Zone d’inconfort

Sorti en 1979, Le fascinant Stalker de Tarkovski génère toujours autant de splendeur visuelle et de malaise rampant.

Mais qu’est donc cette « zone » autour de laquelle s’articule le film le plus étrange et le plus fascinant d’Andreï Tarkovski? S’agit-il du théâtre d’une catastrophe nucléaire, d’une bataille meurtrière et clandestine? Le site d’une chute de météorite, voire d’une apparition d’extraterrestres? Le mystère à son sujet s’accompagne de crainte, mais aussi de désir car en son centre, dit-on, se trouve un lieu (nommé « la chambre ») où les souhaits pourraient être exaucés. L’entrée de la zone est interdite, des troupes armées veillent à en empêcher l’accès. Un passeur semble pourtant en mesure d’y introduire des visiteurs. On l’appelle « stalker », du mot de la langue anglaise désignant un traqueur furtif et silencieux. Il sera le guide d’un écrivain et d’un professeur de physique. Lesquels seront soumis à la logique indéchiffrable d’une « zone » où ils se verront confrontés à une suite d’épreuves, de fausses pistes et de cheminements dans des labyrinthes tantôt physiques, tantôt mentaux, spirituels même. Des itinéraires qui leur feront révéler leur moi le plus secret, le plus intime, le plus dangereux…

Réalisé voici 40 ans, Stalker offre au regard une beauté formelle que gangrène dès le départ un profond sentiment de malaise. Une sensation d’étrangeté, d’inquiétude existentielle, nous gagne en même temps que nous captivent les images sublimes (en noir et blanc hors de la zone, en couleur dedans). Très russe, le film contient moins d’action que de considérations philosophiques et mystiques. Il réserve quelques surprises majeures, particulièrement vers la fin, et ne dénoue un mystère que pour en introduire un nouveau. Venant après Andreï Roublev, Solaris et Le Miroir, autres oeuvres marquantes, Stalker marque l’apogée du génie tarkovskien. Sur un scénario touffu des frères Strougatski, le cinéaste de 47 ans signe une réalisation superbe, utilisant aussi une bande sonore intensément travaillée. Il ignore qu’il ne lui reste plus que sept ans à vivre, et deux films seulement ( Nostalghia, Le Sacrifice) à tourner…

Zone d'inconfort

L’impact de Stalker fut et reste énorme. Son influence est très visible dans le travail de cinéastes comme Lars von Trier, Alexandre Sokourov, Tsai Ming-liang et Nuri Bilge Ceylan, entre autres. Des plasticiens et des musiciens (dont Björk), s’en sont aussi inspirés. Par-delà l’évidente fascination qu’il continue à exercer, le film témoigne d’un 7e art ambitieux, radical, exigeant, d’un cinéma d’auteur qu’aucune formule commerciale n’est venue corrompre, et qu’irrigue une riche culture. Une oeuvre qui prend son temps et qui nourrit le nôtre, prolongeant ses effets bien après le générique final. Inépuisable, sans doute.

Stalker

D’Andreï Tarkovski. Avec Alexandre Kaïdanovski, Anatoli Solonitsyne, Nikolaï Grinko. 2 h 42. Dist: Lumière.

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