Twitter, où participer à la guerre culturelle mondiale est désormais obligatoire

John Cleese dans Fawlty Towers, 1974-1979. © ISOPIX/BBC. Courtesy: Everett Collection.
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Depuis cette semaine, échapper à la guerre culturelle mondiale semble impossible sur Twitter. Que vous le vouliez ou non, on vous donnera un avis sur le racisme et JK Rowling. Que vous en ayez un ou non, on demandera le vôtre sur la transsexualité et John Cleese. Nowhere to run, voilà le Crash Test S05E38.

Sur Twitter, je ne suis abonné qu’à 130 comptes. Du genre Diabolik-Trash, le spécialiste du giallo, l’horreur italienne, et celui de Chris Stein, le guitariste de Blondie. Il y a aussi John Higgs, un auteur anglais qui a écrit des bouquins sur Timothy Leary, The KLF et William Blake. Diane Doniol-Valcroze, la fille du cofondateur des Cahiers du Cinéma, qui ne poste que des photos bizarres. Et Lego Lost at Sea, qui récupère des jouets perdus sur les plages des Cornouailles et cherche à identifier ces reliques rongées par le sel et le sable. Je suis aussi Stephen King, Bret Easton Ellis, des labels de musique, des magazines de graphisme et des distributeurs de films. Ainsi qu’une poignée de journalistes et quelques rigolos. Bref, je m’y suis fabriqué une bulle de culture un peu bis, un peu dandy, où les grandes tribulations que traverse le monde moderne n’ont que rarement droit de cité ou alors, de façon franchement détournée. C’est que pour savoir ce qui se passe de grave sur la planète, j’ai d’autres sources, beaucoup plus fiables. Pour m’offusquer de ce qu’il s’y passe, pareil. En fait, même pour savoir ce que peuvent bien déblatérer Georges-Louis Bouchez et Alain Maron, pourtant véritables totems du Twitter à échelle francophone belge, j’ai d’autres sources. L’agitation de Twitter, sa foire d’empoigne permanente, ses algorithmes qui exploitent les frustrations sociales, ne m’intéressent vraiment pas. Ce qui m’excite sur ce réseau, c’est de découvrir un album de Psychic TV que je ne connaissais pas. Et des photos de Monica Vitti.

Sur Twitter, je lâche bien de temps à autre une pique et j’y poste même régulièrement les mêmes conneries que sur Facebook mais je ne sais à vrai dire toujours pas comment m’incarner sur ce réseau. Qu’y faire? Qu’y apporter, puisque je ne cherche pas à provoquer des réactions et encore moins à susciter des débats? Je ne désire tout simplement pas participer à la guerre culturelle mondiale qui s’y déroule et qui n’est pas la mienne. Dans ce conflit, je ne me sens certes pas neutre. Plutôt « non aligné », comme on disait des pays rejetant à la fois l’impérialisme et le communisme. Sur Twitter, je ne veux pas d’histoires. « Keep the vampires from your door« , comme le chantait Frankie Goes To Hollywood et j’y ai donc bloqué des personnes de façon préventive, des personnes que j’estime être de véritables vampires psychiques, qui produisent des contenus que je n’ai aucune envie de croiser, même par accident. Des contenus que j’estime être des pièges: au second degré, vous y laissez un seul commentaire et voilà que trois jours plus tard vous êtes toujours en pleine bagarre. Je veux me protéger de ces embardées, de ces litanies, de ces prêches; je veux en fait me protéger de toute personne qui dépasse la jauge fatidique des 10 posts par jour. J’ai bien un avis sur la police, la politique américaine, le racisme et même la transsexualité mais je ne ressens pas le besoin de l’exprimer en 280 caractères et encore moins d’en connaître le vôtre, d’avis. Et puis, quiconque n’a jamais posté sur Twitter de couverture de classique littéraire du XIXe, de vieille chanson bourrine juste destinée à se bouger le cul et de clip d’humour crétin m’est juste totalement suspect.

Jusqu’ici, cette politique de la barricade avait plus ou moins bien fonctionné, même si j’ai toujours su que je m’étais fabriqué là une cabane virtuelle bien fragile, pleine de courants d’air et qui prenait l’eau les soirs d’orages. Il y a quelques jours, ça a d’ailleurs bien volé en éclats. « Petit porcinet, petit porcinet, laisse-moi entrer« , a hurlé le loup sur le perron. Boum, bam, bim, le monde contemporain a ensuite complètement défoncé les défenses de ma cabane de pixels, pour s’y engouffrer en cassant tout; s’installant les pieds sur la table basse avant de commencer à vider le frigo ainsi que le bar. « JK Rowling est transphobe. Il faut lui retirer le personnage de Harry Potter, qui doit désormais être perçu comme une création de Daniel Radcliffe!« , m’a hurlé le loup. « Autant en emporte le vent est raciste, encore plus que Winston Churchill et Ghandi! Il faut les faire disparaître de l’environnement culturel!« , a-t-il continué. « Et le mot « nègre » dans Fawlty Towers et les blackfaces dans Little Britain et Mary Poppins, hein, c’est pas scandaleux, peut-être? » Boum, bam, bim, toutes ces litanies se sont déversées dans ma bulle que je pensais pourtant protégée de ce genre de tornades, sans que j’y comprenne toujours grand-chose, d’ailleurs: c’est quoi une TERF, putain? Pourquoi traiter John Cleese de boomer alors qu’il est né en 1939 et fait donc plutôt partie de ce que l’on appelle la Génération grandiose? Boum, bam, bim, des gens que je suis et qui, jusqu’ici, postaient surtout des affiches de polars des années 70 et des playlists de punk rock se sont cette semaine sentis obligés de s’énerver publiquement contre la police, C-News et Donald Trump. Des gens que je suis parce qu’ils ont de bonnes blagues et un talent certain pour dégotter des films inconnus de barbares en pagnes se sont mis à partager leurs avis sur JK Rowling et John Cleese. Je ne leur en veux pas mais en agissant de la sorte, dans la guerre culturelle en cours, des territoires jusqu’ici neutres viennent d’être annexés, des havres de paix et des oasis de culture se sont choisi un camp, donc un clivage. Autrement dit, nowhere to run. Ce qui n’est pas qu’extrêmement triste mais aussi annonciateur d’un avenir probablement sinistre. À part ça, les bars sont à nouveau ouverts, donc…

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