APRÈS BARCELONE ET LONDRES, ET EN ATTENDANT ROME, WOODY ALLEN A POSÉ SA CAMÉRA DANS LA VILLE LUMIÈRE, LE TEMPS D’UN MIDNIGHT IN PARIS ENCHANTÉ…

Sacré Woody Allen. Lui dont on a longtemps salué l’attachement viscéral à sa ville de New York, au point qu’il ne s’en éloignait qu’à regret, voilà une bonne demi-douzaine d’années maintenant qu’il a adopté l’Europe comme base arrière, y situant l’action de la totalité de ses productions depuis Match Point, à l’exception de Whatever Works. Londres, à 4 reprises, et Barcelone, le temps de Vicky Cristina Barcelona, avaient déjà accueilli un tournage du réalisateur américain; c’est aujourd’hui au tour de la Ville lumière d’offrir son cadre à l’un de ses films, le bien nommé Midnight in Paris.

Si ce titre appelle quelque vision romantique (on y reviendra), il est aussi des raisons que le c£ur ignore à cette reconversion inattendue du plus new-yorkais des cinéastes en authentique globe-trotter du Septième art. L’argent est le nerf de la guerre, en effet, et les financements que l’Amérique répugne à encore lui accorder, le réalisateur de Manhattan les trouve désormais en Europe. « Il est difficile de financer un film aux Etats-Unis sans laisser les bailleurs de fonds lire le scénario, ni savoir qui fera partie de la distribution, observe-t-il, avec une pointe de dépit dans la voix, alors qu’on le retrouve dans le palace cannois où il a désormais ses habitudes. En Europe, il n’y a pas de système de studio, et tout s’en trouve facilité. Les gens sont banquiers et heureux de l’être, je fais des films et ils les financent. Alors qu’aux Etats-Unis, ceux qui financent des films voudraient être créatifs aussi, ce qu’ils ne sont pas.  » Point barre, sans que le statut d’un Woody Allen n’y change rien. La quadrature du cercle pour un auteur jaloux de son indépendance créative, lui qui a veillé à toujours bénéficier du « final cut » sur ses films, comme d’ailleurs d’une totale liberté d’écriture.

Asile artistique

Qu’à cela ne tienne. S’il confesse qu’il aimerait énormément pouvoir tourner à nouveau à Manhattan, cet admirateur de Bergman devant l’éternel a donc trouvé asile artistique en Europe. A cet égard, le modus operandi de ce Woody nouvelle manière ne manque pas d’étonner, qui balade désormais sa caméra de ville en ville, puisque Rome a déjà succédé à Paris dans son calendrier de tournage: « Il faut que l’on m’invite, et qu’on finance le film, explique-t-il. Après quoi, j’explique ma méthode de travail. Si mes commanditaires l’acceptent, je commence à évaluer la possibilité de tourner dans cette ville. Et si une idée prend forme, j’accepte le projet et j’y vais. «  L’une des conditions étant, aux yeux du réalisateur, que la ville présente des qualités cinématographiques manifestes, puisqu’elle sera un personnage à part entière de l’histoire. A charge ensuite pour lui de faire prendre la sauce, quitte à la relever de quelques clichés: on se souvient de l’hidalgo macho de Vicky Cristina Barcelona, là où Midnight in Paris est truffé d’images d’Epinal. Ce que ne cherche nullement à démentir l’intéressé: « Quand on pense à Paris, on pense à une histoire d’amour, parce que c’est ce qu’a véhiculé le cinéma. C’est la vibration que transmet cette ville. De même que si l’on me proposait de tourner à Berlin, la première chose qui me viendrait à l’esprit serait sans doute une histoire d’espions, si je considère les films se déroulant à Berlin que j’ai vus. «  On n’en est pas encore là, cependant. Quant au cinéma comme réservoir à fantasmes, c’est un sujet aux déclinaisons inépuisables, en effet.

S’agissant de Paris, la vision qui en découle à l’écran rejoint celle propre d’un réalisateur qui n’a jamais dissimulé que cette ville exerçait sur lui un attrait tout particulier, depuis le tournage de What’s New, Pussycat?, en 1965. A tel point, d’ailleurs, qu’elle est la seule sans doute pour laquelle il envisagea une infidélité durable à New York -rejoignant en cela Gil, son alter ego limpide dans Midnight in Paris. « En général, la ville dans laquelle je tourne est très significative pour moi. Je n’aime pas qu’elle serve uniquement d’arrière-plan, poursuit Woody Allen. Paris est une ville magique à mes yeux, je suis incapable de la voir de façon réaliste. Tout comme Milan, je la vois à travers des lunettes teintées de couleur rose. Les aspects négatifs s’estompent, seules les choses les plus belles demeurent. Mais cela correspond aussi à l’expérience que j’ai de cette ville.  »

Soit le cadre idoine pour une comédie sentimentale comme Woody Allen sait joliment les trousser, à quoi il a superposé l’idée, à peine moins romantique à vrai dire, de voyages dans le temps qui propulsent son héros dans le trépidant Paris des années 20 à l’heure où, généralement, les carrosses se changent en citrouilles. « Le fait de l’envoyer dans les années 20 m’ouvrait un large champ de possibilités », non sans faire écho à un autre fantasme: « C’est une période dont tout le monde a entendu parler aux Etats-Unis. Si l’on dit Paris, l’une des premières choses à laquelle on pense, ce sont les années 20, avec tous ces artistes, Hemingway, Scott Fitzgerald, Picasso, Dali, qui vivaient et buvaient ensemble, échangeaient leurs petites amies, sans que je sache d’ailleurs quelle est la part exacte de vérité là-dessous. Le Paris de la bohème est un mythe…  »

Gil s’y égare avec d’autant plus de délectation qu’il est mû par l’illusion de vivre là un Age d’or par opposition au présent qui le voit végéter dans un emploi lucratif mais peu stimulant de scénariste hollywoodien. Allen doute, pour sa part, qu’il aurait jamais pu travailler dans un tel environnement: « Je suis bien trop bourgeois, j’ai besoin de ma jolie petite chambre bien tranquille. Je ne suis pas du genre à fréquenter les cafés, ni à boire avec des intellectuels.  » Pas celui non plus à s’abandonner à la nostalgie – « c’est un piège ». Et lorsqu’on lui suggère néanmoins un regard rétrospectif, c’est à peine si certains de ses films trouvent grâce à ses yeux: « Il y en a quelques-uns dont je suis satisfait: The Purple Rose of Cairo, Match Point. Certains films m’ont donné le sentiment d’avoir fait du bon boulot. Pas beaucoup, mais c’est arrivé.  » Sacré Woody Allen…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES, ILLUSTRATIONS DENIS MEYERS

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