Critique | Livres

[la bd de la semaine] J’ai tué le soleil: Winshluss le tueur

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Rare en BD, l’auteur de Pinocchio et âme de la revue Ferraille s’empare du récit survivaliste pour un petit chef-d’oeuvre de violence et de folie intime.

Deux ans après un tome de la Petite Bibliothèque des Savoirs consacré à l’anarchie, trois ans après son petit exercice de style comics Gang of Four (28 pages vite épuisées chez les Requins Marteaux) et cinq ans après Dans la forêt sombre et mystérieuse, son formidable conte pour enfants et dernier « vrai » roman graphique, Winshluss revient enfin aux affaires avec une grosse claque de 200 pages qui commence par « L’après », avec toute l’imagerie post-apocalyptique qui généralement l’accompagne: un homme solitaire et hirsute bouffe du cheval, brûle du chien et compte ses balles pour survivre, dans des décors urbains abandonnés et réinvestis par les plantes. Il se croit seul au monde (il ne l’est pas bien sûr) et sa mémoire lui joue des tours. Il sait qu’il s’appelle Karl et se souvient s’être réveillé dans une mer de cadavres, une grave blessure à la tête. « Je ne sais pas ce qui m’a réveillé. La faim? La soif? Ou bien peut-être l’odeur âcre de la mort. » Il faudra attendre plus de la moitié du livre pour découvrir « L’avant », quand Karl détestait tout le monde, notait des noms sur des Post-it, se préparait à un grand projet funeste qui devait le faire entrer dans l’Histoire et déjà, tentait de tuer le soleil. Un « Avant » qui fait basculer toute la lecture de « L’Après », et qui pose une question qu’on ne s’était pas encore posée dans le genre post-apocalyptique: quand l’Humanité disparaît, un sociopathe est-il encore un sociopathe?

Fureur et mine de plomb

Rare donc, mais à chaque fois marquant et rageur, Winshluss frappe une nouvelle fois très fort (dans tous les sens du terme: ça gicle pas mal ici). S’il a abandonné la matière et les couleurs qui faisaient des merveilles dans son Pinocchio ou dans In God We Trust, l’auteur, également peintre, musicien et cinéaste, d’abord aux cotés de Marjane Satrapi, ensuite en solo sous son vrai nom de Vincent Parronaud (Hunted sorti en 2020), n’a jamais snobé pour autant le dessin et la BD, que du contraire. Ce J’ai tué le soleil est tout autant un récit apocalyptique et paroxystique qu’un intense cri d’amour à la narration graphique, dans laquelle il excelle. Mélangeant ici encre et crayon, et ne s’autorisant que quelques rares aquarelles, Winshluss exhale ici toute la puissance et l’énergie qu’une mine de plomb peut exprimer, multipliant les cases et parfois les grands dessins aussi excessifs que lisibles. Ne vous fiez d’ailleurs pas trop à la couverture mêlant jaune et rouge ardent derrière un visage noir et maléfique: l’essentiel des pages de ce roman graphique n’a pas grand-chose à voir, si ce n’est la fureur qui s’y exprime. On y trouve au contraire un équilibre fragile entre folie et science du dessin que peu sont capables d’atteindre, mais qui confirme une nouvelle fois le statut de cador de la BD indé de ce quinquagénaire en colère. ça nous oblige même à ne pas déconseiller cette lecture éprouvante aux plus sensibles: ils manqueraient vraiment quelque chose!

J’ai tué le soleil

Survivalisme. De Winshluss, éditions Gallimard BD, 200 pages. ****(*)

[la bd de la semaine] J'ai tué le soleil: Winshluss le tueur

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