En 50 ans d’indépendance, le Congo a connu pas mal de tourments. Mais jamais, il n’a déposé les instruments.

Premier essai. « La maison de Koffi, s’il vous plaît? » La barrière se lève, et la voiture peut monter la route bordée par les villas des célébrités locales et autres dignitaires politiques. C’est pas Beverly Hills, mais ça y ressemble. C’est ici, à son domicile, qu’a donné rendez-vous Koffi Olomidé, l’une des plus grandes stars congolaises. Aujourd’hui encore, chacune de ses sorties fait l’événement. C’est un peu le Mister Lova congolais, une sorte de P. Diddy kinois. Sur le portique blanc tape-à-l’£il qui barre l’entrée de sa propriété, un grand M, l’initiale de son surnom Mopao. Soit le chef, le patron. Sur le côté, une petite porte, d’où sort un garde.« M. Olomidé? Ah, mais il n’est pas là. Il vient de partir à son local de répétition… »

Cela tient du mystère. Le Congo a beau avoir passé les 50 dernières années à prendre des coups, jamais il ne semble avoir perdu le rythme. Le pays peut être déglingué, la musique, elle, est toujours là. Comme si danser était ici la politesse du désespoir.

En fait, l’Etat congolais n’était même pas né qu’il se dandinait déjà. Exemple: le célèbre Indépendance Cha Cha de Grand Kalle. De son vrai nom Joseph Kabasele, le musicien posera les fondements de la rumba congolaise. Avec son orchestre African Jazz, fondé en 1953, il va reprendre les balancements chaloupés des danses cubaines (la rumba, mais aussi le mambo, le cha-cha-cha, le bolero…) et leur faire retrouver leurs racines africaines. Sortant les 78 tours à la chaîne, Grand Kalle est à ce point populaire qu’il est invité à rejoindre la délégation congolaise qui se rend à la conférence, en 1960. C’est à cette occasion qu’il compose 2 morceaux, Table Ronde et le fameux Indépendance Cha Cha. Le chanteur Tabu Ley Rocherau y égrène le nom des principaux acteurs de cette réunion au sommet (Lumumba, Kasavubu…). Le 30 juin, Kalle joue avec l’African Jazz lors des cérémonies d’indépendance, devant le roi Baudouin. Par la suite, il est même nommé secrétaire de l’information de la République du Congo.

Deuxième essai. Après de multiples tractations et coups de téléphone, le garde accepte de livrer l’adresse du local où répète Koffi Olomidé. Arrivés sur place, on repère un gros 4×4 blanc bling bling… Dans le grand jardin, une piscine et une salle, d’où sortent des notes de musique. « Koffi en a encore pour un quart d’heure et il est à vous. » 50 minutes plus tard, on profite d’une pause de l’orchestre pour alpaguer directement la star, sortie prendre l’air. « Un journaliste belge? Pour une interview? Cela ne va pas être possible tout de suite. J’en ai encore pour une bonne heure. Revenez demain. 15 h chez moi. »

L’autre figure tutélaire de la rumba, c’est Franco, accompagné de son TP OK Jazz (TP pour Tout Puissant). L’an dernier, on a célébré les 20 ans de sa disparition. Pour l’occasion, le prestigieux label anglais Sterns a sorti le second volume de son anthologie baptisée Francophonic. Et a réalisé avec elle sa meilleure vente de l’année… Encore aujourd’hui, la rumba est la musique qui donne le ton dans les rues de Kin. En se baladant, on tombe notamment sur des affiches annonçant le lancement d’une prochaine émission de télécrochet-réalité baptisée… « Rumba Academy ».

Depuis Franco, le genre a évidemment évolué. Sa variante ndombolo en a fait une musique plus saccadée. En gros, la rumba était romantique, le ndombolo est plus frénétique. Au départ, il s’agirait d’une danse. Celle que les chegue, les gamins de rue de la capitale, se seraient amusés à inventer en imitant le pas claudiquant et un poil balourd de Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président. Mais d’autres versions de l’histoire circulent. Le modèle n’aurait pas été celui qui a renversé Mobutu, mais bien le vieux Marcel. En l’occurrence, le singe-vedette du zoo de Kinshasa, aujourd’hui décédé, mais qui à l’époque dansait la rumba d’une manière toute particulière… Si non e vero

En attendant, le genre a créé ses propres codes, son propre langage. Ses propres guerres de clans aussi, chacun s’invectivant par chansons interposées. Comme quoi, les rappeurs américains n’ont rien inventé… Ainsi, certains ne se sont toujours pas remis de l’éclatement de Wenge Musica, duquel naîtront 2 factions: le Wenge BCBG de JP (Mpiana) et le Wenge Maison Mère de Werrason. A l’époque, Koffi Olomidé n’a également pas fait que des heureux en quittant l’écurie de Papa Wemba. Aujourd’hui, c’est lui qui serre les dents en voyant son poulain Fally Ipupa lui voler la vedette… Chacun étant sommé de choisir son camp. Comme chacun est tenu de choisir sa bière: Skol ou Primus. La fameuse guerre des mousses se joue d’ailleurs aussi sur le terrain de la rumba. Chaque brasseur fait en effet le forcing pour signer des contrats de sponsoring avec les stars. Werrason roule pour Primus, tandis qu’Olomidé loue les mérites de la Skol…

Le « product placement » pratiqué dans la rumba ne date pas d’hier. En son temps, même Franco avait chanté la sortie du dernier modèle Volkswagen au Zaïre. Aujourd’hui cependant, les morceaux ont tendance à devenir de véritables panneaux publicitaires. Ou électoraux. Ils sont en effet nombreux à payer pour entendre leur nom dans le dernier tube. Sur place, on désigne volontiers ce marché de la dédicace par le terme de libanga. Avoir son nom dans une chanson de Werrason ou de Papa Wemba peut se monnayer très cher. Cela n’empêche pas le phénomène d’enfler. Dans la chanson Magie de Koffi Olomidé, on peut compter plus de 80 citations. L’été dernier, le ministre de la Communication congolais a décidé d’interdire la diffusion des chansons comportant des dédicaces aux autorités du pays. Sans beaucoup d’effet…

Troisième essai. Retour le lendemain au domicile de Koffi, à l’heure dite. Personne pour ouvrir. Coup de téléphone. « Ah mais non, on avait dit 14 h, assure l’un de ses nombreux frères, la voix à peine réveillée. Là, il est parti à la RTCN… Revenez dans une heure. » Un peu fort de Koffi. Game over.

Il n’y a pas que la rumba dans la vie. Certes, le genre domine les ondes, mais le Congo est vaste. Les chants religieux, par exemple, ne débordent pas seulement des églises, bondées le dimanche matin. Ils grignotent aussi un important temps d’antenne sur les télés. Sur Kinshasa Succursale, Baloji a invité entre autres la Chorale de la Grâce. Après le Japon, la formation a notamment tourné en France l’été dernier. A l’autre bout du spectre musical, on a également vu apparaître ces dernières années une scène hip hop avec des rappeurs comme Lexxus ou Marshall Dixon. L’audience reste cependant limitée, son côté frontal empêchant certainement « d’ambiancer en rond ».

Et puis, il reste les groupes Crammed. Depuis quelques années, guidé par le flair du producteur Vincent Kenis (lire notre dossier en page 13), le label bruxellois creuse un sillon qui lui vaut une reconnaissance internationale de plus en plus importante. Konono n°1, le Kasaï Allstars, Staff Benda Bilili: tous ont en commun une étiquette, le tradi-moderne. Soit un mélange de musiques traditionnelles et de modernité électrique. Au départ, c’est un cas de force majeure: c’est pour réussir à se faire entendre dans le vacarme urbain que la musique traditionnelle se plie à l’électricité. A cet égard, le cas le plus emblématique est celui de Konono. Sa marque de fabrique est le likembe, ce petit piano à lamelles de métal, qui est ici amplifié à l’aide de micros fabriqués à partir de vieux alternateurs de voiture. Inspiré par les musiques de transe bazombo, le groove de Konono se déploie alors dans un océan de distorsions métalliques. En Occident, nombre de rockeurs et autres amateurs d’électronique sont tombés sous le charme. Au Congo pourtant, le groupe reste quasi inconnu. Même constat pour le Staff Benda Bilili. Plus proche d’une rumba classique, la formation a bénéficié d’un vrai buzz en Europe, et a été désignée groupe de l’année 2009 au dernier Womex (World Music Expo). Mais ici aussi, le Staff reste peu connu chez lui, à Kinshasa. Lokua Kanza connaît un peu le même sort. On le croise un soir par hasard dans un restaurant de Kin. Une rencontre au départ hautement improbable: le musicien congolais n’est quasi jamais au pays. C’est en France qu’il a notamment construit sa carrière. Loin des déhanchements lascifs de la rumba, Lokua Kanza a toujours préféré les mélodies acoustiques, plus proche d’un Ismael Lo ou d’un Geoffrey Oryema que d’un Papa Wemba. « La base de mes chansons reste malgré tout la musique congolaise, insiste le musicien né à Bukavu (1958). Mais c’est vrai que j’aime y apporter des éléments qui viennent du jazz ou de la musique. » On lui fait remarquer que, du coup, sa notoriété reste plus importante à l’étranger que chez lui. « C’était vrai avant. Cela n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. » La sortie de son prochain album est ainsi prévue pour mai chez Harmonia Mundi. Et pour la première fois, il va faire de la promotion au Congo.

épilogue.« Vous n’avez pas réussi à avoir Koffi? Je peux peut-être contacter Werrason, je connais bien son bras droit, King Tekila. » Mwouais… Les rois de la rumba, on commence à se méfier.« Si, si, je sais qu’il répète ce soir, à côté du stade des Martyrs. » Sauf que ce soir, on reprend l’avion. Mais puisque le local est sur le chemin… On fait donc une dernière tentative. Et là, miracle. Non seulement la star est là, mais elle veut bien nous parler. Entouré d’admiratrices, le regard ombrageux, il explique dans un français hésitant: « Le ndombolo, c’est la même chose que la rumba avec le show en plus. Aujourd’hui, il y a la techno malewa. C’est une musique que j’ai inventée. Ces derniers temps, les Ivoiriens et les Camerounais ont pas mal repiqué les plans ndombolo en changeant le tempo. J’ai voulu récupérer ça, mais en y injectant une batterie électronique. Cela donne la techno malewa. » Vous êtes surnommé le roi de la forêt, et il paraît que vous êtes le musicien du peuple congolais. « Je parle des préoccupations des petites gens. J’ai joué devant 120 000 personnes au stade des Martyrs. Quand les enfants shegue ont commencé à faire du grabuge lors de la transition, c’est moi qui ai calmé la situation.  » Le temps d’expliquer encore comment il a fait exploser les ventes de son sponsor brassicole, et Werrason est reparti. Dehors, le taxi est toujours là. Direction l’aéroport, du ndombolo à fond dans le poste. Y a de la rumba dans l’air…

Texte laurent hoebrechts , à kinshasa

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content