Passer un mois sous réalité augmentée: quand le virtuel prend le pas sur le réel

Mark Farid portant ses lunettes de réalité augmentée. © F R E E A N D G O R S E
Tanguy Labrador Ruiz

Il s’appelle Mark Farid et il va porter, durant 28 jours, des lunettes à réalité augmentée. Alors que l’Oculus Rift s’apprête à changer la vie des gamers, présentation de cette expérience aux allures de performance avec des enjeux inquiétants, mais nécessaires.

Qui n’a jamais été victime de l’emprisonnement de son esprit dans son corps? Qui ne s’est jamais demandé ce que ça pourrait bien faire d’être quelqu’un d’autre? Le fait de ne pouvoir être que soi dans sa vie et de ne pouvoir être celui qu’on voudrait être ou que l’on est pas que par projection, rêve ou imagination font partie inhérente de l’existence. Pourtant, une fois de plus, la technologie semble vouloir repousser les limites posées par notre condition d’être humain.

En effet, la réalité augmentée, comme son nom l’indique, propose de modifier notre perception de la réalité. Ce concept, qui n’est pas nouveau, commence sérieusement à voir le jour grâce aux avancées technologiques toujours plus efficientes et rapides qui s’effectuent à l’heure actuelle. Mais ce n’est pas tellement pour la science que Mark va réaliser cette véritable performance, mais bien pour répondre à une question purement philosophique et existentielle: L’humain est-il guidé par l’inné ou par l’acquis? Et dans ce cas précis, la technologie est-elle capable de nous faire oublier qui nous sommes vraiment et de transformer notre identité en prenant le pas sur notre conscience?

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Alors qu’une récente enquête semble démontrer que l’infidélité est héréditaire, cette immersion totale dans la réalité augmentée, nommée Seeing-I, pourra démontrer bien des choses dans des domaines différents. Concrètement, voici comment cela va se passer: Mark portera en permanence ses lunettes de réalité augmentée, via lesquelles il suivra le quotidien d’un alter ego, « l’Autre ». Il ne pourra dormir, manger, se laver et boire que lorsque son avatar le fera, et il devra consommer la même chose. Sa seule liberté sera celle de se balader librement dans la pièce et de préserver son intégrité physique (avec ce que cela sous-entend).

L’Autre en question n’a pas encore été désigné, et il pourrait s’agir de vous si le coeur vous en dit. En effet, n’importe qui peut soumettre sa candidature pour jouer ce rôle majeur, à condition de remplir une liste de critères expliqués ici. Notamment, être hétérosexuel et en couple et n’avoir jamais rencontré Mark auparavant. Cette personne sera choisie par les principaux intervenants de ce projet.

Expérience virtuelle, conséquences et conclusions réelles

Chaque jour, pendant une heure, un psychologue, spécialisé en neurosciences rendra visite à Mark, mais ne lui parlera pas et ne communiquera pas avec lui. Son rôle sera uniquement de l’observer et de tirer des conclusions sur base de qu’il voit. Ce psychologue ne connaîtra pas Mark, qui a été suivi en profondeur par un autre psychologue avant l’expérience, et qui le rencontrera à nouveau après-celle-ci, pour pouvoir observer les changements qui auront eu lieu, et en cas de besoin, tenter de faire revenir Mark à sa vraie vie si il n’y parvient pas.

Les résultats de ces tests permettront peut-être de tirer des conclusions très utiles quant aux risques potentiels et encore non-avérés qui risquent d’être liés à l’utilisation prolongée de la réalité augmentée. Lorsque on sait que l’Oculus Rift, un casque de réalité augmentée pour jeux vidéo, sera commercialisé d’ici la fin de l’année prochaine, il est normal de se poser des questions. Certains s’inquiètent également des conséquences que peut avoir l’utilisation sur le long termede ce genre d’appareil sur la vue. Chloe Cross, journaliste chez Vice, a demandé l’avis de plusieurs opticiens qui lui ont répondu qu’il n’y avait à priori aucun risque. Mais surtout, quelles seront les conséquences de la mise à disposition d’une telle technologie à des personnes peu ou pas responsables et dénuées de la notion du temps lorsqu’elles jouent? Le souvenir douloureux de parents accros à Second Life et World of Warcraft oubliant de s’occuper de leur nourrisson est encore présent dans bien des esprits. Ou encore, bien que le contraire ait été prouvé, l’ultra-violence de certains jeux vidéo, accusée comme source de dégénérescence par d’autres sera plus réaliste que jamais. Il est encore impossible de dire si l’Oculus Rift donnera naissance à un exutoire encore plus efficace pour les pulsions de certains joueurs, ou si l’effet inverse se déclarera.

La santé avant tout

Mark a d’ores et déjà porté les lunettes durant 24h pour effectuer un test: « Pendant une partie (des images enregistrées pendant l’essai), l’Autre jouait à Grand Theft Auto. Alors que je le regardais jouer, j’ai reproduit ses coups de feu avec mes mains, mais je l’ai seulement réalisé une fois que j’ai regardé les images par la suite », explique-t-il à Vice. De plus, il est conscient des risques que ce projet pourrait comporter: « Si ma vue ou mon cerveau commencent à se détériorer de manière irrémédiable, ce projet s’arrêtera plus tôt », a-t-il assuré. « Si je sens que j’ai besoin de retirer le casque, j’en discuterai avec mon psychologue impartial, mon psychologue personnel et Nimrod – c’est-à-dire tous ceux qui s’inquiètent de mon intérêt personnel et de ma santé. Un vote à la majorité aura ensuite lieu entre eux trois. »

Encore faudra-t-il que Mark reste conscient de ces éventuelles détériorations, qui auront lieu dans la réalité, et qu’il pourrait ne pas ressentir si son avatar se porte bien. Mais à l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’affirmer quoi que ce soit sur les conséquences de cette expérience, juste de les imaginer. C’est bien là tout l’intérêt de cette démarche entreprise avec Seeing-I: elle permettra en effet d’apporter certaines réponses, qui en interpelleront sans aucun doute plus d’un, scientifiques, philosophes, psychologues et sociologues entre autres.

Et en attendant l’automne 2015, période de déroulement du projet, et la sortie du documentaire qui sera réalisé par John Ingle sur le sujet, la série Black Mirror, dont la saison 3 devrait arriver Noël, devrait fournir de quoi spéculer sur les pérégrinations virtuelles de Mark.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content