MOMENTANÉMENT EN CONGÉ D’ANIMAL COLLECTIVE, NOAH LENNOX SORT PANDA BEAR MEETS THE GRIM REAPER. UN CINQUIÈME ALBUM SOLO AQUATIQUE ET EXTATIQUE.

« J’ai parfois l’impression qu’on a inspiré un artiste ou une chanson mais c’est de l’ego trip. Je me con- vaincs très vite du contraire. » Loquace, affable, po- sé, curieux, Noah Lennox affiche une modestie à toute épreuve. On ne compte pourtant plus, depuis une petite dizaine d’années, les groupes à se revendiquer d’Animal Collective, de sa liberté créatrice, de sa pop débridée et avant-gardiste. Attablé au Grand Café de La Monnaie, Panda Bear raconte son rapport à la musique et à la mort, son intérêt pour le dub et sa collaboration avec Daft Punk.

Comment a germé ce nouvel album?

Tout a commencé au Texas, à El Paso, où Animal Collective enregistrait Centipede Hz. Le soir, je chipotais sur un ordinateur. Ce n’étaient que de petites expérimentations. Après nos journées de travail, j’essayais de me vider la tête et de me nettoyer l’esprit avant d’aller au lit. Généralement, il y a une dizaine d’éléments que je suis excité à l’idée d’explorer et cinq ou six m’accompagnent jusqu’à la fin du processus. Ça me stimule d’utiliser de nouveaux instruments ou des vieux d’une manière nouvelle. D’aborder la musique autrement. Du moins d’essayer. Je préfère faire du neuf, même qui ne marche pas, que de me répéter. Ça peut toujours devenir intéressant dans le futur. Réutiliser un processus qui a marché est comme une mort instantanée. Je sais que je vais être coincé. Je veux que la balle continue de rouler même si elle ne va pas tout de suite au bon endroit. Il y a quelque chose de grisant dans la recherche et l’exploration.

Vous étiez en quête de quoi?

J’avais une vision assez claire de ce que je cherchais en termes de percussions. Je voulais aussi des mélodies simples. Parler un langage que beaucoup de gens pourraient comprendre. Avant, j’utilisais un sampler qui définissait clairement les frontières de ce que je pouvais ou pas me permettre. Cette fois, j’ai bossé sur un ordinateur. C’était comme jouer avec des Lego. Construire des blocs de sons, rassembler des éléments disparates. Je n’ai plus voulu non plus donner l’impression d’écrire des chansons avec un journal intime. Je me suis tourné vers des thèmes plus universels. Des choses plus grandes que moi. Et j’ai présenté les voix de manière à ce qu’on comprenne ce que je raconte.

Vous comparez la confection de cet album à une partie de Lego. Vous percevez la musique comme un jeu?

D’une certaine manière oui. Un jeu avec moi-même. C’est comme m’affronter quotidiennement dans une partie d’échecs. Il y a une nature compétitive au rapport que j’entretiens avec la musique. Mais une compétition intérieure avec des aspects de ma personnalité. La peur, le doute, l’arrogance. Toutes ces émotions et sensations.

On croise beaucoup de chiens sur ce disque?

Beaucoup d’animaux. Beaucoup d’êtres humains. Des êtres humains qui se comportent comme des animaux. Des animaux qui se comportent comme des êtres humains. Beaucoup de symbolisme et de métaphores… Une partie de nous se laisse toujours guider par ses impulsions. Je pense que l’homme s’est de tout temps conduit comme une bête mais il reconnaît peut-être aujourd’hui plus facilement cette facette de lui-même. J’espère. Je trouve ça plutôt sain. Avoir des enfants, ces petites créatures qui ne savent pas parler, te donne une perspective assez intéressante sur l’aspect animal de l’homme.

En quoi cet album est influencé par les grands duos dub seventies?

Quelques disques que j’aime profondément renseignent la rencontre d’un producteur et de musiciens. King Tubby meets Rockers Uptown. Augustus Pablo meets Lee Perry & the Wailers Band. Les productions dub et reggae, particulièrement celles des années 70, ont exercé une influence phénoménale sur l’histoire de la musique. J’ai mis du temps à le comprendre. Je devais avoir 17 ou 18 ans quand j’ai commencé à m’y intéresser. Mais tout ce que j’ai fait ensuite y a été d’une manière ou d’une autre associé. Je suis tombé dedans grâce à des colocs. La plupart de mes découvertes musicales sont liées à des rencontres humaines. J’avais un walkman. Je me faisais des cassettes que j’écoutais inlassablement en me promenant. Le dub a un aspect mouillé, humide que j’affectionne…

Ces duos mythiques renvoient à votre nouvelle collaboration avec Peter « Sonic Boom » Kember (Spacemen 3, Spectrum)…

Je pense oui. Je suis surpris que personne ne m’ait encore demandé si Pete était le Grim Reaper (la Grande Faucheuse). Il ne l’est pas vraiment mais c’est l’une des connotations que prend le titre de cet album à mes yeux. Assurément le plus collaboratif de ma carrière solo. Rusty Santos a exercé une énorme influence sur le son de Person Pitch. Et Pete avait marqué Tomboy de son empreinte. Mais je ne sais pas si j’avais déjà vraiment travaillé avec un producteur avant aujourd’hui. C’est un terme très flexible en même temps. J’ai voulu rapidement l’intégrer au processus. J’avais les fondations de quelques chansons mais on est entrés en studio ensemble. Nous avons des idées assez similaires de là où on veut aller mais nous n’empruntons pas le même chemin pour y arriver. Il a un véritable don pour trouver ces petits endroits magiques où les sons se dansent autour. Spacemen 3 m’a grandement influencé. Notamment via le côté sacré de sa musique et de son approche. Mais aussi dans sa volonté « less is more » de dénuder les choses.

Comment appréhendez-vous la mort?

Ce titre, c’est moins Panda Bear contre la mort que Panda Bear qui travaille à ses côtés. Je préfère le voir comme ça en tout cas. On ne sait jamais vraiment comment la percevoir avant de devoir y faire face. Comment on va y réagir avant de la rencontrer. C’est un peu comme quand tu es gamin et que tu dis: si ce mec m’avait fait ça, je lui aurais cassé la gueule. Un jour tu arrives dans cette situation. Toutes ces émotions folles prennent le dessus et tu te comportes bien autrement que tu l’imaginais. Elle m’effraie mais je suis surtout curieux. Je redoute juste qu’elle soit uniquement synonyme de vide. Ce serait décevant.

Votre son a une nature futuriste. Quel rapport entretenez-vous avec la science-fiction?

Je m’y suis intéressé relativement récemment. Star Wars a été un moment important de mon enfance comme pour tous les gens nés à la fin des années 70. La sci-fi a, à travers lui je pense, pénétré toute une génération. Possède en tout cas pour elle une certaine signification. Elle a exercé une influence indéniable sur ce disque. Au même titre que le hip hop.

Vous êtes un grand amateur de rap?

En grandissant, et pendant un bon bout de temps, ma seule exposition à la musique fut la radio. Il y avait quelques très chouettes stations à l’époque à Baltimore. Le rap, c’était le truc que mes potes et les gens à l’école écoutaient. Des choses très mainstream. Même si un Tribe Called Quest passait de temps en temps sur les ondes avant un morceau de Boys II Men…

Vous chantez sur un extrait, Doin’ It Right, du dernier Daft Punk. Ça s’est fait comment?

Quand on a enregistré My Girls pour Merriweather Post Pavilion, on a cherché à le faire remixer et on a pensé aux Daft Punk. Il y a chez eux un vrai sens de l’amusement. Une fusion d’idées et de sons presque magique. Homework est le seul disque avec Doggystyle sur lequel mon frère et moi tombions d’accord quand il fallait mettre de la musique dans la voiture… Enfin bref, notre manager connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui les connaissait. Ça ne les a pas empêchés de refuser l’offre, guère enclins à relooker qui que ce soit. J’ai réessayé sans succès par e-mail deux ans plus tard pour un morceau de Tomboy. Je n’avais pas la moindre idée de ce à quoi ils ressemblaient. Ils n’étaient encore que des robots pour moi. Puis, Thomas Bangalter est sans se présenter venu voir un de mes concerts. Au printemps de la même année, il a glissé que ma voix sonnerait bien sur l’une de leurs nouvelles compositions et m’a proposé de les rencontrer. Ils m’ont fait écouter, on a essayé des micros et j’ai écrit les paroles. Ça nous a pris du temps pour qu’on soit tous satisfaits du résultat.

Vous avez samplé Tchaïkovski sur Tropic of Cancer. Vous écoutez beaucoup de classique?

Le ballet pour ma mère est une raison d’être. J’ai grandi enveloppé à la maison par beaucoup de classique jusqu’à ce que je quitte le domicile familial à quatorze ans. Avec sa dimension pop et catchy, Casse-noisette m’a accompagné. Aujourd’hui, ma fille rejette toutes ces bêtises de petites filles et serait embarrassée de ce que je raconte mais le passage de Tchaïkovski que j’ai samplé figure sur l’un de ses DVD de Barbie. Ce morceau a pris des accents de crooner presque sinatresques…

Devenir père a changé votre approche de la musique?

Pour Tomboy, j’avais déjà samplé des films de ma fille. Les programmes destinés aux gosses sont très chargés. Avec beaucoup d’énergie, de bruit, d’intensité. Mais la paternité intervient de manière plus diffuse. A ta naissance, tu es un survivant. Des gens travaillent et se bougent pour être sûr que tu ailles à l’école, que tu trouves un boulot, que tu puisses subvenir à tes besoins. Et soudain, l’attention bascule sur quelqu’un d’autre. Ça m’a rendu moins critique envers mon travail. Non pas que je m’en préoccupe moins. J’ai juste abandonné une partie de mon ego et ça m’offre encore plus de liberté.

LIRE LA CRITIQUE DU DISQUE PAGE 37.

LE 05/03 À L’ORANGERIE (BOTANIQUE).

RENCONTRE Julien Broquet

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