DRAME POÉTIQUE DE THIERRY ZÉNO. AVEC DOMINIQUE GARNY. 1 H 20. 1974.

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Une vaste ferme en rase campagne. Isolée d’un monde dont on se demandera peut-être s’il existe encore. Un jeune homme y vit, au milieu d’animaux de basse-cour livrés à eux-mêmes. Une truie occupe une place particulière en ces lieux étranges, désolés, à la fois calmes et vibrant d’une sourde inquiétude. Une place très particulière, puisqu’elle fait l’objet de douces caresses, d’intimes étreintes, de la part d’un humain que le tabou de la bestialité n’effarouche point. Les images de Dominique Garny, nu, copulant avec le placide animal, ont beau être d’une paradoxale sagesse dans leur mise en scène, elles ont servi de prétexte à plus d’une censure, et fait pousser de hauts cris à certains spectateurs que la suite du film, incluant des scènes de meurtres d’animaux et de coprophagie, devait choquer plus encore… Nous étions en 1974, une époque où plus d’un artiste s’affranchissait des tabous, défiant plus ou moins consciemment une morale dominante dont les interdits tombaient les uns après les autres au champ de déshonneur d’oeuvres libres, désinhibées, osant tout ou presque avec un éclat que seul pouvait permettre le cinéma, forme d’expression à la fois populaire et riche d’un impact inégalable par rapport à la littérature et aux arts plastiques, même par rapport au théâtre qui s’agitait beaucoup lui aussi, pourtant…

Métamorphoses

On ne saurait réduire Vase de noces aux accents de scandale qui accompagnèrent sa présentation dans les festivals internationaux. Première oeuvre d’un tout jeune réalisateur (namurois) d’à peine 24 ans, ce film puise aux sources d’une culture millénaire, de la mythologie antique et des Métamorphoses d’Ovide. Il s’ouvre sur la vaine tentative de son jeune protagoniste de créer une chimère en coiffant un oiseau d’une tête de poupée. On verra plus tard le même essayer -tout aussi vainement- d’éduquer les porcelets nés de son union avec la truie comme de petits humains. Thierry Zéno filme en lettré (mais jamais pédant, ni même intellectualisant) la trajectoire ultime d’un homme, peut-être le dernier homme, qui a cherché un refuge -illusoire?- dans une nature, une animalité, tout à la fois pré et post-sociétales. Le microcosme filmé en noir et blanc très beau de Vase de noces s’ouvrant de poétique manière à plus d’une interprétation, notamment psychanalytique, tant il nous interpelle au plus profond, au plus intense, de notre rapport à la vie et aussi à la mort. Cette fin que Zéno et son complice Garny s’en iront ensuite scruter dans ses rites pour le formidable documentaire Des morts (1975). Quatre décennies n’ont pas entamé l’impact fascinant du premier ovni décisif produit par un cinéma belge promu, bien après, au rang de spécialiste de l’inattendu. A la fois limpide et riche en mystères, Vase de noces nous regarde encore et toujours autant que nous le regardons…

L.D.

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