AVEC SON DEUXIÈME ALBUM, LA JEUNE CHANTEUSE ZARA MCFARLANE JOUE AVEC LA TRADITION JAZZ. UN oeIL VERS LA SOUL, DES APPELS DU PIED AU REGGAE, MAIS LA NOTE TOUJOURS BLEUE.

C’est un peu le paradoxe actuel de la musique jazz. Face nord, un genre souvent perçu comme opaque, compliqué et cérébral; face sud, une multitude de jeunes artistes qui tout en collant au format l’ouvre à d’autres sensations plus soul, pop ou même hip hop (sans forcément tomber dans l’easy listening). José James, Gregory Porter, Christian Scott… On peut y ajouter désormais Zara McFarlane, jeune Londonienne signée sur Brownswood Recordings, le label de Gilles Peterson, DJ gourmand et hétéroclite. « C’est difficile de trouver des gens dans le business qui comprennent le jazz et en même temps restent ouverts aux autres musiques. A Londres en particulier, où tout est fort séparé. Avec Gilles, c’est différent: il a des goûts vraiment très éclectiques, son label part dans tellement de directions différentes… »

Zara McFarlane vient de sortir If You Knew Her, son deuxième album, entre compos originales et reprises. Comme celles de Police & Thieves de feu Junior Murvin ou Angie La La, de Nora Dean, autre morceau reggae. « Un classique popcorn », dixit le camarade DJ Kwak (les soirées/émissions radio Back toNiceness, In My Hard Drive pour la maison-mère), avec qui on rencontre la jeune femme, attablée dans une librairie-restaurant du sud-est de Bruxelles. Du reggae donc dans l’ADN de Zara McFarlane. Quoi de plus normal: ses parents sont nés en Jamaïque, débarquant en Angleterre dans les années 60. Jusque récemment, on pouvait d’ailleurs croiser la chanteuse derrière le micro du groupe Jazz Jamaica qui, comme son nom l’indique, mélange reggae et jazz. « En fait, je suis tombée dans le jazz assez tard. Je devais avoir 19, 20 ans. J’étais à l’université. Il y avait ce café qui permettait à ceux qui le voulaient de monter sur scène et de chanter un morceau. J’ai mis mon nom sur la liste. J’ai fait ça un moment, jusqu’à ce qu’un membre du collectif Tomorrow’s Warrior me voie et me propose de m’impliquer. » Ce qui l’amènera à croiser la route de pointures telles Hugh Masekela ou la guitariste Ernest Ranglin.

Aujourd’hui, la néo-trentenaire ouvre son disque avec Open Heart, complainte amoureuse décharnée, entre folk et gospel, qui n’a besoin de rien d’autre que d’un violoncelle et des percussions métalliques du hang. « J’aime un tas de musiques différentes. Je ne veux rien me refuser. Mais je pense que je voudrai toujours avoir une touche jazz. Parce que j’adore l’aspect live, le fait de jouer avec un groupe, et de pouvoir improviser. Le feeling swing aussi, même si certains trouveront ça trop traditionnel. »

Soft power

La dernière reprise présente sur If You Knew Her est d’ailleurs bien jazz celle-là: Plain Gold Ring, de Nina Simone. Comparaison n’est pas raison, mais les parallèles ne manquent pas entre les deux trajectoires. Comme l’icône Simone, passée notamment par la Juilliard School, McFarlane a multiplié les formations, de la Brit School en passant par un degree en popular music –« J’aime apprendre des choses. Et puis cela reste un milieu très masculin, c’est bien d’avoir le bagage technique qui vous permet de communiquer avec les autres musiciens, de parler d’égal à égal. »

Comme un écho au morceau Four Women, McFarlane explique également volontiers que son album rend hommage aux femmes fortes qui l’ont toujours entourée. « Comme ma mère, qui a été la plupart du temps seule pour m’élever. » Sur Woman of the Olive Groves, elle raconte encore cette apparition, au milieu de la nuit, dans la campagne italienne. « Je me rendais à un concert, il était tard. On roulait au milieu de nulle part. Entre les champs d’oliviers, il y avait un fille noire. Je me demandais ce qu’elle pouvait bien foutre là, à cette heure-là. Le chauffeur m’a expliqué que c’était une prostituée. Or apparemment dans ce coin-là si vous êtes black, vous êtes forcément associée à une pute. J’ai lu pas mal d’histoires sur ces femmes, ce qu’elles ont enduré, comment elles sont arrivées là, et s’y sont retrouvées coincées, après qu’on leur a promis un job. Si j’étais née dans une autre partie du monde, cela aurait pu être moi. »

A la place, McFarlane a grandi à Dagenham, l’un des coins les plus pauvres de la capitale londonienne, rongé par la crise -l’usine Ford a encore perdu 1000 jobs l’été dernier, n’occupant plus que 4000 employés (contre 40 000 dans les années 50). Mais plus que la précarité, « c’est le racisme qui m’a marquée »-le BNP (British National Party) a ses aises à Dagenham (jusqu’à devenir la seule opposition au Labour au sein du council local, milieu des années 2000).

Pour autant, le visage joliment rond de Zara McFarlane ne semble pas pouvoir accueillir le même genre de colère sourde, ou la morgue rebelle dont était coutumière Nina Simone. « Je n’aime pas trop la confrontation », avoue-t-elle. Plus Tracy Chapman qu’Angela Davis, la jeune femme balance donc ses messages en pointillé. Comme avec ce Police & Thieves, chanson liée à l’enfance, mais dont elle finit tout de même par exploiter le message. « Quand j’ai commencé à bosser sur cette reprise, on était en plein cinquantenaire de l’indépendance de la Jamaïque. La même semaine ont éclaté les émeutes à Londres. Un an plus tard, quand on a réalisé la vidéo, on est allés tourner dans les rues qui ont été touchées par les violences. » Donc oui, « j’ai envie de pouvoir parler de tout ça, mais sans être trop frontale. » (Soft) power to the people…

ZARA MCFARLANE, IF YOU KNEW HER, BROWNSWOOD RECORDINGS.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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