Serge Coosemans

Another Sound of Belgium: le côté obscur des années new-beat en 5 points

Serge Coosemans Chroniqueur

Alors que le documentaire The Sound of Belgium chante la gloire des années new-beat, notre chroniqueur retrouve son ton ronchon pour rappeler que tout n’était pas si rose au pays des shorts cyclistes noirs. Sortie de route, S02E11.

La meilleure new-beat n’en était pas
Fin 87, c’est bien simple, était new-beat tout ce qui n’était pas CloClo ou Wham. Il y avait des discothèques où la musique était « grave » et d’autres où plutôt que de payer un DJ, on aurait très bien pu laisser la radio. À Anvers, au Mirano, à La Gaité, le beat se voulait éclectique mais bizarre et sur une nuit, dans les oreilles, se mêlaient les Cramps, Fad Gadget, Serge Gainsbourg, Yello, A Split Second, Front 242, Depeche Mode, des percussions africaines, de la musique industrielle, de la house music, de la pop, etc. On appelait ça new-beat faute de mieux mais loin d’être un genre musical, c’était surtout un esprit, qui prônait le mélange de disques à priori incompatibles mais à l’étrangeté commune. C’était en fait exactement le même principe que la vague balléarique en Espagne: brasser des genres et des styles pour créer une ambiance particulière, ici forcément moins chill & sunny qu’à Ibiza, parce que c’est l’Europe du Nord, sa pluie et son gris. Après, très vite, new-beat est devenu un terme générique pour des disques voulus new-beat et pensés new-beat pour un public new-beat. C’était amusant, excitant même, mais aussi artistiquement souvent médiocre. Ca a ouvert la voie à un clubbing moins aventureux et plus systématique, à la dictature du beat monochrome, à autant de niches (techno, house, drum…) pour des publics divisés et différents. J’étais de ces gens que la new-beat a fait bien rire mais qui estime que les grands moments de ces années-là, ce sont surtout le concert de Depeche Mode à Forest National avec Nitzer Ebb en première partie, celui de The Neon Judgement à La Gaité avec les strip-teaseuses ou encore Front 242 un dimanche après-midi à l’AB. En fait, je considère que la meilleure new-beat n’en était pas et je ne pense pas être le seul de cet avis.

La new-beat est à la musique électronique ce que le yéyé était au rock and roll
Les premiers disques de house américaine, notamment ceux de Kevin Saunderson et Frankie Knuckles, n’étaient pas tout à fait introuvables en Belgique mais presque. Il a depuis plus ou moins été implicitement reconnu qu’il y a eu une concordance d’intérêts entre producteurs, labels, distributeurs et détaillants spécialisés pour que ces sorties depuis cultes et historiques passent chez nous au second plan pour leur privilégier nos versions locales des mêmes morceaux, Rock to the Beat et Baby Wants to Ride étant les plus connues de ces reprises. Il y a un précédent notoire dans l’histoire de la musique où un marché local a pratiqué ce genre d’enroule à l’éthique tout de même plus que douteuse et c’est le yéyé en France, où les perles de la Tamla Motown ou d’Eric Burdon & The Animals restaient obscures tandis que leurs versions chantées en français par Cloclo et Richard Anthony cartonnaient. Bref, la new-beat fut à la musique électronique ce que le yéyé était au rock and roll. Ce qui n’est pas très glop, quand on y pense.

La new-beat est une danse ridicule
Pieds qui ne décollent pas du sol, mouvements à la C-3PO, positions christiques ou mussoliniennes des bras, regards dans le vide, de préférence tristes, la new-beat est sans doute la danse la plus ridicule au monde, consistant essentiellement à feindre l’ennui et à tirer la gueule. Même MC Hammer ressemble à Maurice Béjart à côté de ça!

La new-beat et son vandalisme concon
Arracher des insignes Volkswagen d’une voiture pour ensuite les porter autour du cou est déjà la preuve d’un crétinisme avancé mais relevait tout de même d’un certain panache, surtout si la Volkswagen visée était une Golf GTI de la gendarmerie nationale. Aller dans les cimetières voler les vieilles photos de pierres tombales pour se les épingler sur le spencer Jean-Paul Gaultier, par contre, comment appelle-t-on ça déjà? Ah oui, de la profanation de sépultures.

L’abominable systématisme des DJ new-beat
Il n’y a pas que la musique de clubs qui s’est transformée ces années-là. Le statut et le métier de DJ ont aussi évolué. De type moins important que le barman qui pouvait se permettre de partir manger des frites durant les bambas et les disques interminables de Donna Summer, le DJ est devenu le centre d’attention, quelqu’un dont on attendait plus que de mettre un disque derrière l’autre. Beaucoup n’étaient pas prêts à cela parce beaucoup se seraient bien contenté à vie de leurs enchaînements pépères et de leurs séquences inchangées depuis 10 ans (trois rock, trois disco, trois machins bizarres). Même les meilleurs ont gardé cette idée de séquences dans leurs prestations et est vite venu le moment où, si on sortait chaque semaine, on entendait chaque semaine exactement la même chose, dans le même ordre. Mêmes mixs, mêmes enchaînements, même séquences. Avec les mêmes gens, habillés de la même façon. Et ça, partout, puisque ces DJ’s se copiaient tous les uns les autres. Mon meilleur souvenir du Boccaccio: bouffer trois hamburgers d’affilée sur le parking en rigolant des Flamandes habillées comme Pris, l’unité de plaisir dans Blade Runner. Pire souvenir du Boccaccio: avoir des flashs de la scène de l’asile d’aliénés dans Midnight Express et me dire que c’était exactement pareil, horriblement pareil. Un grand moment de solitude au milieu de 3000 personnes, le pur vertige existentiel. Ce qui ne donne pas vraiment envie de crier aciiiiid!

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