Critique | Musique

Blick Bassy, résistances africaines

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

AFROSOUL | En évoquant les héros de l’indépendance de son pays, le Cameroun, Bassy réussit un album poético-politique d’une exceptionnelle qualité musicale.

À l’été 2015, Kiki, extrait du troisième album de Blick Bassy, rythme le spot de la campagne mondiale du nouvel iPhone. Rincé d’enthousiasme instrumental, ce morceau est drainé d’une voix si suave qu’elle donnerait presque l’impression qu’Apple est une ONG humanitaire, une guérisseuse d’âme. Pouvoir inhérent de la musique conjugué à l’industrie planétaire la plus mercantile, et aux paradoxes du destin de Bassy, Africain lancé à l’international par un label du pays ex-colonisateur, l’excellent Tôt ou Tard. Histoire de dire que le même citoyen camerounais -né en 1974- nage comme la plupart d’entre nous, dans d’apparentes contradictions matérielles voire dans les diffluences éthiques. Paru il y a trois ans sous le titre Le Moabi Cinéma (Gallimard), le premier roman de BB posait d’ailleurs une question potentiellement centrale: comment se réapproprier sa propre histoire africaine, comment éviter ce « mimétisme culturel que l’Occident impose aux Africains »?

Comme induit par le titre du disque et la belle photo en pochette -le profil de Bassy surmonté d’une statuette- l’artiste camerounais s’est mis en tête de revenir à 1958. En septembre de cette année-là, le militant indépendantiste Ruben Um Nyobè est exécuté sans procès par les militaires français dans une forêt camerounaise. Une façon brutale de rappeler le meurtre de Lumumba et d’autres opposants aux empires coloniaux: le thème est à fleur de disque, sans forcément que ce soit dans une forme militante. La langue de Bassy -le bassa- reste impénétrable aux oreilles mais pas aux sens, moins rugueuse que le wolof et plus angélique que le lingala. Un peu comme si la Confédération des anges noirs déléguée sur Terre avait choisi Bassy pour être le chanteur-ambassadeur africain de la post-colonisation. Sa voix est brillante, sûrement capable de dévier les fleuves et d’accaparer dans le même titre une transcendance salvatrice et des raclements de temps ancestraux. Avec les superlatifs plus généralement accordés à Milton Nascimento, Nusrat Fateh Ali Khan ou Jeff Buckley, cousins en ingénierie vocale (Mpodol, Lipém, Ngui Yi, Maqui). Si cette virtuosité prend tellement de sens, c’est aussi parce qu’elle rencontre les arrangements et la production de Renaud Letang, le violoncelle de Clément Petit, les claviers et la trompette d’Alexis Anerilles et le trombone de Johan Blanc. Donnant aux cuivres, en particulier, un rôle fort dans la façon dont la mélancolie interroge l’actualité, loin des linéarités attendues, comme dans le titre d’ouverture, Ngwa. Somptueux et imaginatif, à l’unisson d’un disque auquel on ne collera pas d’autre superlatif supplémentaire, tout en pensant qu’il le mériterait. Bassy sera le 3 août au Festival Esperanzah!

Blick Bassy, 1958, distribué par PIAS. ****(*)

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