Laurent Raphaël

Beyoncé, icône féministe, vraiment?

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Pourquoi l’aînée des Knowles s’obstine-t-elle à se faire passer pour une icône féministe, notamment en signant une tribune pour l’égalité des genres?

L’édito de Laurent Raphaël

Féministe, Queen Bee? Quand on la voit se dandiner au clair de lune en bikini à faire rougir la Cicciolina (le clip Drunk in love (ci-dessous), tiré de son dernier album sorti sur iTunes en décembre), ou parader toutes courbes dehors dans un body moulant blanc au milieu d’une banlieue mal famée (la vidéo de l’orgasmique No Angel), instinctivement, même sans avoir le cerveau dans le slip, on se dit non, Beyoncé n’a pas le profil de l’emploi. Comme suffragette, la miss n’est pas très crédible. Vamp, sexy, rusée, bosseuse, business woman, ok, mais porte-drapeau des femmes opprimées, violées, harcelées, battues, bof. Mrs Carter fait plus penser à une Barbie avec du plomb dans la cervelle qu’à une Chienne de garde tombée dans la marmite pop.

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Pourquoi alors l’aînée des Knowles s’obstine-t-elle à se faire passer pour une icône féministe, notamment en signant une tribune pour l’égalité des genres dans le rapport Shriver, sorte de cadastre des discriminations hommes-femmes? Provoc gratuite? Coup de pub? Même les féministes pur jus qui pourraient se réjouir de compter dans leurs rangs une star planétaire se méfient de ce soutien un peu trop clinquant, ou plutôt un peu trop déshabillé. Une chroniqueuse du Guardian lui décochait ainsi un cinglant: « Te faire photographier en sous-vêtements n’aide pas le féminisme. » Hadley Freeman ne prend pas de gants mais énonce tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas: n’y a-t-il pas une contradiction à exiger d’être jugé sur ses compétences et son intelligence, à refuser tout sexisme, quand on met systématiquement sa plastique avantageuse en avant, peaufinant du même coup son image de sex-symbol. Cet étalage de sensualité destiné à faire monter le désir -sinon à quoi d’autre?- brouille tout message plus rationnel et moins pulsionnel émis en sous-main. Un peu comme si on confiait le service incendies à un pyromane récidiviste.

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On refermerait le dossier sur un « bitch » bien senti s’il n’y avait quelques indices que cette vision sent la naphtaline. La seule rescapée des Destiny’s Child n’en est pas à son coup d’essai. Comme d’autres girls de la même génération, les Katy Perry ou Lily Allen, elle affirme régulièrement sa position sur le statut, sans hésiter à pousser son avantage au-delà de la limite de l’égalité stricto sensu. On peut la traiter d’opportuniste, on peut aussi voir ces chorégraphies lascives comme un cheval de Troie aphrodisiaque dans le bastion mâle…

Le malentendu vient sans doute d’une incompatibilité entre deux visions du féminisme: l’une, que l’on pourrait qualifiée d’orthodoxe, se situe dans la droite ligne du mouvement de libération des femmes, lui-même héritier des suffragettes anglaises du début du XXe dont les manifestations terminaient régulièrement en affrontements avec la police. Politique, bégueule parfois, cette ligne dure prône une attitude irréprochable pour ne pas compromettre toute la lutte, quitte à nier au passage les lois de la génétique. Et l’autre, plus décomplexée, plus pop, plus marketée aussi, apparue dans les années 2000, qui n’entend pas faire une croix sur sa part de féminité en talons aiguilles. Madonna a semé la graine, Beyoncé, Lena Dunham (la série télé Girls) ou les Femen pour le versant plus activiste arrosent la plante carnivore. Et tant pis pour les contradictions qui parfois diluent leurs discours et brouillent la visibilité de leur message. Après tout, le monde contemporain n’est qu’une contradiction ambulante.

« Le féminisme est-il mort? », s’interrogeait en 1998 le magazine américain Time. Non, il a juste mué. Moins sur la défensive, moins braqué, il revendique et proteste avec les armes de son temps: réseaux sociaux, glamour, sens des affaires, voire cynisme. La fin (de la domination masculine) justifie les moyens!

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