Pour son quatrième long métrage comme réalisatrice, Zabou Breitman adapte No et moi de Delphine De Vigan. Elle y raconte la rencontre entre Lou, une adolescente, et No, une sans-abri, embrassant avec doigté et inspiration un sujet brûlant.

Cela commence par une voix off, celle d’une adolescente qui aimait les gares, et leurs ballets incessants, qui s’y rejouent dans l’écoulement infini des jours: « ceux qui partent ou se retrouvent, ceux qui ne partent jamais -les sans-abri. » Quatrième long métrage comme réalisatrice de Zabou Breitman, No et moi évolue à front d’un sujet sensible, qu’il envisage toutefois par un prisme original, celui de la rencontre entre Lou, cette ado de 13 ans, et No(ra), une jeune femme vivant aux marges de la société.

A l’origine du film, le roman éponyme de Delphine De Vigan, que lui adresse son producteur Frédéric Brillion, en dépit de la résistance d’une réalisatrice sortant d’une adaptation, celle de Je l’aimais d’Anna Gavalda. La curiosité l’emporte toutefois: la lecture de la quatrième de couverture débouche sur l’envie de se plonger dans le livre, qui vainc, pour sa part, les réticences initiales: « Du fait de cette rencontre avec une jeune femme en dehors de la société, la croisée des chemins du monde de l’adolescence à l’âge adulte est décrite de façon très particulière, très intéressante et subtile. J’ai trouvé cela très cinématographique », avance Zabou Breitman dans un élan, alors qu’on la retrouve dans un salon du théâtre de Namur, où son film est présenté au Festival du film francophone.

Être droit

Quelques tâtonnements au moment de l’adaptation plus loin, avec notamment des hésitations quant au recours à la voix off susmentionnée – « qui a décidé que ce n’était pas bien, la voix off? Les Américains arrivent très bien à le faire, regardez Casino, où elle est omniprésente », observe-t-elle, non sans à-propos-, et voilà que le film prend forme. En son c£ur, la quête maternelle, toile de fond à déclinaisons multiples, et puis un thème, difficile, celui des sans-abri. « A un moment donné, je me suis posé la question: c’est bien beau de l’écrire, mais après il faut le faire. Et là, il faut être droit. »

Entendez trouver la hauteur juste, gageure dont elle s’acquitte avec une discrète maestria, trouvant les accents d’un naturalisme bienvenu. Le résultat d’un travail soutenu avec ses 2 comédiennes principales, la toute jeune Nina Rodriguez et la plus expérimentée Julie-Marie Parmentier, en amont comme lors d’un tournage conduit entre impros dirigées et scènes très écrites. Celui aussi d’un ancrage dans le réel, travaillé, là encore, à la source et en aval. A cet égard, Zabou Breitman évoque la question éthique qui s’est posée au moment de trouver la figuration du film: « Je ne savais pas ce qui était le pire: prendre un figurant et lui mettre un truc? C’est un peu sordide. Mais demander à des mecs qui vivent dans la rue de jouer des mecs qui vivent dans la rue, c’est dur. J’ai fait appel à la fille qui s’était occupée du casting des mecs dans la rue pour Le petit lieutenant de Xavier Beauvois. Elle les connaissait -c’est une personne qui a la bonne distance, qui est droite et saine. On leur a laissé le choix: ils ont besoin d’argent, et ils voulaient en être, mais ils pouvaient aussi bien jouer des passants. La plupart, toutefois, étaient contents que l’on parle d’eux et de leur condition. Etre là était une revendication, cela comptait.  »

Trouver la justesse

On peut du reste, et sans qu’il cède pour autant jamais à la tentation du film à thèse, voir dans No et moi un acte citoyen. L’exposé que décide de faire Lou sur les sans-abri est ainsi l’occasion, pour Zabou Breitman, d’un rappel statistique dont l’objet est aussi de titiller les consciences. « C’est important de voir les chiffres, parce que cela donne une autre valeur à ce que vous racontez », relève-t-elle. Au-delà, son propos a encore le mérite de s’inscrire à rebours des clichés – « J’aimais beaucoup dans l’histoire le retournement de l’ange »-, explique-t-elle à propos de la relation qui se noue entre ses 2 protagonistes principales.

A celle-là vient par ailleurs s’en greffer une autre, celle à une mère étrangement absente, emmurée dans un drame, et qu’elle n’a laissé à nulle autre le soin d’interpréter. « La fêlure, ça m’intéresse, c’est toujours ce qu’il y a de plus beau. Et à jouer, c’est vraiment très agréable; et intéressant d’être dans la bonne distance. J’adore trouver la justesse, et non pas rentrer dans un truc stéréotypé. Au théâtre, j’ai fait Des Gens , un spectacle d’après les documentaires de Raymond Depardon, où je suis vraiment allée à l’intérieur de ces personnages, de ces personnes. Travailler sur le documentaire, sur la parole des gens, être au maximum à l’intérieur de tout, du sentiment, a constitué un tournant pour moi. »

EntretienJean-François Pluijgers

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