À Washington, le punk hardcore rugit toujours à deux pas de la Maison Blanche

L'affiche du Damaged City Fest 2016. © Danni Parelman
FocusVif.be Rédaction en ligne

Costumes impeccables, tailleurs et talons: les employés de Washington sortant du bureau ce jour-là croisent une autre foule bien différente, aux jeans usés, cheveux teints et vestes en cuir, qui s’engouffre dans une porte d’où s’échappe un rugissement de guitare.

Sur la scène de cette église progressiste, non loin de la Maison Blanche, le chanteur hurle ses paroles sur un son saturé, inaugurant la soirée du festival Damaged City Fest (D.C. Fest) qui célèbre l’autre capitale, celle du punk hardcore.

« Hardcore » pour désigner l’essence du genre, pas les modes vestimentaires spectaculaires: gratter jusqu’à l’os une musique brute aux paroles engagées, tel était le mot d’ordre des pionniers il y a 35 ans, qui ont inspiré des groupes du monde entier.

« Je suis de D.C. », lance fièrement Rael Griffin, étudiant en arts de 19 ans, employant l’abréviation désignant la capitale américaine. « Nous sommes au coeur d’un secteur dominé par la politique… ça nous offre un bol d’air frais », dit-il en désignant la scène. Minor Threat et Bad Brains, pionniers du punk de D.C., comptent parmi ses groupes préférés, explique-t-il. Avec d’autres, ces groupes ont secoué la ville à la fin des années 1970 et début 1980.

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Précurseurs du grunge

Washington ne figurait alors sur aucun radar des amateurs de rock, écrasée par New York. A l’époque, fascinés par le punk venant d’Angleterre et de New York, quelques adolescents lancent leurs premiers groupes. Très vite, l’alchimie fonctionne, les formations se multiplient et les musiciens, ne voulant pas attendre que des maisons de disque les remarquent, organisent eux-mêmes leurs concerts et autoproduisent leurs disques. Pas simple dans l’ère pré-Internet.

Cette volonté de garder la main sur ses créations à travers une philosophie du faire soi-même (« Do It Yourself ») a ouvert la voie au grunge et à son retentissement planétaire. L’ancien batteur de Nirvana, Dave Grohl, a d’ailleurs débuté avec Scream, groupe hardcore de Washington. Signe de l’influence de cette scène, il affirme dans un documentaire récent (Salad Days) que les fondateurs du célébrissime groupe grunge, Kurt Cobain et Krist Novoselic, l’ont accepté dans Nirvana « parce qu’ils aimaient Scream ».

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C’est dans une ville meurtrie par la drogue et les homicides, alors surnommée « capitale du crime », qu’a germé le phénomène. « La ville avait été dévastée par les émeutes » de 1968 lorsque, après la mort de Martin Luther King, des manifestations dans le centre-ville avaient dégénéré, rappelle Benjamin J. Harbert, professeur de musicologie à l’université de Georgetown. Dix ans plus tard, « pour les musiciens, ça voulait dire que le centre-ville était un endroit où ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient », dans une zone quasi-désertée le soir.

Invisibles

« Le secteur établi de la musique ne nous a pas vus », le gouvernement et la police de Washington non plus, affairés à autre chose, et « nos amis nous trouvaient ridicules », se souvient Ian MacKaye, ancien chanteur de Minor Threat puis d’un autre groupe emblématique de la ville, Fugazi.

« On était invisibles, ça nous a permis de nous développer », dit-il à Arlington, sur l’autre rive du Potomac, dans la maison qui abrite depuis ses débuts le label qu’il a cofondé en 1980, Dischord Records. Farouchement indépendant, ce label a depuis vendu quatre millions de disques.

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De la jeunesse de ses fondateurs découlent deux caractéristiques emblématiques du monde punk de Washington: la volonté d’ouvrir tous les concerts aux mineurs, et, de là, la naissance du mouvement Straight Edge qui rejette les drogues, l’alcool et le tabac. Baptisé du nom d’une chanson de Minor Threat, ce mouvement est né d’une nécessité pour les adolescents voulant accéder aux concerts dans des salles vendant de l’alcool, interdit aux mineurs aux Etats-Unis: ils ont proposé de dessiner de grosses croix sur leurs mains pour signaler aux serveurs qu’ils ne pouvaient pas boire. Elles sont devenues l’emblème d’un mouvement à travers le monde.

Dès ses débuts, la scène punk de Washington se démarque aussi par sa diversité où Blancs et Noirs se mélangent, et par son activisme politique et social incarné par une organisation comme « Positive Force », fondée en 1985 par des punks et qui mène encore des oeuvres caritatives. L’un de ses fondateurs, Mark Andersen, aide les organisateurs de Damaged City Fest. « Il permet de faire le lien entre les jeunes punks et les institutions comme les salles de concert, les églises » souvent ouvertes aux Etats-Unis à des activités dépassant le cadre religieux, souligne Nick Candela, 29 ans, co-organisateur du festival.

Aujourd’hui, de petits groupes à Washington reprennent ce flambeau, loin du nihilisme souvent associé au genre punk. « Pour moi, la scène punk de D.C., ça veut aussi dire être respectueux des autres », confie Rael Griffin. « Il ne s’agit pas d’exploser le nez de quelqu’un, mais de s’éclater ».

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