la créativité. C’est ce que le punk a fait pour moi. Je suis devenu quelqu’un de créatif à travers mon amour pour le punk et le post-punk. À un moment, je regardais tous ces jeunes qui prenaient de l’ecstasy, qui étaient amicaux les uns envers les autres. C’était un de ces moments utopiques. Après dix ou onze ans de thatchérisme, il y avait de l’espoir pour cette putain d’humanité. Parce que Thatcher, c’était le néolibéralisme, l’individualisme. Elle a tout fait pour détruire les communautés ouvrières à travers le pays. L’acid house a rassemblé les gens. Que ce soit dans les clubs, à l’arrière des pubs ou dans les champs. Tout le monde dansait sous ecstasy sur cette nouvelle musique électronique. Ça rassemblait vraiment. Beaucoup de groupes, de communautés se sont formées. C’était politique. Clairement politique. Lorsqu’on a sorti Come Together, que j’étais en boîte et qu’ils passaient le mix d’Andrew Weaterhall, c’était incroyable de voir la joie et l’empathie des gens sur leurs visages, de les regarder dans les bras les uns des autres. Parce que le thatchérisme, le néolibéralisme, c’était le chacun pour sa gueule. La destruction de la fraternité. C’était guidé par une philosophie de la loi de la jungle. L’idée que seuls les plus forts survivent. Je ne crois pas en tout ça. Je crois qu’on doit donner un coup de main à tous ceux qui en ont besoin. Je crois en une vraie société socio-démocratique socialiste. Thatcher, c’était l’inverse de tout ça. C’était la destruction de la communauté, de l’aide sociale… Ça a donc été un moment d’utopie. Mais est-ce que l’acid house a changé quoi que ce soit? Les gens de mon âge ou de cinq ans de moins que moi ont voté pour le Brexit et ce putain de Boris Johnson. La génération punk est très réactionnaire et xénophobe.

Es-tu inquiet quant au futur?

Non. Je regarde mon fils et sa génération. Ils sont adolescents, mon plus grand a 19 ans. Il est très conscientisé politiquement parlant. Il étudie à l’université. Il s’intéresse vraiment à la politique. Ses amis sont très ouverts d’esprit. Quand tu vois le soutien à Jeremy Corbyn ou à Bernie Sanders en Amérique, c’est réconfortant. La jeunesse n’est pas le problème. Le problème, c’est les gens qui vieillissent. Ils deviennent de plus en plus de droite, de plus en plus conservateurs malheureusement. Les jeunes sont souvent de gauche, défendent un certain progrès social. Ils incarnent l’espoir.

En espérant qu’ils ne deviennent pas comme les jeunes des générations précédentes…

Beaucoup de punks n’en étaient pas vraiment. Ils s’habillaient comme des punks mais c’était de la comédie, du théâtre, de l’apparat. Un costume plus qu’une philosophie. Pour un tas de gens, le punk n’a été qu’une mode. Ils ont été punks. Puis ils sont devenus mods et ensuite des nouveaux romantiques. Avant je ne sais quoi encore. Pour moi, c’était un état d’esprit, un style de vie, une manière de voir le monde. C’était anti-autoritaire. Contre le racisme, contre le sexisme. Le punk était socialement à mes yeux loin du rock’n’roll. C’était un projet culturel.

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Screamadelica fête ses 30 ans cette année. Quel regard jettes-tu sur ce disque avec le recul?

Je suis très fier. Et c’est, je pense, le cas de tout le monde dans le groupe. Il signifie beaucoup de choses pour beaucoup de gens. C’est le disque de Primal Scream le plus populaire. En termes de son? Je ne sais pas. Je ne l’ai plus écouté entre sa sortie en 1991 et 2009-2010 quand on a préparé son 20e anniversaire. J’étais surpris que ça fonctionne encore. Je devrai le réécouter la semaine prochaine (cette interview a eu lieu le 17 juin, NDLR) parce que le disque va être réédité en vinyle. Et j’ai reçu le pressage test. On donnera peut-être quelques concerts. On devait a priori cette année mais avec la pandémie…

On parlait de solitude. Est-il facile de ne pas se sentir seul quand on est une rock star et le leader d’un groupe de rock?

C’est vrai qu’être à la tête d’un groupe peut être synonyme d’isolement. Tu es dans une position d’autorité. Tu dois parfois prendre des décisions difficiles, opérer des choix qui ne plaisent pas aux autres. Tu dois pouvoir faire la part des choses entre ce qui est le meilleur pour le groupe, pour les chansons, pour chacun. Je pense que ça dépend aussi du tempérament. Je n’ai jamais vraiment été quelqu’un qui voulait se retrouver dans un gang ou passer sa vie au pub avec un tas de potes autour de lui. J’ai toujours été le mec qui aimait observer. Et c’est pour ça que je suis un auteur. Parce que j’ai des talents d’observation. Je n’ai jamais vraiment été un animal de fête. Ça m’a rendu plus solitaire, j’imagine. Il existe une solitude inhérente au fait d’être un auteur ou un artiste. Puis, parfois, tu ne veux pas être sociable. Tu veux te désengager. Tu es entouré et tu veux juste quitter la pièce. Il m’est arrivé de me sentir libéré dès que je sortais et m’engageais dans une rue froide et déserte. La solitude est une partie du boulot.

Bobby Gillespie & Jehnny Beth – « Utopian Ashes »

Rock. Distribué par Sony Music. ***(*)

Bobby Gillespie raconte son album en duo avec Jehnny Beth

« L’amour laisse comme une traînée de soufre derrière lui, disait, lyrique, Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous. Un peu comme quand tu vas pisser et que tu sens tes doigts. » Remember We Were Lovers, Your Heart Will Always Be Broken, Stones of Silence, Living a Lie… Les titres des chansons parlent d’eux-mêmes. Sur Utopian Ashes, enregistré avec la famille (Johnny Hostile et les membres de Primal Scream), Bobby Gillespie et Jehnny Beth chantent le couple qui se délite et la flamme qui s’éteint. Un album classique et plutôt classieux (la palme à English Town) pour pleurer l’amour qui s’envole.

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