Son Beautiful Tango tourne en boucle à la radio. Mais c’est bien le blues, de tous les pays, de toutes les couleurs, que chante le premier album de la Marocaine.

C’est une des bonnes surprises de ce début d’année. Le genre de disque qui impose une voix personnelle, tout en restant assez ouvert que pour séduire le plus grand nombre. Berbère née en 1979 à Khouribga, dans le sud marocain, Hindi Zahra a mis du temps avant de se lancer. La musique a pourtant toujours été là. Autour d’elle – sa mère chante, ses oncles jouent dans un groupe -, mais aussi en elle. Arrivée en France en 93, elle ne reste jamais trop longtemps en place. Un peu comme sa musique, qui pioche aussi bien dans le folk que dans le blues malien, le chaâbi, voire le reggae. Résultat: Handmade chante aussi bien en berbère qu’en anglais, le tout signé sur un label… jazz, Blue Note. Cela méritait quelques explications…

D’où venez-vous précisément au Maroc?

Je suis du sud. Là où il n’y a que des arganiers et du sable. Entre Agadir et Ouarzazate, toute cette région-là. Avec un père militaire qui change de ville tous les 4 matins.

Qu’est-ce qui vous a amenée en France?

Mon père justement. A un moment, il s’arrête d’être militaire, il n’en peut plus (rires). Il devient commerçant. Son objectif était qu’on fasse des études parce que lui-même n’avait pas eu cette chance-là. Il est resté 6 ans en France. Après il est reparti aussi sec, pour faire le bonheur de Sarkozy et de Besson. Moi je suis restée. Avec la mère. Mais je me sens toujours l’âme voyageuse.

Votre premier boulot, à 18 ans, vous l’avez dégoté au Louvre. Où vous vous êtes souvent arrêtée devant les peintres flamands, raconte votre bio.

Ah oui, j’ai adoré! On y trouve des couleurs sublimes. J’ai des souvenirs de jeunes filles avec des postures très douces, très contemplatives… En général, je me suis rendu compte que les Belges et les Marocains ont beaucoup de choses en commun. Le surréalisme, par exemple. Au Maroc, on n’a pas eu d’intellectuels pour le formuler ou le décrire. Mais il est partout… Parfois vous passez devant un mur, sur lequel est juste accroché un sac. Il est là, il n’appartient à personne, personne ne va le décrocher. C’est étrange… Et puis, on partage l’autodérision. En France, cela n’existe pas ou peu. Heureusement qu’il y a eu Coluche. C’est le premier à se foutre de la gueule des Français comme ça…

Vous habitez toujours Paris?

Oui, du côté de Montmartre. Mais grâce à la musique, je continue à bouger. Là je retourne au Maroc, on va aller en Egypte, on a été au Mexique, en Slovénie, en Angleterre, Hollande, Belgique ( au festival Esperanzah notamment, ndlr)… Pour moi, c’est la continuité: l’Homme doit voyager. Je dis ça à l’encontre de tout ce qui se passe politiquement en ce moment. Les gens ont peur. Mais pour moi, le voyage est la respiration de l’esprit… Jusqu’il y a peu, je n’ai jamais habité dans un endroit plus d’un an par exemple. Cela m’est insupportable. Je n’ai que mes grigris que j’emmène partout. Ce sont mes seuls « meubles ». Là, je viens d’acheter une commode, c’est une angoisse totale!

Est-ce que cela tient en partie d’une éventuelle fuite?

Hmmm… Non c’est un mode de vie, vraiment. Il y a quelque chose qui est très important pour moi, c’est la curiosité. Dès que j’arrête de découvrir des choses, c’est l’angoisse. Alors oui, je fuis l’angoisse du déjà-vu… J’adore rencontrer des musiciens différents, des instruments différents… La culture bretonne est très riche. Or je parlais avec un musicien l’autre jour qui m’expliquait que les Bretons n’avaient inventé quasi aucun instrument. Ils sont tous importés. A partir de là, ils ont pourtant créé une musique typique.

Sur Handmade, vous avez tout composé, arrangé, produit. Pourquoi?

Parce que j’avais envie de dire des choses, exprimer ma façon de voir. Je ne voulais pas n’être qu’une interprète. Je suis aussi une musicienne. Avec la voix. Bon, je me suis mise à la guitare entre-temps. Mais mes arrangements, je les entends… Et puis la musique est aussi quelque chose de ludique. Quand vous devenez trop technicien, la tendance est à jouer souvent trop compliqué. Donc, je me suis enfermée pendant 3 mois dans un appartement. J’ai loué des instruments. C’était mon terrain de jeu. Seuls les gens qui participaient au disque étaient invités. Personne d’autre.

Quand la musique s’est-elle imposée dans votre vie?

Dans mes premiers souvenirs, je devais avoir 8, 9 ans. A 10 ans, c’est devenu une activité régulière, méthodique. Une fois par semaine, je m’enfermais dans la salle de bain, à chanter. A un moment donné, vous trouvez ça quand même bizarre: des mélodies arrivaient, j’inventais des airs, ce n’était pas comme si je reprenais des choses. C’est resté durant toute l’adolescence. J’ai commencé à enregistrer à l’âge de 16 ans. D’abord avec des potes, sur des 8 pistes. Puis je me suis retrouvé dans des trucs hip hop – tous les lieux où j’étais acceptée pour chanter, je le faisais. A un moment donné, j’ai voulu aller plus loin que les boucles du hip hop. En ramenant notamment mes origines, mais sans que cela soit de la musique traditionnelle. A force de croiser des musiciens, j’ai alors rencontré Thomas Naïm. C’est lui qui m’a aidée à réaliser le disque.

Il y a une volonté de liberté. En même temps, le disque est très blues, forme hypercodée…

C’est vrai, mais je me l’approprie. En même temps, je sais bien que l’on n’invente pas grand-chose dans ce monde. On ne fait que transformer. Et puis je pars du blues, parce que c’est aussi une forme universelle. Quand j’écoute le fado, la musique orientale, Oum Kalthoum, tout ça, c’est le blues. Quand on parle du blues, on pense au Noir américain avec sa guitare, mais pour moi c’est un peu plus large. Cela tient de la nostalgie. C’est toujours cette même histoire, celle des racines.

Hindi Zahra, Handmade, EMI.

En concert le 26/02 à l’ Aéronef de Lille, le 27/02 à l’ Ancienne Belgique de Bruxelles, et le 24/04 au théâtre Arenberg à Anvers.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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