Vent de liberté

Depuis la « Windy City », le bassiste Junius Paul souffle un premier album ébouriffant, collection gourmande de morceaux, mêlant les genres et les époques.

Interrogé récemment par le magazine Rolling Stone, le batteur américain Makaya McCraven revenait sur le regain de vitalité du jazz observé ces dernières années:  » Ce n’est pas tant « La côte Ouest is the best », ni « Londres est le futur du jazz », ou encore « New York est le seul endroit où vit le jazz en Amérique ». Le fait est que chacun de ces endroits bénéficie d’une scène locale vraiment cool qui cultive son propre son, son propre truc -tout en faisant partie d’un mouvement musical plus global, qui reçoit pas mal d’attention pour l’instant, ce qui est super excitant. » On ne dira pas le contraire. Tout juste ajoutera-t-on à la liste des lieux évoqués plus haut, la ville de Chicago -où McCraven est précisément basé… C’est en effet depuis la « Windy City », notamment via le label International Anthem, que quelques-uns des disques jazz les plus excitants de ces derniers mois sont arrivés: de McCraven justement à Angel Bat Dawid, en passant par Resavoir ou Ben LaMar Gay. Cette fois, c’est au tour du bassiste Junius Paul de dévoiler ses cartes, avec un disque épatant, Ism.

La liberté de (ne pas) choisir

Comparse de… McCraven (il produit le disque), Junius Paul (1987) est également l’une des chevilles ouvrières de la version actuelle de l’Art Ensemble of Chicago. L’influence de la formation historique est évidemment prépondérante dans Ism, premier album officiel du bassiste. Ne serait-ce que par le titre Fred Anderson and a Half. Sur ce duo (avec la violoncelliste Tomeka Reid), Paul rend hommage au saxophoniste disparu en 2010, non seulement fondateur du club dans lequel il a fait ses gammes, mais également membre de l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), au sein de laquelle est né l’Art Ensemble of Chicago. Sur le morceau qui suit, Ma and Dad, ou un peu plus tôt le dissonant Twelve Eighteen West, les percussions flottantes, cloches et autres cymbales, renvoient également aux libertés prises par l’Art Ensemble dès son lancement, à la fin des années 60. Il ne faudrait pas en conclure pour autant que Ism est resté bloqué dans le passé. S’étalant sur 17 titres et plus de 80 minutes, le (double) album de Junius Paul s’offre la possibilité de ne pas choisir entre les styles et les époques -ce qui le fait appartenir indéniablement à la sienne…

Vent de liberté

Regroupant des morceaux (voire des esquisses comme Tune No. 6), enregistrés dans différents clubs et studios de Chicago au cours de ces trois dernières années, Ism est volontiers boulimique. Il démarre par le chaos free de You Are Free to Choose, note d’intention dont Junius Paul ne va jamais dévier. Il passe ainsi d’une méditation à la Sun Ra ( View From the Moon) à une cavalcade hard bop ( The One Who Endures), d’un solo ( Asé) à une séquence funk furieuse ( Paris), tout en empruntant ici et là des rythmiques hip-hop ( Baker’s Dozen). Au centre du disque, les quasi 20 minutes très « jazz fusion » de Spocky Chainsey Has Re-Emerged frémissent tout du long. Précisément à l’image du disque, bouillonnant.

Junius Paul

« Ism »

Distribué par International Anthem.

8

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