1967, l’année de grâce (7/7): Songs of Leonard Cohen

Leonard Cohen, photographié en 1967 pour le magazine Vogue. © Jack Robinson/Condé Nast via Getty Images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

La trentaine déjà bien entamée, l’auteur et poète canadien Leonard Cohen passe en 1967 à la chanson et l’illumine de sa voix sombre et grave. Master songs…

Chaque semaine, on ressort des bacs une pépite de l’année dorée du rock: 1967.

Son premier roman (The Favorite Game) lui avait valu d’être comparé à Salinger. Le deuxième, le bien nommé Beautiful Losers, se fait dézinguer par la critique. Au milieu des années 60, Leonard Cohen, qui a toujours chanté et joué de la musique, décide de changer de vie. Le Canadien veut s’en aller pour Nashville où, sur les traces de Hank Williams, il compte enregistrer un disque de country and western. Qu’à cela ne tienne. Il s’arrête à New York dans l’East Village et se tourne vers le folk. Selon la légende, un musicien de 19 piges lui aurait enseigné la guitare à Montréal avant de se suicider. « J’ai commencé seul jusqu’au moment où j’ai rencontré ce jeune guitariste espagnol dans le parc derrière la maison de ma mère, racontait-il en 1991 aux Inrocks. Je devais avoir quinze ans (…) Il m’a donné trois cours, m’a appris le trémolo, certains enchaînements d’accords. Un jour, je l’ai appelé pour une nouvelle leçon et on m’a appris qu’il s’était donné la mort. »

Le premier des textes que Leonard met en musique est à l’origine une oeuvre de Cohen le poète. Il en est un depuis dix ans et a alors 32 printemps. Suzanne Takes You Down a déjà été publié dans une revue et, interprétée par Judy Collins, la chanson rencontre un joli succès. Assez pour que le label Columbia décide de tenter sa chance et de lui offrir la sienne.

Repéré par John Hammond (Bob Dylan, Aretha Franklin, Billie Holiday, Bruce Springsteen…), Leonard commence à enregistrer avec le découvreur de talent. Hammond embauche le bassiste de jazz Willie Ruff (Dizzy Gillespie, Count Basie, Louis Armstrong…). Puis quelques-uns des meilleurs musiciens de New York. Cohen est nerveux. Il se fait installer un miroir dans le studio éclairé aux chandelles et baigné dans l’encens. « Une certaine forme de narcissisme, dira-t-il entre autres au magazine Mojo. J’avais pris l’habitude de toujours jouer devant un miroir. Pour voir à quoi je ressemblais ou me chanter à moi-même. Ou peut-être que c’était juste l’endroit où la chaise reposait. J’avais sans doute besoin d’une présence, une présence tangible. Je trouvais en tout cas confortable de me regarder jouer. »

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Cinéma, cinéma…

Si Hammond tombe malade, Cohen se brouille un peu ensuite avec son successeur John Simon. Ce dernier entend des cuivres et des cordes là où Leonard voit ses chansons avec des arrangements réduits à leur plus simple expression. Dominé par sa guitare et sa voix douce, ténébreuse, lugubre, l’album est clairement autobiographique et parle avec une poésie inouïe des relations entre hommes et femmes. Sisters of Mercy a été composé dans sa chambre d’hôtel tandis que deux jeunes filles qu’il avait sauvées d’une tempête de neige dormaient sur son lit. Suzanne rend hommage à Suzanne Verdal, l’épouse du sculpteur québécois Armand Vaillancourt. Tandis que So Long, Marianne fait référence à Marianne Jensen, l’ex-épouse de son ami l’écrivain Axel Jensen. Sombre, mystique et impénétrable (il l’est encore aujourd’hui), l’album reste pendant un an et demi dans les charts en Grande-Bretagne et est depuis devenu un incontournable classique, mais il n’a été sacré disque d’or aux États-Unis que 22 ans après sa sortie.

S’ils sont nombreux les songwriters à avoir été marqués par Leonard Cohen, le premier album du Canadien est aussi inéluctablement lié à un film: l’anti-western McCabe & Mrs. Miller de Robert Altman… Alors que le tournage est déjà terminé, le réalisateur contacte Cohen alors en train d’enregistrer à Nashville. Le chanteur n’a jamais entendu parler de MASH mais par le plus grand des hasards, il a vu ce jour l’extravagante comédie Brewster McCloud et il a adoré. Leonard lui vend les droits de ses morceaux pour une bouchée de pain. Il s’engage même à lui verser un pourcentage des ventes de son disque en cas de nouveaux profits après la sortie du film. Robert pensait utiliser les dix morceaux de Songs of Leonard Cohen. Il finit par n’en garder que trois. The Stranger Song pour incarner le joueur de poker vagabond interprété par Warren Beatty, Winter Lady pour accompagner la tenancière de bordel Constance Miller et Sisters of Mercy pour donner vie à la maison close et à ses filles de petite vertu… « Je dois te dire, je n’aime pas beaucoup ce film », confiera dans un premier temps par téléphone Cohen à un Altman dévasté, avant de revoir le long métrage et de se raviser. « Le poids du monde, avouera ce dernier, s’est alors soulevé de mes épaules… »

1967, l'année de grâce (7/7): Songs of Leonard Cohen

Cover story

S’il y a peu de chose à écrire sur la pochette de Songs of Leonard Cohen, une photo du Canadien aux couleurs sépias, l’arrière de l’emballage (photo) est une peinture religieuse mexicaine d’Anima Sola. Cohen aurait trouvé cette image d’une âme au purgatoire dans une espèce d’herboristerie près du Chelsea Hotel. Il la décrivit au magazine Rolling Stone comme une victoire de l’esprit sur la matière. « L’esprit étant cette jolie femme se libérant de ses chaînes, du feu et de la prison.« 

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