11-11: Memories Retold, la Der des Ders se joue autrement

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Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Les jeux vidéo ont la sale habitude d’envisager la guerre comme un spectacle divertissant. 11-11: Memories Retold se hisse parmi une poignée de productions commerciales à contre-courant de cette tendance. Un projet à l’ADN singulier, cocréé par les studios Aardman.

Les dix millions de victimes de la Première Guerre mondiale et sa barbarie à grande échelle ont profondément noirci le regard de la littérature sur la guerre. De L’Adieu aux armes d’Ernest Hemingway (1929) au Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1932), l’exaltation héroïque cédait alors la place à une critique de la violence. Les jeux vidéo suivent la même voie, depuis quelques années. Exit la trivialité et le grand spectacle des Call of Duty, le gaming s’attarde sur un tableau plus sombre, humain et nuancé. En suivant le destin de soldats des deux côtés de la tranchée pendant la Der des Ders, 11-11: Memories Retold complète une liste de jeux qui ont rangé l’étoffe des héros au placard.

« La Première Guerre mondiale est souvent décrite comme un conflit où les armes modernes ne cessaient de cracher des balles. Mais la réalité était tout autre. La plupart du temps, les soldats attendaient » , souligne Dan Efergan, producteur exécutif de 11-11: Memories Retold chez Aardman. « Nous voulions montrer cette oisiveté dans un cadre fictionnel. Pour vérifier l’intégrité de notre vision, nous faisions toujours ce test mental: oserions-nous montrer ce jeu à des soldats qui ont vécu le conflit? »

Vue à la troisième personne, 11-11 salue le centième anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale en s’enterrant sur le front de Vimy (près de Lille) en 1917. Exit le patriotisme: Harry, un jeune photographe canadien veut épater une fille. De l’autre côté de la ligne de démarcation, Kurt, un ingénieur allemand recherche son fils. Des jeux de carte, du whisky et de l’angoisse. L’attente suit un lent crescendo avant l’assaut. Cette expectative proche du Jarhead de Sam Mendes se complète également d’un propos proche du Joyeux Noël de Christian Carion. Une épouse qui manque, un froid qui ne pardonne pas… Dans les deux tranchées, les commentaires des soldats sont les mêmes. Si bien qu’une improbable et temporaire fraternisation s’esquissera à la fin du jeu.

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Donnant l’impression de plonger dans des toiles impressionnistes en perpétuel mouvement, la réalisation visuelle 3D de 11-11: Memories Retold n’a pas de précédent mais s’inscrit dans l’ADN artisanal et fait main des studios Aardman (Chicken Run, Wallace & Gromit…). « Six semaines avant la fin de la production, notre moteur 3D n’était pas encore stable. Mais au final, ce rendu nous a aidés à développer les thèmes du jeu. Notamment, l’idée de subjectiver, qu’il n’y a pas de gentils ou de méchants dans un conflit« , se souvient Dan Efergan. « Cette approche graphique se mariait aussi à merveille avec le flou propre aux souvenirs humains. »

Les coups de brosse permanents habillant la réalisation visuelle de 11-11 se doublent d’effets de lumière saisissants. Tournant le dos au photoréalisme, une certaine pudeur et une distance se dessinent face à la cruauté de la guerre. Mais ce flou artistique masque les émotions des visages des protagonistes. « Nous en avions conscience, c’est pourquoi on a tout fait pour décrocher de bons acteurs, quand on a commencé le projet« , précise Dan Efergan. Très porté sur le gaming (l’expérience VR Transference qu’il a cocréé avec Ubisoft), Elijah Wood (Frodon dans Le Seigneur des anneaux) interprète ainsi Harry, le soldat canadien. Sebastian Koch, grand habitué des bad guys dans des films historiques (La Vie des Autres, Black Book…) se glisse sous le casque allemand de Kurt. Le tout pour un récit franchement attachant.

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Ceci n’est pas un jeu vidéo

Épaulé de seconds rôles marquants, ce casting qui croise la route d’un Indien fraternel et d’un major cruel témoigne du savoir-faire d’Aardman en matière de longs métrages d’animation. Le studio s’est d’ailleurs entouré de Stephen Long et Iain Sharkey, scénaristes britanniques qui avaient déjà couché l’histoire de Get Even, jeu d’action doublé d’une quête d’identité enfouie dans un récit de SF militaire.

Créé par Yoan Fanise, ex d’Ubisoft qui lâchait le très bon Soldats inconnus: Mémoires de la Grande Guerre il y a quatre ans , Digixart officie derrière le gameplay de 11-11. Ses ressorts ludiques entre exploration et légers puzzle games manquent toutefois de consistance. Choisir le ton -cru et sincère ou imagé et onirique- d’une lettre qu’on adresse à sa fille, prendre des photos pour progresser, déplacer des caisses, ou encore réparer une radio via une énigme sans relief: l’ennui s’embourbe dans les tranchées de Vimy.

Doté d’un gameplay morne évoquant le premier épisode du très narratif Life is Strange 2, 11-11 illustre une volonté de changement dans la vision de la division gaming des studios Aardman. L’équipe qui se concentrait jusqu’ici sur des projets éducatifs et muséaux est convaincue que « les jeux vidéo dépassent doucement leur condition de simple médium de divertissement ». « C’est quelque chose qui est profondément ancré dans nos projets et nos équipes. Avec la BBC Research & Development, nous avons ainsi cocréé We Wait, un jeu en réalité virtuelle suivant l’attente de réfugiés syriens en 2017, conclut Efergan. La communauté indé multiplie les projets à risque audacieux, j’ai un profond respect pour elle. Mais il est temps de passer à la vitesse supérieure aujourd’hui, de lui accorder une visibilité auprès du grand public via des projets aux budgets plus conséquents. Pas des blockbusters mais des moyens plus importants.« 

11-11: Memories Retold: édité par Namco Bandai et développé par Digixart/Aardman Animations, âge: 16+, disponible sur PlayStation 4 et Xbox One. * ***

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Un autre regard sur la guerre

Le jeu vidéo change son regard sur la guerre et son rapport à l’Histoire évolue. Jeu documentaire sur le naufrage du sous-marin nucléaire russe éponyme en 2000, Kursk s’immergeait le mois dernier dans les eaux troubles de son équipage avec un certain talent. Doté d’une vraie crédibilité ludique menant vers des choix moraux cornéliens, This War of Mine suivait de son côté le destin de civils pris dans le siège de Sarajevo en 2014. La même année, Soldats inconnus: Mémoires de la Grande Guerre d’Ubisoft livrait, lui, des tranches de vies touchantes -mais assez scolaires- de poilus. Librement inspiré de la nouvelle Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad, Spec Ops: The Line ouvrait le bal des jeux de guerre commerciaux et différents deux ans plus tôt. Ce First Person Shooter polonais explorait sa tragédie humaine et ses réalités complexes en mettant notamment en avant des soldats qui ne savent plus faire la différence entre le bien et le mal.

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